Les entreprises sous emprise de la finance
Les cinquante dernières années ont été marquées par un retour en force du capital parmi les parties prenantes des entreprises. Ce mouvement de financiarisation, associé à... Lire la suite
Il y avait déjà eu les 2 200 milliards de dollars du Cares Act, adopté en mars 2020 par le Congrès et signé par Donald Trump, qui avaient généré des chèques aux ménages, des allocations chômage plus généreuses versées plus longtemps et à plus de monde, ainsi que des prêts aux petites entreprises. Fin avril, le Congrès avait encore adopté une rallonge de 483 milliards de dollars et, la crise se prolongeant, un nouveau plan de 900 milliards de dollars avait été voté fin décembre 2020.
L'administration Biden, arrivée à la Maison-Blanche en janvier dans les conditions rocambolesques que l'on sait, aura marqué sa priorité d'intensifier encore les efforts pour « relancer la consommation et limiter les effets délétères de la crise sanitaire sur les ménages modestes », résume Mathieu Cocq, économiste à la CGT. Doté de 1 900 milliards de dollars (1 595 milliards d'euros), le «plan de sauvetage américain» adopté par le Congrès, le 10 mars, prend en effet des allures de New Deal.
Parmi les mesures phares de ce troisième programme de dépenses majeures des États-Unis pour lutter contre les effets de la pandémie de Covid-19, il y a ces chèques de 1400 dollars (1175 euros) envoyés aux personnes gagnant moins de 75 000 dollars (62 981 euros) par an, aux couples mariés dont les revenus ne dépassent pas 150 000 dollars (125 800 euros), et envoyés aussi pour chaque personne à charge. Ces chèques viendront compléter ceux de 600 dollars (503 euros) envoyés dans le cadre du plan de 900 milliards de dollars (755 milliards d'euros) adopté fin décembre.
Sans compter la prolongation jusqu'en septembre du versement d'allocations chômage additionnelles de 300 dollars (252 euros) par semaine, qui devait expirer le 14 mars. L'administration Biden cible les familles les plus modestes en leur accordant des crédits d'impôt substantiels. L'augmentation du crédit d'impôt de 2000 à 3 600 dollars (3 000 euros) pour les enfants jusqu'à 5 ans et jusqu'à 3 000 dollars (2 500 euros) pour les enfants de 6 à 17 ans. Le versement d'une enveloppe de 126 milliards de dollars (105,7 milliards d'euros) est destiné aux écoles, de la maternelle au lycée, et de 39 milliards (32,7 milliards d'euros) aux crèches. L'enveloppe prévoit également quelque 350 milliards de dollars (294 milliards d'euros) en faveur des États, des collectivités locales ainsi qu'aux tribus et territoires.
Temple historique du capitalisme fondé sur le culte de la libre entreprise, les États-Unis partent de loin en termes de droits sociaux, de couverture santé, d'accès à l'éducation, mais cette séquence montre que le recours à la dépense publique correspond à une décision politique. Parmi les plus touchés par les mesures de fermeture pour circonscrire l'épidémie, le secteur de la restauration devrait bénéficier d'une enveloppe de 25 milliards de dollars (21 milliards d'euros). Et bien que l'augmentation du salaire minimum à 15 dollars – contre 7,25 dollars actuellement – ne figure finalement pas dans la loi, ce sont, au total, 400 milliards de dollars qui vont soutenir les dépenses de consommation.
À cela s'ajouterait –s'il passe l'épreuve du Congrès – un plan d'investissement «Build Back Better » («Reconstruire mieux») doté de quelque 2000 milliards de dollars pour investir dans les infrastructures au cours des huit prochaines années et créer des «millions d'emplois». Ce volet prévoit notamment d'injecter 620 milliards de dollars dans les transports en vue de rénover plus de 32000 kilomètres de routes et autoroutes, et de réparer quelque 10000 ponts à travers les États-Unis.
