Maureen Kearney, secrétaire du Comité de groupe européen d'Areva, voulait dénoncer un plan secret entre EDF et le chinois CGNPC qui aboutirait à des transferts de technologies et in fine au démantèlement d'Areva. Elle est agressée chez elle quand elle demande la mise à l'ordre du jour de cette question.
Dix ans après l'agression et le viol de Maureen Kearney, secrétaire CFDT du Comité de groupe européen d'Areva, les coupables courent toujours. La récente réédition de « la syndicaliste », enquête de Caroline Michel-Aguirre aux éditions « le livre de poche* » se double cette semaine de la sortie en salle du film éponyme** de Jean-Paul Salomé, où Isabelle Huppert interprète le rôle Maureen Kearney.
L'avocat du Comité de Groupe raconte
Rachid Brihi, avocat du Comité de groupe européen d'Areva au moment des faits se souvient des circonstances de cette agression : « En 2012, j'ai été interpellé par Maureen Kearney au sujet de contrats et négociations secrètes qu'Areva dissimulait aux représentants des travailleurs. L'avant-projet d'un accord entre Areva, EDF et le groupe chinois CGNPC lui avait été transmis. Sans faire état du fait que nous possédions ce document, le Comité de groupe Européen me mandate pour annoncer à la direction que si elle persiste dans son refus de convoquer la consultation du Comité de groupe européen, nous saisirions la Justice. La Direction dément. Je présente alors un projet de résolution à faire voter par les membres du Comité de Groupe européen d'Areva, qui est la dernière tentative pour éviter le contentieux. Or malgré cette résolution, le PDG Luc Oursel fait la sourde oreille. Et c'est là qu'arrive le deuxième document… »
La preuve par la photo
Maureen Kearney reçoit une photo sur laquelle figurent ensemble le patron d'EDF, Henri Proglio, celui d'Areva, Luc Oursel et He Yu, patron du groupe chinois CGNPC en train de célébrer la signature de l'accord. « Là, j'envoie un recommandé de mise en demeure à Luc Oursel. Et c'est à ce moment précis qu'arrive la catastrophe. Maureen Kearney est agressée chez elle et le procès que voulait intenter le Comité de groupe n'aura jamais lieu. »
Alors que la chronologie des faits est plus que troublante, l'agression du 17 décembre 2012 laissera une femme désemparée, dont la parole sera sans cesse remise en cause, accusée qu'elle sera, y compris, d'avoir été l'autrice d'une mise en scène. Une violence individuelle qui se cumule avec un désastre industriel : « Nous soupçonnions qu'il y avait des transferts de technologies de la filière nucléaire française dans cet accord. Et aujourd'hui, on voit que les Chinois fabriquent des réacteurs nucléaires qui sont revendus en Europe ! » se désole l'avocat.
Les limites des IRP
Appelé par la victime après son agression, Maître Brihi, demeure choqué par ce drame jusqu'à se demander si ce n'est pas sa mise en demeure auprès du PDG qui aurait été l'élément déclencheur du drame. Expert des Comités de groupe européen, l'avocat explique à Maureen qu'elle doit prendre un avocat pénaliste pour cette agression qui dépasse le champ du droit social. Et il le concède qu'on arrive ici aux limites des compétences des institutions représentatives du personnels : « Nous avons des outils juridiques qui permettent d'encadrer ou surveiller l'intérêt des travailleurs quand les entreprises capitalistes développent leurs activités. Mains maintenant soyons lucides : d'un point de vue strictement juridique, on peut embêter ceux qui voudraient s'affranchir des prérogatives consultatives. Mais au final, rien ne remplace la mobilisation des travailleurs ! »
*« La syndicaliste » de Caroline Michel-Aguirre, 262 pages, Le livre de Poche, février 2023, 8,40euros
**Film Réalisateur Jean-Paul Salomé, 122 minutes, avec Isabelle Huppert dans le rôle de Maureen Kearney, sortie 1er mars 2023