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LAÏCITÉ

La République, rempart contre l’obscurantisme

20 octobre 2020 | Mise à jour le 20 octobre 2020
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La République, rempart contre l’obscurantisme

Manifestation contre l'islamophobie dans les rues de Paris, le 10 novembre 2019.

Quelques jours après le crime terroriste contre un enseignant commis par un jeune d'origine tchétchène prétendant tuer au nom de l'islam, nous vous proposons de relire l'entretien que Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l'Homme nous avait accordé pour le magazine d'octobre, notamment autour du projet de loi sur le séparatisme.
NVO : Le président de la République s'est exprimé en prévision d'un projet de loi à l'automne. Ayant maintes fois repoussé le sujet, n'a-t-il pas laissé s'installer la confusion dans le débat public ?
NVO - La Nouvelle Vie Ouvrière, le magazine des militants de la CGT

Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l'Homme.

Malik Salemkour : En effet le problème c'est que depuis fin 2019, le président de la République a inscrit dans l'espace public ce débat sur « le séparatisme » et « les séparatismes » sans jamais bien le définir. À chaque fois, notamment à Mulhouse en février, ses exemples portent sur l'Islam et les relations entre l'Islam et l'État.

Donc finalement, à chaque fois, bien qu'il s'en défende, le débat sur le séparatisme ali­mente la stigmatisation de l'Islam et des musulmans. Après, c'est évident qu'il faut lutter contre le terrorisme et les comportements sectaires. Toutefois, ayant réduit les moyens de la Mission de lutte contre les sectes, le gouvernement est un petit peu ambigu. Ce qui est clair aussi, mais pas suffisamment réaffirmé, c'est que l'obscurantisme avance lorsque la République recule.

Or, les propositions de Jean-Louis Borloo sur la poli­tique de la ville et sur la politique des quartiers n'ont pas été retenues. Quant au plan de relance, il ne tient pas compte de la nécessité de remettre du service public et des moyens pour l'éga­lité, notamment en matière d'accès à l'emploi, mais aussi pour travailler sur l'égalité entre les femmes et les hommes, sur la lutte contre le patriar­cat.

Et la question ne relève pas d'une religion. C'est celle des femmes qui, aujourd'hui, affirment légitimement qu'elles ont, non seulement des droits, mais des droits égaux à ceux des hommes, y compris pour vivre habillées comme elles le souhaitent dans l'espace public. Tout cela relève d'un travail d'éducation, d'éducation populaire et d'un soutien aux associations.

Parler de lutte contre le séparatisme n'est donc pas la bonne porte d'entrée pour traiter de ces questions ?

Concernant la préparation du projet de loi sur le séparatisme, les pistes évo­quées par Marlène Schiappa (ministre déléguée à la Citoyenneté) et Gérald Darmanin (ministre de l'Intérieur) mélangent un peu tout. Il y a, par exemple, le non-recours aux imams détachés et le financement des cultes. C'est très bien, mais faut-il lier ces sujets au séparatisme ?

La notion de séparatisme est quand même marquée historiquement. Elle vise des gens qui ne s'inscrivent pas dans la République et veulent en sortir. Or, au contraire, les musulmans sont parmi les premiers à affirmer leur droit à l'égalité, à la non-stigmatisation et donc à la reconnais­sance du racisme. S'il peut y avoir débat autour du terme d'« islamophobie » qui désigne ce racisme, le 10 novembre 2019, celles et ceux qui manifestaient contre « l'islamophobie » demandaient l'égalité des droits, la justice et la non-discrimi­nation.

Un 10 novembre multicolore contre l'islamophobie

Ce n'était donc pas un mouve­ment séparatiste puisqu'il affirmait sa volonté d'être pleinement dans la Répu­blique et qu'il ne visait pas à imposer une loi au-dessus des autres. Qu'il y ait des avis divergents sur la pratique reli­gieuse musulmane ou autre, comme quand une partie du monde catholique s'oppose à l'IVG, c'est heureux. Et ce sont la société française et la loi qui font rempart.

De la même façon lorsque les intégristes considèrent que les enfants doivent pratiquer ou s'habiller de manière particulière, la société réagit. Dans un cas comme dans l'autre, est-ce pour autant du séparatisme ? Il faudrait plutôt s'interroger sur comment on essaie d'apaiser la société française, comment on lutte, là où il le faut, contre les dérives sectaires, contre les écoles non conventionnées de toute obédience qui déploient des incitations à la haine, à l'injustice ou à l'inégalité entre les femmes et les hommes. Ce ne sera cer­tainement pas avec cette loi. Elle crée un sentiment de suspicion et surtout un climat de division.

Avant d'évoquer celle sur le séparatisme, le chef de l'État parlait déjà de renforcer la loi sur la laïcité. La confusion entre les deux n'est-elle pas omniprésente ?

Oui, mais nous avons une vraie difficulté aujourd'hui puisque depuis une dizaine d'années, certains posent la question de l'incompatibilité de l'islam dans la République. Toutes les religions, dès lors qu'elles respectent la loi et l'ordre public, ont leur place. Il n'y a pas à définir comment on doit penser, comment on doit pratiquer, est-ce qu'on doit croire en Dieu, lequel, etc.

Sauf que certains avancent l'idée qu'il y aurait des religions intégrées, acceptées, acceptables et d'autres qui, par essence, ne pourraient pas l'être. Or, il y a aussi un catholicisme politique qui veut fonder une certaine vision de la famille, une certaine vision du droit des femmes, une certaine vision de l'éducation, qui est sectaire, voire intégriste.

