Travail et handicap : contre l’exclusion
Face à de nouvelles méthodes de travail destructrices, prévention, adaptation des postes et reclassement n'en sont que plus vitaux. Une tâche immense.
«Le problème du handicap, on le connaît de plus en plus, à cause de la course à la productivité, et pourtant le nombre de postes aménagés diminue. » Cédric Brun, secrétaire général du syndicat CGT à l'usine PSA de Valenciennes (59), voit autour de lui des « salariés qui souffrent à cause de l'augmentation des cadences et des effectifs qui baissent ». En huit ans, les temps de pause quotidiens ont dégringolé de 70 à 20 minutes. Sylvain Marsaud, conseiller confédéral CGT chargé de la question du handicap, confirme cette dégradation : « En dix ans, on est passé de 70 000 à 160 000 cas d'inaptitude par an, dont une grande partie à cause de l'intensification du travail, de tous ces nouveaux systèmes de management, des risques psychosociaux, de l'épuisement professionnel… »
Un constat que fait aussi sur le terrain Julien Despierres, de la CGT Keolis Lyon, concessionnaire des lignes de bus, métro et tramway de la métropole. De nombreux chauffeurs y souffrent de troubles musculo-squelettiques (TMS), mais aussi de conséquences psychologiques liées à une agression. « Pour ces travailleurs à faible niveau de qualification, l'entreprise ne cherche pas, en cas d'inaptitude, à adapter le poste de travail ou à reclasser la personne. Elle préfère assumer le risque prud'homal et embaucher quelqu'un d'autre », déplore Julien Despierres.
Le taux de reclassement est d'autant plus faible que Keolis, comme beaucoup d'autres entreprises, sous-traite depuis longtemps des tâches annexes comme l'accueil téléphonique, la gestion des parkings relais ou le nettoyage.
« Veolia Eau emploie en direct 4,8 % de salariés handicapés, un taux en petite progression tous les ans. Mais pour l'entretien des espaces verts, par exemple, on va plutôt prendre des associations ou des entreprises d'insertion », complète Franck Leroux, de la CGT Veolia. « L'allocation aux adultes handicapés, c'est 800 euros par mois, une misère », poursuit Sylvain Marsaud, qui insiste sur l'importance de la prévention des risques, du maintien dans l'emploi ou de la reconversion.
« La confédération a formé des milliers de militants sur cette question. C'est une bataille, car il faut souvent aller au rapport de force pour que l'employeur applique les préconisations des ergonomes et de la médecine du travail », insiste-t-il. Certaines personnes en situation de handicap se retrouvent ainsi en Esat (Établissement et service d'aide par le travail), autrefois connu sous le nom de CAT (Centre d'aide par le travail). « Ils n'ont même pas le statut de salarié, c'est vraiment opaque. J'ai demandé une enquête parlementaire, sans succès », déplore Sylvain Marsaud.
D'autres ont un contrat de travail dans une entreprise adaptée, subventionnée par l'État. Gérard * est salarié de l'une d'elles, dépendant de l'Association des paralysés de France (APF) qui emploie au total 14 000 personnes. « Les travailleurs handicapés ne sont pas à part, on leur réclame aussi de la rentabilité », explique-t-il. Outre les faibles salaires, Alain Cluzeau, de la CGT APF d'Île-de-France, dénonce l'absence « de réels plans de formation et de carrière ». Des revendications qui les rapprochent finalement de beaucoup d'autres salariés.
Nicolas, ancien ouvrier à l'usine PSA de Valenciennes (Nord)
J'ai travaillé dix-sept ans chez PSA. J'ai eu des problèmes de santé au niveau des bras et j'ai été opéré des cervicales. J'ai tout fait pour avoir un poste aménagé, mais ils m'ont transféré à l'usine Sevelnord, où je devais travailler sous les véhicules. Je n'ai même pas pu en faire deux, tellement les douleurs étaient atroces. J'ai finalement été reconnu en « invalidité de catégorie 2 ».
Gérard, salarié d'une entreprise adaptée de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne)
J'ai le dos bousillé à cause d'une scoliose. On réclame des fauteuils ergonomiques adaptés pour le travail, mais le directeur répond que ça coûte 2 000 euros et qu'il n'y a pas de sous. J'ai 60 ans et je suis en mi-temps thérapeutique, ordonné par la médecine du travail. Je suis très fatigué, mais je suis obligé de continuer jusqu'à 62 ans, car j'ai connu des périodes de chômage.
Thomas, ancien chauffeur de bus à Lyon (Rhône)
En tant que travailleur handicapé au chômage, j'ai eu du mal à faire valoir mes droits auprès de Pôle emploi. Après mon licenciement en 2016, j'ai failli me retrouver sans rien. Un jour, ils m'ont envoyé devant un psychologue du travail. J'y suis allé car c'est obligatoire. À la Maison départementale des personnes handicapées, je n'ai été vu par personne, mon dossier a été examiné sur pièces.
Claude, salarié d'une entreprise adaptée d'Orly (Val-de-Marne)
Suite à un accident du travail, j'ai été licencié pour inaptitude. Après une formation, j'ai été embauché par l'Association des paralysés de France. En tant que travailleur handicapé, on se sent marginalisé. Lors d'un entretien d'embauche, nos diplômes sont négligés. J'ai un BEP d'électromécanicien, mais ça ne compte pas.
Les prénoms ont été modifiés.
Paru dans Ensemble numéro 109, juin 2018