«Le plan de relance de Biden ridiculise complètement la politique de Macron et fait tomber le dogme sans cesse répété selon lequel “l'État ne peut rien”, on n'a pas les moyens de faire de la dépense publique», analyse l'économiste de la CGT. La Maison-Blanche montre que c'est faux. D'abord par le montant impressionnant du plan de relance à la consommation – 1900 milliards, c'est près de trois fois le plan européen, dont l'argent n'est toujours pas débloqué –, ensuite et surtout par le second volet de 2300 milliards d'investissement qui viennent pérenniser le premier effort face à l'urgence.
Ça nous ridiculise doublement: alors que Macron et Le Maire passent leur temps à distribuer des aides publiques aux entreprises sans aucune contrepartie et en espérant que cela génère miraculeusement de l'investissement privé, selon la théorie éculée du “ruissellement”, Biden applique une politique keynésienne en investissant directement dans le secteur économique. Il admet que le secteur privé ne peut pas tout. Les USA sont beaucoup plus pragmatiques que nous. Quand il s'agit de sauver le capitalisme, ils y mettent les moyens.» Et de regretter «un manque total de vision du gouvernement français qui fait les mêmes erreurs que les Américains il y a trente ans».
L'autre changement intéressant concerne la politique fiscale qui servirait à financer ce programme d'investissement. Martelant « croire au capitalisme américain » mais s'indignant qu'«un enseignant paye 22% d'impôts sur le revenu alors que des groupes comme Amazon ne paient pas d'impôt au niveau fédéral», Joe Biden prévoit une augmentation de la fiscalité sur les hauts revenus et les hauts patrimoines ainsi qu'une hausse de l'impôt sur les sociétés de 21 à 28%.
Même si ces chiffres sont à relativiser, car cet impôt était de 35% avant l'arrivée de Donald Trump au pouvoir, «là encore, on voit bien que la rengaine selon laquelle il faut baisser l'impôt sur les sociétés au risque de faire chuter leur compétitivité n'est qu'une posture», relève l'économiste. «Mais il ne faut pas se tromper sur ce qui est en train de se passer, nuance-t-il. Le 9 mai, Biden annonçait relancer la politique de contrôle des chômeurs pour s'assurer qu'ils recherchaient bien un emploi, etc. On n'est pas sorti de la logique traditionnelle selon laquelle chacun est responsable de son sort. Les États-Unis n'adoptent pas un modèle totalement progressiste.»
L'autre grand défi de l'administration Biden est celui du combat en faveur d'une imposition minimale mondiale des bénéfices des multinationales. «Nous travaillons avec les pays du G20 pour convenir d'un taux d'imposition mondial minimum sur les sociétés, qui peut arrêter la course vers le bas», déclarait Janet Yellen, secrétaire au Trésor des États-Unis, le 5 avril. Bien sûr, cela servirait les intérêts américains après l'augmentation sur son territoire des taux d'imposition aux entreprises.
Mais cela marquerait aussi une rupture avec quarante années de concurrence fiscale planétaire effrénée. L'objectif de départ était de 21%, un taux soutenu par la France et l'Allemagne notamment, mais face à la levée de boucliers de plusieurs pays paradis fiscaux comme l'Irlande, qui applique un taux d'impôt à 12,5%, Biden a reculé. On parle désormais de 15%, un taux jugé trop bas pour mettre fin à l'évasion fiscale.
«C'est trop faible, trop peu ambitieux, regrette Mathieu Cocq et les freins viennent surtout de l'Europe, puisque c'est là que se situent la plupart des paradis fiscaux. Nous sommes bien, aujourd'hui, les plus libéraux.» Ayant pris soin de rappeler la marge à rattraper entre le taux d'imposition américain d'environ 32% du PIB et le chiffre européen plus proche des 45%, Laurence Boone, l'économiste en chef de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), résumait sur France Culture, le 2 juin: « Il y a une vraie volonté américaine de recréer un État providence, […] un système impôts-dépenses qui permette d'offrir aux citoyens américains un vrai socle de protection et des services publics. C'est un vrai changement de doctrine.»
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