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international

"A Madagascar, la priorité, c’est le développement socio-économique"

4 novembre 2025 | Mise à jour le 5 novembre 2025
Par | Photo(s) : France 24

Thierry Vircoulon, coordinateur de l'observatoire de l'Afrique Centrale

Dans la foulée des révoltes de la Gen Z népalaise, la Gen Z malgache envahissait fin septembre les rues de la capitale, Antanaravivo, pour dénoncer l'incapacité du gouvernement à assurer les moyens de survie de base et réclamer la démission du président. Réprimées dans le sang, les manifestations ont abouti à renverser le régime avec l'aide de l'armée, précipitant la fuite du président Rajoelina. Il est remplacé transitoirement par un militaire, le colonel Randrianirina, qui a promis de réformer le système en profondeur. Point d'étape de la situation avec Thierry Vircoulon, coordonnateur à l'Observatoire de l'Afrique centrale et orientale à l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI).

Faisons d'abord le point de la révolte de la Gen Z Madagascar : d'où part et à quoi a abouti ce mouvement de la jeunesse malgache ?

A Madagascar, il y a eu deux déclencheurs de la révolte de la jeunesse qui a explosé le 25 septembre. Premièrement, les nombreuses coupures d'eau et d'électricité sont un problème chronique, qui s'est aggravé au fil des années et est devenu insupportable pour une génération qui n'en peut plus de l'incapacité de ses dirigeants à assurer ses conditions de vie, de survie et à lui offrir des perspectives. Deuxièmement, l'exemple du Népal où la Gen Z a pris la rue et brûlé le parlement jusqu'à chasser le régime en place a certainement inspiré la jeunesse malgache qui, à son tour, s'est emparée de la rue pour exiger la démission du président Andy Rajoelina. Et de fait, suite à de nombreuses manifestationsviolemment réprimées qui ont causé au moins 22 morts, et après que l'unité militaire de la Capsat – ce contingent de l'armée malgache a dissous le Sénat et la Haute cour constitutionnelle le 15 octobre 2025 – a pris fait et cause pour la Gen Z malgache, le président Rajoelina a dû s'enfuir à Dubaï.

Mais cela a abouti à un putsch avec la prise du pouvoir par le colonel Randrianirina de la Capsat qui assure désormais la présidence. A quels lendemains qui chantent ou qui déchantent faut-il s'attendre ?

La Gen Z malgache n'a pu qu'accepter ce putsch militaire qui a permis de renverser le président et son gouvernement, mais avec une position de vigilance, et à certaines conditions : que ce gouvernement sous la houlette du colonel Randrianirina ne soit que transitoire ; qu'il nomme un nouveau gouvernement à la composition équilibrée entre civils et militaires, et pour une durée de deux ans maximum, le temps d'organiser de nouvelles élections; que des réponses aux revendications les plus urgentes – eau, électricité, accès à internet – soient apportées dès à présent. On va voir si cet agenda sera respecté, notamment en réponse à cette demande très forte de développement portée par la jeunesse malgache.

Quid de la revendication de plus de démocratie dans la gouvernance du pays et de rupture totale avec, je cite, « ces gouvernements pourris qui nous étouffent », expression clamée par des porte-paroles des manifestants lors des mobilisations dans les rues d'Antananarivo ?

La Gen Z Madagascar est bien consciente qu'on ne réécrit pas l'histoire en deux ans, compte-tenu de la profondeur des problèmes structurels de ce pays. Ce qu'elle demande, c'est avant tout une politique de développement socio-économique permettant à chacun de vivre ou de survivre et qu'on mette fin au régime kleptocratique qui prévaut depuis longtemps à Madagascar. Alors oui, on peut considérer que les moyens de réalisation de ces revendications correspondent à une quête de démocratie, cette espèce en voie de disparition dans le monde actuel. En réalité, à Madagascar comme dans tous les pays où les Gen Z se révoltent actuellement contre leurs élites corrompues et incompétentes, la priorité, c'est le développement socio-économique. D'où l'exigence de changer le pouvoir pour mettre en place les conditions de ce développement.

A Madagascar comme au Népal, au Bangladesh ou au Maroc, les Gen Z se sont interconnectées sur les réseaux sociaux, notamment sur Discord, favorisant ainsi des convergences d'analyses, d'idées et de formes luttes. Quel regard portez-vous sur ces Civitech comme nouveaux moyens d'organisation internationale ?

Nous verrons bien si la Gen Z Madagascar sera en mesure de peser sur le gouvernement de transition du colonel Randrianirina. Les mouvements politiques nés sur les réseaux sociaux ont deux grandes faiblesses :  ils ne permettent pas de dépasser le stade de la spontanéité et de la colère du moment qui s'y expriment et ils ont l'illusion de pouvoir se coordonner à l'échelle internationale. Or, cela ne suffit pas à un mouvement, quel qu'il soit, pour durer et avoir une influence. Et souvent, la jacquerie numérique ne change rien. Pour infléchir les rapports de force et obtenir un changement de gouvernance, il faut qu'à un moment donné, ce qui se passe sur les réseaux sociaux se transfère dans le réel. Que les structures des pouvoirs politiques, quelles qu'elles soient, soient investies par les militants, concrètement.