La maternité des Lilas ferme définitivement ce vendredi 31 octobre 2025, après 61 ans d'écoute des femmes et d'innovation dans le domaine de la naissance et de l'avortement. Les autorités de santé ont fini par avoir raison de cet établissement de proximité situé en Seine-Saint-Denis, après 15 ans de bras de fer. C'est un pan de l'histoire féministe qui s'envole, mais aussi un lieu-ressource pour les droits des femmes.
« On est venus vous dire que nous partons. Et vos larmes n'y pourront rien changer. Comme a dit l'ARS vous fermerez… » Plantées sur l'escalier en colimaçon à l'extérieur de la maternité des Lilas (Seine-Saint-Denis), les soignantes vêtues de leur légendaire blouse violette ont fait leurs adieux en chanson aux patients de leur maternité venus en nombre pour leur rendre hommage, ce jeudi 30 octobre 2025. En février dernier, le couperet est tombé : la Haute autorité de santé (HAS) a retiré sa certification à l'établissement de l'est parisien pour des raisons de sécurité, de baisse de l'activité, et des risques de cessation de paiement. L'Agence Régionale de Santé (ARS) Ile-de-France n'a plus eu qu'à annoncer la date officielle de fermeture, le 31 octobre 2025. Elle a fini par avoir la peau de la maternité rebelle, un objectif qu'elle poursuivait depuis sa propre création en 2010.
Adoucir les souffrances de l'accouchement
Le rassemblement, composé de parents aux yeux mouillés, de féministes, de syndicalistes, des édiles de gauche du quartier, et même des Femen manifestant seins nus s'anime pour rejoindre le gymnase municipal. Le pupitre voit défiler toute l'histoire de ce bastion du féminisme, créé en 1964. Les « anciens » sont là pour raconter: la création de la maternité par la comtesse de Charnière, et animée par les médecins venus des Bluets, la maternité des métallos de la CGT, où Fernand Lamaze a importé d'URSS la méthode de « l'accouchement sans douleur ». Cet attachement au choix pour les femmes de pouvoir accoucher physiologiquement est resté la raison d'être principale de la maternité jusqu'aujourd'hui.
Mais ses soignants se sont surtout illustrés par leur éveil permanent aux nouveautés susceptibles d'amoindrir les souffrances d'une femme dans l'accouchement, en pratiquant, par exemple, les premières péridurales, mais aussi en proposant gym douce, haptonomie, yoga, danse… Au fil des années, la maternité a intégré toutes les nouveautés : de la « naissance sans violence », importée d'Inde par le best-seller de Frédéric Leboyer dans les années 70, au bain des bébés prôné par Michel Odent, obstétricien, sans oublier le chant prénatal inventé par Marie-Louise Aucher. La maternité s'est aussi occupée des pères, en mettant en place un groupe de parole pour qu'ils puissent exprimer leurs questionnements sans prendre du temps sur les consultations de leurs conjointes, et leur a donné toute leur place, notamment en leur proposant de faire du « peau à peau » une fois le bébé mis au monde.
Faire des patientes des actrices de leur grossesse
L'histoire de la maternité des Lilas chemine aussi avec celle de l'IVG (Interruption Volontaire de Grossesse), elle qui accueillait les réunions du MLAC (Mouvement pour la liberté d'avortement et de la contraception), prêtait du matériel et des ordonnances vierges aux avorteuses clandestines, puis, une fois autorisé, pratiquait des avortements même au-delà des limites légales s'il le fallait. Elle a fait de ses patientes des actrices de leur grossesses, leur permettant, dans les années 80 de mener des groupes de parole sur leur maternité, à rebours de la relation de domination entre médecins et patientes. Cette passion de l'égalité est aussi mise en musique entre les salariées, où tous et toutes, du médecin chef jusqu'à la femme de ménage, étaient conviées aux réunions de staff pour échanger sur la meilleure manière d'accompagner les patientes. On la retrouve dans les dernières innovations de la maternité, devenue le refuge des couples LGBT, des mères solos ou des hommes trans pour leurs projets de bébés.
Mais cette manière de soigner, qui met l'humain au centre, et qui en nécessite beaucoup, d'humains, a un coût. Et ce coût a toujours été trop élevé pour les financeurs : dès 1977, la comtesse de Charnière, lasse de combler sur ses fonds le déficit lié à un remboursement trop faible du prix de journée par la Sécurité sociale, démissionne de l'association Naissance, qui gère la maternité. Le succès de la maternité, en cette période post-soixante-huitarde, et la pression exercée par les citoyens oblige le ministère de la santé à reconnaître l'établissement comme « participant au service public hospitalier ». La maternité obtient à ce titre la garantie d'un financement par les autorités de santé, tout en restant privée à but non lucratif.
Sentence de mort
Profitant de l'affaiblissement de ce souffle de 68 et des mouvements de libération des femmes, l'ARS Ile-de-France empêche, en 2011, la reconstruction de la maternité des Lilas aux Lilas, opposée à un établissement de mono-activité, et favorable à la concentration et à la technicisation des établissements de santé. C'est une sentence de mort pour l'établissement et son esprit. Commence alors un mouvement de protestation de quatre ans mené en coopération entre citoyens et salariés. A la veille des élections présidentielles de 2012, François Hollande promet même la reconstruction de la maternité des Lilas dans la ville. Mais les manifestations, les chansons de Catherine Ringer des Rita Mitsouko, les témoignages de l'actrice Karin Viard n'y feront rien. En 2013, Marisol Touraine, ministre socialiste de la santé, raye définitivement le projet de la carte. Depuis lors, la maternité est à la dérive. Aucun des projets d'adossement avec d'autres hôpitaux, indispensables à la survie de la maternité, n'est mené à bien. En 2022, une plainte a été déposée contre X par le syndicat Sud, dénonçant l'usage abusif des fonds de l'association à hauteur d'1,4 millions d'euros.
Pourrissement et climat de violences
Brillant par son absence, Louis Fabiano, le président de l’association Naissance qui gère la maternité, laisse se développer un climat de violences. En octobre 2020, la maternité s'arrête : les sages-femmes se mettent en arrêt maladie pour protester contre les agissements d'un anesthésiste à leur encontre. Vingt-trois porteront plainte au conseil de l'ordre, et sept au pénal, pour harcèlement et agression sexuelle. L'intéressé a fini par être relaxé, le 2 octobre dernier.
Ce pourrissement de l'atmosphère épuise et isole les soignantes, qui ne parviendront jamais, ces dernières années, à redonner vie au mouvement de défense de la maternité, pourtant appelé de leurs vœux par de nombreux soutiens, comme en témoignent les 72 000 signataires de la pétition lancée en 2022 pour éviter sa fermeture. Elles ne parviendront pas non plus à convaincre la nouvelle vague de féministes de faire de cet établissement le leur. Pourtant la fermeture de la maternité des Lilas est une immense perte. A l'heure où l'extrême droite est aux portes du pouvoir et fait de la question de la natalité l'une de ses priorités, quel lieu de santé saura écouter les femmes et leurs désirs, faire corps autour d'elles, questionner les lois, voire les transgresser lorsqu'elles représentent une aliénation ? Demain, un centre de santé dédié aux femmes prendra la place de la maternité. Certaines sages-femmes iront travailler à la maison de naissance en germe, près de l'hôpital voisin de Montreuil. D'autres s'éparpilleront dans d'autres structures de santé, où elles pourront colporter l'esprit de leur maternité. Pour qu'un jour les Lilas refleurissent.