NMPP / Presstalis : l’histoire d’une gabegie idéologique
Presstalis, anciennement NMPP (Nouvelles messageries de la presse parisienne), naît deux ans avant la loi Bichet.
Après les années sombres de l'occupation nazie, les Messageries françaises de presse (MFP) se substituent aux messageries de presse de Hachette, réquisitionnées pour collaboration avec l'ennemi. Cette nouvelle société, créée par des journaux issus de la Résistance, voit le jour en tant que coopérative, mais se retrouve vite en difficulté avec les attaques d'une messagerie concurrente soutenue par Hachette et de gros établissements bancaires.
La nationalisation de la distribution des journaux ayant été écartée – notamment par les démocrates-chrétiens qui se sont opposés à la position défendue par le Parti communiste français et la SFIO – la loi Bichet est votée le 2 avril 1947. Élaborée initialement pour retrouver la liberté de la presse et sa distribution équitable sur l'ensemble du territoire, elle va malheureusement précipiter sa diffusion dans la sphère privée. Elle permettra surtout à Hachette, la fameuse « pieuvre verte » d'avant-guerre, de revenir aux manettes de cette diffusion deux ans seulement après en avoir été écartée, en raison de son infamie.
La loi Bichet laisse le droit aux éditeurs de distribuer leurs titres mais les oblige à se constituer en société coopérative s'ils souhaitent se grouper dans ce but. Ainsi se forment les NMPP, société coopérative détenue à 51 % par des coopératives d'éditeurs et à 49 % par Hachette qui en devient l'opérateur et en désigne le directeur général.
Ce système de distribution, même s'il n'est pas parfait, maintient pendant plus de soixante-dix ans une grande diversité de titres de la presse d'opinion et permet la création d'une multitude de magazines qui n'auraient pas pu voir le jour sans la capillarité du réseau des NMPP et la proximité de vente avec les quotidiens nationaux, dans les points de diffusion.
En 2011, Hachette vend ses parts pour un euro symbolique. Les NMPP deviennent Presstalis, société à responsabilité limitée (SARL), puis société par actions simplifiées (SAS). L'effectif de la société passe de plus de 6 000 salarié·e·s à moins de 1 000 aujourd'hui (depuis 1982, les salarié·e·s de la première messagerie de presse bénéficient d’un départ en préretraite à l'âge de 55-56 ans). Le système s'effondre et nous conduit à la situation actuelle.
Inca ou Alto ? La peste ou le choléra ?
« On » nous dit que la situation actuelle forcerait l'ensemble de la profession et l'État à choisir entre deux plans de sauvegarde :
- le premier, baptisé Inca, adoubé par les magazines et les Messageries lyonnaises de presse (MLP), supprime purement et simplement Presstalis pour permettre à ces MLP – 20 % de la distribution en France et uniquement des magazines – de venir piller ses compétences informatiques et logistiques, sans avoir à régler le problème social de sa liquidation ;
- Le second, Alto, concocté par Presstalis et les éditeurs de quotidiens nationaux, propose de réduire l'entreprise comme peau de chagrin et prévoit, comme le projet Inca, la suppression de centaines d'emplois et la liquidation de la société d'agence et de diffusion (SAD), filiale de Presstalis qui garantit une distribution de la presse de qualité en province.
Certains petits éditeurs indépendants, sous l'impulsion du SAEP (Syndicat de l'association des éditeurs de presse), profitant de l'affolement général – et avec la bénédiction de l'ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) – ont même décidé de créer une nouvelle coopérative, comme le prévoit la loi du 18 octobre 2019 relative à la modernisation de la distribution de la presse, afin de pouvoir changer de distributeur de presse.
Les éditeurs, de journaux ou de magazines, grands ou petits, ont tous largement profité du système pendant de longues années et ils portent, certes certains plus que d'autres, la responsabilité de la situation actuelle.
