Ce sont les premiers vers d'un poème de John Donne du début du 17e siècle qui ont donné son titre au troisième documentaire de Dominique Marchais, Nul homme n’est une île. Son entrée en matière s’appuie également sur « Les effets du bon et du mauvais gouvernement », une fresque monumentale de Ambrogio Lorenzetti, peinte sur les murs du Palais communal de Sienne, au début du 14e siècle. La caméra balaie silencieusement la représentation alors qu’une historienne souligne sa particularité : fini le portrait des rois, des nobles et des figures célestes, ici, place à l’audace : ce sont les ouvriers, les artisans, les citoyens qui sont représentés s’activant à bâtir leur cité, à gérer leur bien commun grâce à l’intelligence collective.
« C’est la première fois qu’un paysage devient narratif », conclut-elle. Un motif pictural du moyen-âge, quelques vers d’un poète emblématique anglais, à l’heure du Brexit… La parabole est posée en toute modestie. Elle va constituer le départ d’un voyage au près de trois initiatives de démocratie sociale nichées au coeur de l’Europe. Souvent vécue comme lointaine, institutionnelle, et véritable instigatrice des politiques économiques les plus libérales et concurrentielles, l’Europe a d’autres facettes : celles de projets locaux, solidaires, transparents, équilibrés, à échelle humaine, au rythme durable. De la Méditerranée jusqu’aux Alpes, Dominique Marchais fait le portrait de trois initiatives actuelles où des habitants, des agriculteurs, des producteurs, des architectes, des artisans, des élus locaux prennent leur destin et celui de leur environnement direct en main pour les soustraire à la loi de l’instantané, de la rentabilité maximale, de la folie des grandeurs.
La démarche fait penser à Qu’est-ce qu’on attend ? de Marie-Monique Robin, à Solutions locales pour un désordre global de Coline Serreau ou au plus grand public Demain, de Mélanie Laurent et Cyril Dion. Mais, ici, le regard est distancé. En replaçant la parole de ses interlocuteurs dans leur environnement, Dominique Marchais ne se contente pas de lister plusieurs initiatives qui encensent l’échelon régional, il produit un discours politique radical qui revendique une nouvelle gouvernance… à deux pas de Bruxelles et du Luxembourg, siège des décideurs et paradis fiscal des puissants. La puissance d’un autre paysage se fait jour… Il prend la forme de lignes convergentes, de liens qui se rejoignent comme ceux d’un système alternatif à celui qui domine.
Dominique Marchais avait marqué les esprits en 2009 avec Le Temps des grâces, une enquête documentaire passionnante sur le monde paysan français à travers les réflexions et témoignages de chercheurs, agriculteurs, écrivains, agronomes. Cinq ans plus tard, il poursuivait son exploration au cours d’une épopée fluviale dans le périmètre du bassin versant de la Loire, de la source de la Vienne sur le plateau des Millevaches jusqu’à son estuaire. Le voilà qui s’attaque à l’échelon européen pour nous confirmer que cette problématique nous regarde. Nous, spectateurs et citoyens.
Nul homme n'est une îleRéalisé par Dominique Marchais. 96 minutes, sortie le 4 avril.
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