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La Poste condamnée, le devoir de vigilance menacé dans l'Union européenne

3 juillet 2025 | Mise à jour le 4 juillet 2025
Par | Photo(s) : Alain Jocard / AFP
La Poste condamnée, le devoir de vigilance menacé dans l'Union européenne

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors d'une conférence de presse à l'issue des séances de travail du Conseil européen à Bruxelles, le 26 juin. Réunis quelques jours plus tôt, les dirigeants de l'UE ont restreint le champ d'application de la directive sur le devoir de vigilance.

La Poste a été condamnée le 17 juin en appel pour manquement à son devoir de vigilance. C'est la première fois qu'une grande entreprise française est rappelée à l'ordre par la justice sur ses obligations de prévention des risques sociaux et environnementaux, en vertu de la loi de 2017. Un signal fort alors que le devoir de vigilance, qui s'est imposé au lendemain du drame du Rana Plaza, est actuellement remis en question par la Commission européenne.

La décision pourrait faire jurisprudence et s'appliquer à d'autres grandes entreprises. La cour d'appel de Paris a confirmé le 17 juin la condamnation de la Poste en première instance, estimant que le plan de vigilance mis en œuvre par l'entreprise en 2021 était trop imprécis et non conforme aux exigences posées par la loi. Texte pionnier en Europe, la loi sur le devoir de vigilance avait été adoptée en 2017 suite à la tragédie du Rana Plaza qui avait fait 1 138 morts au Bangladesh dans l'effondrement d'un immeuble abritant des usines textiles, dont beaucoup travaillaient pour de grandes marques mondiales. « Cette condamnation de la Poste est une décision importante, cela montre que les entreprises ne peuvent pas agir en toute impunité, se félicite Rachel Beauséjour, membre du bureau fédéral de la CGT Fapt (activités postales et télécoms). La loi est traitée par-dessus la jambe par les entreprises qui pensent qu'elle n'a aucune valeur coercitive. Elles se servent de ces plans pour se couvrir. »

La loi française de 2017, fruit de quatre ans de débats parlementaires, responsabilise les sociétés de plus 5 000 salariés en les soumettant jusque dans leurs filiales et chez leurs sous-traitants à une obligation de vigilance sur le plan social et environnemental (atteintes aux droits humains, dommages environnementaux, risques sanitaires…). Chaque année, un plan de vigilance est soumis par la société pour s'assurer que ces normes sont prises en compte. « Les plans de vigilance ont énormément évolué car il y a eu une expérience d'apprentissage progressif, relève Carla Bader, enseignante chercheuse en sciences de gestion qui mène une co-recherche dans ce domaine. Mais les cartographies des risques sont très variables d'un groupe à l'autre, que l'on travaille dans l'agro ou l'immobilier. Ce qui peut être compliqué, c'est d'expliquer les exigences qui s'appliquent en Europe à des fournisseurs situés dans d'autres pays, par exemple en Chine. Et les sociétés sont ouvertes au dialogue avec les ONG [organisations non gouvernementales, NDLR] car, en challengeant les entreprises, elles les amènent à améliorer leurs plans ».

Plans de vigilance

Dans le cas de La Poste, le tribunal a relevé de nombreux manquements dans le plan de vigilance présenté en 2021 par l'entreprise publique : cartographie des risques trop générale, dispositif de suivi des risques incomplet, mécanisme d'alerte élaboré sans concertation avec les syndicats… « Elles ne veulent jamais associer les organisations syndicales alors que les plans de vigilance doivent faire l'objet d'une concertation, ce qui veut dire que cela les contraint. Les organisations syndicales ont des choses à dire sur comment éviter les risques, les critères à retenir, les méthodes d'évaluation, » pointe Rachel Beauséjour.

L'an dernier, le radar du devoir de vigilance, un outil mis en place par les ONG Sherpa et CCFD-Terre solidaire afin de vérifier que les activités des multinationales respectent bien leurs obligations légales, relevait que 57 grandes entreprises françaises n'avaient toujours pas publié de plan de vigilance. Parmi elles : Buffalo Grill, Euro Disney, Picard ou encore Primark… Avec une dizaine de mises en demeure et d'actions en justice menées par des syndicats ou des ONG contre certaines entreprises pour des atteintes aux droits humains ou à l'environnement, essentiellement à l'étranger.

Retour de l’omnibus

Le 13 juin 2024, une directive européenne sur le devoir de vigilance a été adoptée grâce à la constante mobilisation des ONG et syndicats. Cette directive, que seules l'Allemagne et la France ont à ce jour transposée en texte de loi, devait être étendue à tous les États membres d'ici 2026 afin d'obliger les entreprises de plus de 1 000 salariés, et dont le chiffre d'affaires mondial dépasse 450 millions d'euros, à évaluer et identifier les risques de leurs activités sur le plan humain et écologique (5 400 entreprises sont concernées, selon CCFD Terre solidaire). Cette directive engage par ailleurs la responsabilité civile des multinationales en cas de manquement à leurs responsabilités, ce qui peut les conduire devant les tribunaux.

« On a besoin de normes juridiques contraignantes car on constate que l'autorégulation des multinationales ne fonctionne pas. Cette directive a aussi le mérite de protéger le marché européen en imposant aux entreprises étrangères présentes, à partir d'un certain chiffre d'affaires, de respecter les mêmes règles. » Clara Alibert, chargée de plaidoyer chez CCFD Terre solidaire

Mais ce droit normatif est aujourd'hui remis en question sous la poussée de la Commission européenne, à travers notamment les paquets de lois « Omnibus » de simplification présentés en février, qui visent à abaisser les obligations réglementaires des entreprises en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE). « La Commission dit que le devoir de vigilance doit s'arrêter aux partenaires commerciaux de rang 1 parmi les fournisseurs. Mais si on prend l'exemple des smartphones, là où il y a le plus de violations de droits humains et environnementaux, c'est dans l'approvisionnement en minerais : travail des enfants, pollution chimique, violation des territoires autochtones… », rappelle Clara Alibert, chargée de plaidoyer chez CCFD Terre solidaire.

Très grande avancée sociale et environnementale, le droit de vigilance n'a jamais été autant menacé, au nom de la compétitivité, dans un contexte de progression de la droite et de percée de l'extrême-droite au Parlement européen l'an dernier. En avril, les députés européens ont soutenu à une majorité écrasante la proposition de la Commission, par 531 voix pour et 69 contre, de suspendre la mise en application de la directive européenne sur le devoir de vigilance. Un recul majeur pour les ONG et les travailleur.se.s.

Cracher sur les victimes

Et la France n'est pas en reste dans cette offensive. En janvier, elle avait réclamé le report sine die de l'application de cette directive ainsi qu'une hausse significative des seuils d'application, ce qui exclurait 70 % des entreprises actuellement concernées. Lors du sommet Choose France, Emmanuel Macron réclamait quant à lui ni plus ni moins que sa suppression, tout comme le chancelier allemand. « Macron était déjà très hostile à la loi de 2017 alors qu'il était ministre de l'Économie. Ce devoir de vigilance des grandes entreprises, on le doit aux victimes du Rana Plazza. Macron leur crache dessus », résume Clara Alibert.

Réunis le 23 juin, les États européens se sont accordés pour réduire la portée du devoir de vigilance en relevant les seuils des entreprises concernées – celles de plus de 5 000 salariés et au chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros –, tout en réduisant leurs obligations en matière de cartographie des risques.  Toujours au nom de la « compétitivité ».