- Les éditeurs de la presse quotidienne nationale pour avoir dilapidé les aides à la presse dans leurs seuls intérêts. Le journal Le Monde, en faisant payer sa distribution atypique par la communauté d'éditeurs (seul quotidien du soir depuis trente ans), remportant haut la main la palme du plus grand profiteur du système !
- Les éditeurs de la presse magazine pour avoir affaibli les NMPP en faisant jouer de façon abusive la concurrence entre celles-ci et les MLP, et en engorgeant le système par l'exploitation de ses failles au nom du seul profit (jeux, encyclopédies, productions pornographiques, produits dérivés, hors-séries et autres titres encombrant les linéaires).
- TOUS, en laissant le coût de la distribution calculé sur la valeur faciale des titres afin d'empocher les sommes, alors colossales, de la publicité !
La Filpac-Cgt alerte depuis longtemps les pouvoirs publics et les éditeurs de la dégradation du système et de l'urgence à revoir les règles de distribution et de l'attribution des aides. Mais ceux-ci, tellement obnubilés par les « effroyables ouvriers » du Livre « marxistes-léninistes » et leurs statuts prétendument responsables de tous les maux des NMPP/Presstalis n'ont pas voulu entendre nos avertissements. Ils ont tous préféré accepter les réformes fondées essentiellement sur le départ des salarié·e·s et des compétences de l'entreprise.
Notre diagnostic est clair : ces réformes n'ont pas pu fonctionner car elles ont été conçues de manière isolée sans prendre en considération les éléments d'un système plus large, au service du pluralisme et de la liberté de la presse.
La presse écrite, radiophonique et audiovisuelle, appartient dans sa majeure partie à des milliardaires et à des banques. La réforme de la loi Bichet, votée en 2019, qui favorise les publications d'information politique et générale (IPG) va leur permettre d'affirmer encore leur pouvoir sur le traitement de l'information.
Il nous faut donc changer notre rapport à l'information, en sortant de l'ancien paradigme de la presse écrite, et construire immédiatement un plan d'urgence d'ensemble si nous voulons sauvegarder nos valeurs républicaines et démocratiques pour préparer « le monde d'après ».
Un monde où l'information redeviendra indépendante des pouvoirs de l'État et de l'argent.
Un monde où nous pourrons renforcer et pérenniser toutes nos formes de presse, et pas seulement les IPG, et garantir tous les moyens d'une distribution pluraliste sur l'ensemble du territoire.
Les problèmes financiers de Presstalis sont aujourd'hui abyssaux et la crise de la presse, accentuée par la pandémie mondiale, nous oblige à revoir l'ensemble de nos méthodes de fabrication, d'impression et de diffusion.
Des solutions existent, elles nécessitent de casser la concentration capitalistique des médias aux mains de quelques grandes fortunes ; d'orienter les aides vers les titres qui en ont réellement besoin ; de susciter le développement et l'innovation éditoriale pour une plus grande proximité avec les lecteurs ; d'aider à la constitution de SCIC ; etc.
Notre presse – culturelle, politique, sociale, éducative, intellectuelle et émancipatrice – est une des plus riches du monde par sa diversité. Ne laissons pas passer cette chance de la sauver des appétits de ce capitalisme néolibéral en fin de vie.
« Dans un pays où règne ostensiblement le dogme de la souveraineté du peuple, la censure n'est pas seulement un danger, mais encore une grande absurdité.
Lorsqu'on accorde à chacun un droit à gouverner la société, il faut bien lui reconnaître la capacité de choisir entre les différentes opinions qui agitent ses contemporains, et d'apprécier les différents faits dont la connaissance peut le guider.
La souveraineté du peuple et la liberté de la presse sont donc deux choses entièrement corrélatives : la censure et le vote universel sont au contraire deux choses qui se contredisent et ne peuvent se rencontrer longtemps dans les institutions politiques d'un même peuple. »
Alexis de Tocqueville – De la démocratie en Amérique – Extrait – 1848