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CINÉMA

Silence, moteur, bienveillance : rencontre avec Margault Algudo-Brzostek

16 mai 2025 | Mise à jour le 21 mai 2025
Par | Photo(s) : Théo Franchitti
Silence, moteur, bienveillance : rencontre avec Margault Algudo-Brzostek

Sur le tournage d'Un petit truc en plus, la comédie réalisée par Artus, Margault Algudo-Brzostek (à gauche) a créé le poste de coordinatrice régie-handicap.

Margault Algudo-Brzostek milite pour la reconnaissance du métier qu'elle a créé sur le tournage d'Un p'tit truc en plus : coordinatrice régie-handicap. L'attention et la bienveillance nécessaires à ce poste bénéficient à toutes les équipes de tournage, dans un secteur où le travail peut-être stressant. Après une conférence le 15 mai au Festival de Cannes, elle participera à une table ronde pour la première édition des Écrans Inclusifs, le 22 mai.  Nous l’avons rencontrée il y a quelques jours, à Paris. 

Formée dans le médico-social avant de passer par l'évènementiel puis dans la régie audiovisuelle, Margault Algudo-Brzostek connaît un tournant dans sa carrière il y a deux ans, lorsqu'on l'appelle pour travailler sur Un p'tit truc en plus, la comédie d'Artus aux 11 millions d'entrées.

Son rôle ? Accompagner les comédiens et comédiennes en situation de handicap pendant la durée du tournage. Au bout de quelque temps, les producteurs du film avouent ne pas savoir selon quel cadre statutaire la rémunérer. Dans la convention collective, le métier qu'elle fait n'existe pas.

« Sur mes contrats, je suis ce que la production veut bien que je sois. Assistante régisseuse, assistante mise en scène, répétitrice. Franchement, j’étais un vagabond. », ironise-t-elle. Parfois, ce sont les familles ou les éducateurs spécialisés qui effectuent ce travail. Pourtant, cet accompagnement exige une connaissance fine à la fois du médico-social et de la régie audiovisuelle pour faire le lien entre ces deux mondes. C'est pourquoi Margault Algudo-Brzostek a décidé de rédiger une fiche métier, et milite maintenant pour qu'un avenant à la convention collective nationale de la production cinématographique (CCNPC) reconnaisse le métier de Coordination régie-handicap dans toute sa singularité.

Un double travail de pédagogie

Sur le tournage, la coordinatrice apprend à connaître les particularités de chacun des comédiens et comédiennes, construit une routine qui leur convient et les prépare à la journée. C'est un double travail de pédagogie : expliquer aux personnes en situations de handicap ce qu'elles ont besoin de savoir sur le tournage, mais aussi sensibiliser tout le reste de l'équipe au handicap.

« Mes meilleurs amis sur un plateau, ce sont les autres départements. Grâce aux machinos, aux électros et à leurs outils, je peux rapidement créer des espaces silencieux, ou sombres, si quelqu'un souffre d'épilepsie, par exemple. »

Sur le tournage de Mon inséparable, d'Anne Sophie Bailly, elle est engagée pour accompagner les comédiens Charles Peccia-Galletto et Julie Froger. Pour cette dernière, particulièrement sensible au son, la coordinatrice essaie de mettre en place un plateau silencieux pour toute la journée. « Je suis allée voir la première assistante mise en scène ; elle n'était pas contre l'idée, mais elle n'y croyait pas une seconde. Finalement, ça a demandé à l'équipe de faire sa préparation du matin différemment, mais nous avons réussi. Et ça a été une journée extrêmement reposante, pour tout le monde, comme on me l'a dit après. »

« Le travail que je fais impose une bienveillance et une attention à l'autre dont toute l’équipe bénéficie. » 

Sur un autre projet, Margault Algudo-Brzostek elle épaule une coach en charge d’encadrer des enfants. Elle réalise alors que les outils qu'elle a développé pour les personnes en situation de handicap, comme des cartes pour identifier ses émotions et ses besoins, fonctionnent aussi avec les tous jeunes comédiens. Puis, elle surprend des membres de l'équipe technique avec certaines de ces cartes dans les poches. « Ça part du handicap, mais en fait, c'est beaucoup plus large que ça. Le travail que je fais impose une bienveillance et une attention à l'autre dont toute l’équipe bénéficie. »

Une bienveillance qui, selon elle, manque dans son milieu. « Il y a énormément d'accords tacites, silencieux, dans le cinéma. Des manières de fonctionner en place depuis longtemps, qui ne sont plus interrogées, alors qu'elles sont insatisfaisantes humainement. » Dans le département de la régie, par exemple, qui a la tâche d'assurer le bon déroulé du tournage en étant à l'intersection de tous les autres départements : « On est les premiers arrivés, on est les derniers partis. Je ne compte plus les journées de 18 heures que j'ai faites. Mais quand tu travailles dans la régie, on te dit “c'est comme ça, tu vas galérer“. On pourrait faire autrement. »

« Dans le cinéma, on a complètement oublié de faire de l'analyse de la pratique »

« Dans ce milieu, on a complètement oublié de faire de l’analyse de la pratique. Quelque chose qu’on faisait dans le médico-social, tous les 15 jours, avec les équipes et avec un psy qui était extérieur aux institutions dans lesquelles on travaillait. » L'APP est une pratique de formation courante dans les secteurs médicaux ou de l'enseignement, qui vise un retour réflexif sur le travail. 

Selon Algudo-Brzostek, les cadences effrénées et les amplitudes horaires particulières de l'audiovisuel rendent difficile l'organisation des travailleurs et la prise de conscience de leurs conditions de travail. Le Syndicat des Professionnel·les des Industries de l'Audiovisuel et du Cinéma CGT (SPIAC-CGT) lutte pour essayer d'améliorer cette situation.

« Le travail que je fais sur le handicap déplace ces impensés tacites, et pousse tout le monde à se poser la question de son bien-être et de sa santé mentale sur le plateau. Après ça, avec un peu d'organisation on peut mettre en place des changements bénéfiques pour tous, il suffit que le collectif le désire », explique la coordinatrice.

« Les jours où je dors, il ne se passe rien. »

Au moment où nous la rencontrons, celle que l'on surnomme « Gogo » sort d'un long projet et se prépare déjà à repartir. Elle est invitée au Festival de Cannes pour donner une conférence sur les thèmes de l'inclusion et du handicap.

« J'étais contente, je me disais que j'allais pouvoir dormir pendant trois jours. Si bien que quand le Marché du Film (une partie du festival de Cannes réservée aux professionnels, ndlr) m'a appelée, j'ai hésité à y aller. Mais ce métier, je suis la seule à le faire en France. Les jours où je dors, il ne se passe rien. En attendant mieux, je dois saisir toutes les opportunités qui me permettent d'oeuvrer à sa reconnaissance. »