Femmes en première ligne
Combatives et opprimées, victimes de préjugés et toujours en lutte pour faire progresser la société, les femmes défendent pied à pied une émancipation qui ne se conquiert... Lire la suite
A Paris, le cortège qui a défilé sous une pluie battante de la place de la République à Nation pour exiger « l'égalité au travail et dans la vie» a rassemblé plus de 13 500 personnes, selon la police. Conscientes que les femmes seront les grandes perdantes de la réforme sur les retraites, bon nombre étaient déjà descendues dans la rue, la veille. Déjà, les femmes ont une pension inférieure de 40% à celles des hommes. Elles sont plus nombreuses à pousser jusqu'à 67 ans, l'âge d'annulation de la décote, du fait de carrières plus hachées. Demain, en l'état actuel du projet, la génération 1972 devra par exemple travailler 9 mois de plus, contre 5 pour les hommes.
Postée près d'une bannière syndicale réclamant « l'égalité salariale, c'est maintenant », Barbara Filhol, militante cégétiste travaillant en Ehpad, est de toutes les manifs. « Dans mon secteur, les salariées ne pourront pas travailler deux ans de plus, les conditions de travail sont tellement dégradées. Nos corps vont dire stop avant. Comment voulez-vous porter des résidents de plus de 80 kilos à plus de 60 ans passés ? Sans parler de la charge émotionnelle. Au moment de la crise sanitaire, 295 résidents sont morts en quatre mois, sans que l'on puisse se faire aider d'un psychologue. Lier droit à la retraite et droits des femmes est une évidence pour moi ». Une évidence partagée par Marie Anne, chercheuse au CNRS, flanquée de sa collègue Stéphanie. « Nous sommes revenues aujourd'hui parce que nos emplois nous permettent de nous organiser, ce qui n'est pas le cas de toutes les femmes. Je combine la journée du 8 mars avec la mobilisation contre la réforme des retraites parce qu'elle touche particulièrement les femmes qui devront travailler plus longtemps du fait des temps partiels, des carrières incomplètes, et donc des pensions réduites », témoigne Marie-Anne. Au gré des pancartes et des banderoles, les colères s'expriment : « 16-64, c'est une bière, pas une carrière », « retraites des femmes, retraites infâmes », « marre de simuler nos retraites, on veut en jouir ». Zaia, contrôleur des finances publiques dans un hôpital public, manifeste le 8 comme le 7 mars « parce que malheureusement, encore aujourd'hui, on est obligé de se battre pour l'égalité salariale. Encore une fois, les femmes vont être davantage pénalisées par cette réforme des retraites que les hommes ».
Plus loin, « les Rosie », figures incontournables de la lutte contre les réformes des retraites depuis 2019, se trémoussent au rythme d'un tube de Mylène Farmer. Trois effigies de vautours incarnant la pénibilité, l'injustice et la précarité volent au-dessus des têtes. Si l'opposition à la réforme des retraites prédomine, les milliers d'hommes et de femmes qui défilent dans les rues de la capitale n'en oublient pas la lutte contre les violences faites aux femmes, contre les féminicides, le droit à l'IVG, le soutien aux femmes afghanes, iraniennes, kurdes. Une manifestante d'origine iranienne « dénonce le gazage dans les écoles des étudiants opposés au régime ». Vêtu d'une chasuble jaune à l'effigie de son ONG, Jean-Claude Samouiller, président d'Amnesty international France, est solidaire des « femmes afghanes, iraniennes dont le quotidien est insupportable. Je manifeste aussi pour le droit à l'IVG en recul aux Etats-Unis, en Pologne ou en Hongrie ». Pour Stéphanie, chercheuse au CNRS, « le féminisme, c'est dur. On nous reproche parfois de jouer la division, des camarades nous enjoignent de parler lutte des classes plutôt que lutte féministe. Or, le patriarcat a fait trop de mal, il faut en finir avec ce système pour le bien de toutes et tous. Si on est solidaire, si on est humaniste et qu'on veut lutter contre les inégalités, ça suppose d'être féministe. Lutter pour les droits de la moitié de la population n'est pas une lutte secondaire mais une lutte incontournable ».