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MÉTIERS

24 heures avec un patron de bistrot

24 juillet 2017 | Mise à jour le 17 juillet 2017
Par | Photo(s) : Bapoushoo
24 heures avec un patron de bistrot

Didier, cafetier. Café "Le Mistral", Paris sept 2016

Cafetier. Depuis 1979 qu'il est derrière le comptoir du Mistral, au cœur de Belleville, quartier populaire de Paris en pleine mutation, Didier Miquel se démène pour préserver la mixité sociale au sein de son établissement.

6 heures du matin, le lourd rideau de fer est relevé. Une fois les tables dressées sur le trottoir, Didier s'installe derrière le zinc. Le Mistral est prêt à recevoir ses premiers clients. Commence alors un interminable ballet. Le geste du cafetier est sûr, mécanique, sec : la main gauche saisit la tasse, la droite le porte-filtre, coup rapide sur le moulin, la dose est tassée, le « perco » enclenché. La machine vrombit, tremble, avant de libérer le café, noir et fumant. Cuiller, sucre, verre d'eau, demi-tour vers le zinc, c'est le premier des 400 cafés quotidiens

« Pendant quatre heures, je ne fais que des cafés. Ça ne fait pas tourner la maison, mais c'est important de répondre présent tous les jours. » Le Mistral est surtout fréquenté par des habitués or, un habitué, ça a… ses habitudes. « Il faut anticiper. Le matin, les clients n'attendent pas, je suis toujours en mouvement. » Café, demi-tour, zinc ; café, demi-tour, terrasse… Pour ce couple de retraités, ne pas oublier Le Parisien ; pour Gilles, deux cafés et autant de tartines. De sa voix basse et douce, Didier prend le temps de glisser un mot à chacun. « Salut René, alors, ta maman ? »

L'art du barman, c'est aussi de savoir lancer des sujets de conversation et de faire parler ensemble des clients qui ne se connaissent pas. Didier Miquel

Et quand il ne virevolte plus d'une table à l'autre, c'est une nouvelle chorégraphie qui se met en place : claquement des tasses dans le lave-vaisselle, coups de chiffon dans les cendriers, va-et-vient du tiroir-caisse. 11 heures, la pause déjeuner… vite englouti. Pendant qu'il mange, Didier inscrit le menu du midi sur la grande ardoise. La tireuse prend le relais et débite les demis. Les discussions s'engagent, le volume sonore monte. « L'art du barman, c'est aussi de savoir lancer des sujets de conversation et de faire parler ensemble des clients qui ne se connaissent pas. »

La fameuse discussion de comptoir… Fils de bougnat, Didier tient son bar à l'ancienne. Alors oui, la déco est désuète. Ici, point de télé hurlante, de Coupe du monde sur écran géant ou de cocktails. Ni de sélection de la clientèle par les prix, comme dans nombre de bistrots branchés du quartier, qui ne servent plus de cafés à partir de 15 heures, « pour se débarrasser des consommateurs sans-le-sou », fustige Didier. Au bar du Mistral, l'essentiel est ailleurs. Mme Alonso, quarante et un ans de ménage à Belleville, boit son jus à côté d'un grand nom du cinéma et de Nasser, taxi de la rue voisine. À minuit, parfois plus selon l'affluence, le rideau de fer retombe derrière les derniers clients. Il faudra ouvrir demain, dès 6 heures. « Une mission de service public en quelque sorte », conclut notre hôte, un petit sourire fatigué au coin des lèvres.

La profession de cafetier a longtemps été aux mains des Aveyronnais : il y a un peu plus de 150 ans, confrontés à une grave crise agricole, les paysans robustes de cette contrée montaient à la capitale pour travailler comme porteurs d'eau et de charbon. Quand Paris fut pourvu en eau et gaz à tous les étages, ces bougnats, comme les appelaient les Parisiens, ouvrirent des débits d'alcool et de charbon, ancêtres de nos bistrots.

Article paru dans Ensemble ! de novembre 2017