Ce sont des visées qui doivent être combattues par les lois de la République. La laïcité doit protéger la liberté de conscience, la liberté de croire ou de ne pas croire de chacune et de chacun. Il peut y avoir des débats qui mettent en conflit des droits et des libertés, par exemple la question du voile divise la société française depuis 1989.

Quel est le degré entre la liberté de pratiquer et de porter des signes religieux et celui de l'émancipation, de l'égalité ? En France, on a le droit d'être aliéné, d'être dépendant ! L'enjeu fondamental ? En l'espèce, que la République permette à chacune et chacun de pouvoir s'émanciper, de pouvoir changer de religion, de pouvoir appliquer les règles qu'elle veut, et non celles d'une religion. C'est cela qu'il faut affirmer, c'est cela qu'il faut défendre.

Ne chercherait-on pas à judiciariser le communautarisme ?

Là-dessus, le président de la République a été à peu près clair. Dès octobre 2019, il a souscrit à l'idée que ce terme ne veut rien dire et ne l'a plus utilisé. Heureusement qu'il y a des communautés, de destin, territoriale ou affinitaire…

Mais si le terme de communautarisme est mal défini, on voit bien ce qu'on veut lui faire dire : des gens qui dans un groupe définissent leurs propres règles, leurs propres lois qui ne seraient pas celles de la République. D'où la nécessité à réaffirmer la liberté, l'égalité et la fraternité, dans l'ensemble de l'espace public. Car, dans tous les quartiers, sur tous les territoires, chacune et chacun est un sujet de droit, et non pas le sujet d'une religion ou d'une secte. La question c'est donc comment on renforce la capacité de chacune et de chacun à être libre dans sa conscience et libre dans sa foi ou dans sa non foi.

Le climat est déjà si tendu que Gérald Darmanin prépare la loi sur le séparatisme et pointe en même temps « l'ensauvagement d'une partie de la société ». Comment l'analysez-vous ?

Nous sommes en effet dans un climat de violence verbale, de haine, notamment sur les réseaux sociaux, et de faits divers qui deviennent particulièrement insupportables. Alors… est-ce pour autant de l'« ensauvagement » ? Le ministre de la Justice et le président de la République sont venus corriger ce terme, mais ils laissent entendre qu'il y aurait, en France, des sauvages, donc des individus non éduqués qui, par essence, ne seraient pas des citoyens et seraient même structurellement dans l'incapacité de l'être. Oui, il y a de la vio­lence, donc il faut la combattre. Oui, il y a de la haine en ligne, alors il faut tra­vailler sur comment elle se diffuse, com­ment on la prévient, comment on l'apaise.

C'est ce que fait l'Observatoire de la haine en ligne mis en place par le CSA. Après, se pose une question de fond : comment on remet la population française en capacité de délibérer de façon contradictoire mais pacifique. C'est aujourd'hui un véritable enjeu, notamment concernant la façon dont l'information est portée.

« Séparatisme » et « ensauvagement » : quand l'exécutif reprend les thèmes chers à l'extrême droite

C'est trop sou­vent en favorisant les tensions, par le choix de caricatures ou de têtes de gon­doles telles Éric Zemmour, condamné pour incitation à la haine raciale. Car la ques­tion c'est comment nous participons tous à essayer de pacifier le débat. Cela signifie que là aussi, dans le dialogue civil, dans le dialogue social, l'État doit être exemplaire et ne pas rejeter les oppositions ou les critiques par l'arro­gance et le mépris.

Je pensais au mou­vement des Gilets jaunes, mais il en va de même quand des citoyens consi­dèrent que les questions environnementales sont essentielles, que même une convention citoyenne affirme que telle ou telle mesure devrait être prise : l'exécutif ne doit pas les comparer à la secte reculée des Amish et leur laisser entendre qu'ils ne sont « pas au niveau ».

Je pense que la parole publique – celle des hommes et femmes politiques et encore plus celle du gouvernement – se doit de respecter chacun. Si des opi­nions contradictoires peuvent s'expri­mer, ça ne doit certainement pas être par le mépris, par le dénigrement et finalement par l'indignité.

À vous écouter, l'exécutif mine à lui seul la cohésion nationale…

Il est clair que quand on commence à dire qu'il y a des ennemis de l'intérieur et des acteurs qui agiraient pour détruire la République, je crois qu'on est dans la disproportion. En plus, on court le danger de jeter les musulmans, notamment eux, entre des mains qui ne sont pas celles de la République. Or, celle-ci doit au contraire accueillir cha­cun, croyant ou pas.

De plus, alors qu'il y a tant d'enjeux économiques, sociaux, environnementaux et sanitaires à l'ac­tualité, il faut s'interroger sur l'oppor­tunité de ce projet de loi. Mettre le séparatisme en pâture dans le débat public ne va pas aider à la cohésion nationale dont on a besoin dans cette période de crise profonde qui va néces­siter la mobilisation de tous. On l'a vu pendant le confinement, la solidarité était pleine et entière, il n'y avait que des habitants en France, quels que soient leur religion, leur âge…

Nous étions tous ensemble à essayer de vivre ces moments difficiles. Face à la crise économique et sociale qui pointe, à ces centaines de milliers de chômeurs et aux difficultés économiques que beau­coup vont vivre, il y a besoin d'union et de solidarité. Nous n'avons pas besoin d'un État qui vient jeter la suspicion sur une partie de la population et sur certains territoires, nous avons besoin d'une puissance publique qui rassemble et protège.

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