9 novembre 2023 | Mise à jour le 30 novembre 2023
Convoqués pour un CSE central extraordinaire portant sur le projet de transformation voulu par leur direction, les salariés de l’usine Yara de Montoir-de-Bretagne ont appris, le 30 octobre, la suppression de 139 postes sur les 171 que compte le site. Le projet de transformation consiste, en réalité, en un arrêt total de la production. Cette annonce intervient alors que l’industriel a enfreint à de multiples reprises ses obligations en matière de sécurité de ses salariés et de respect de l’environnement.
« C’est une fermeture de site maquillée en projet de transformation. » Sébastien Fulgueiri, délégué CGT de l’usine Yara de Montoir-de-Bretagne près de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) est amer. Ce dernier travaille comme opérateur de fabrication dans l’usine de fabrication d’engrais chimiques du groupe norvégien Yara, à Montoir-de-Bretagne. Le site, classé Seveso seuil haut, produit 600 000 tonnes d’engrais azotés par an à destination notamment de l’agro-industrie française. Ce 30 octobre, la direction de Yara, a annoncé lors d’un CSE central son projet de « transformation du site en terminal d'importation et en unité de pointe de mélange et d'imprégnation d’engrais sur mesure » et la suppression de 139 emplois sur 171 à l’usine de Montoir-de-Bretagne. La direction annonce également que 12 postes seraient créés. « La mise en place d’une plateforme logistique signifie qu’il n’y aura plus de production à Montoir-de-Bretagne, dénonce Sébastien Fulgueiri. Yara va importer des engrais produits à l’étranger, qui seront conditionnés à Montoir-de-Bretagne car le marché français est très important pour Yara et ils n’ont pas l’intention de s’en passer. » La production d’engrais devrait effectivement s’arrêter dans les six mois. Dès le lendemain de l’annonce, un préavis de grève illimité a été déposé (le site est actuellement fermé pour des raisons techniques).
Pour justifier sa décision, la direction explique que « l'entreprise subit de plein fouet l'évolution très défavorable » du marché des engrais NPK composés et met en avant la mauvaise santé financière de l’usine. « À fin septembre 2023, le site affichait une perte de près de 40 millions d'euros d'EBITDA. Il a été déficitaire pendant 5 années sur les 6 derniers exercices » fait savoir Yara. Un bilan contesté par la CGT, qui travaille déjà aux côtés d’un expert à démontrer la viabilité économique du site : « le chiffre d’affaires du groupe Yara se porte très bien [NDLR : en 2022, le chiffre d’affaires du groupe a augmenté de 45% pour atteindre 24 milliards de dollars (22,3 milliards d’euros)]. Ce qu’on observe, c’est surtout un manque d’investissement dans l’usine depuis une dizaine d’années. » Un « accord de méthode » doit désormais être négocié entre la direction et les syndicats pour obtenir des conditions de départ les plus favorables possibles.
Licencier plutôt que mettre aux normes
Depuis de nombreuses années, l’usine Yara de Montoir-de-Bretagne se distingue par de graves manquements à la réglementation en matière de protection de l’environnement et suscite de nombreuses inquiétudes de la part des élus et des riverains. Un collectif composé d’associations et d’organisations (dont Attac, l’Union Syndicale Solidaire, la Ligue des Droits de l’Homme…) demandait encore récemment la suspension administrative du site, le temps que soit réalisés les travaux nécessaires à la mise aux normes. « Cette solution permettait de maintenir l’outil de travail dans l’intérêt des travailleurs et de la population et de conserver les emplois, mais la préfecture n’a pas voulu entendre cette demande » déplore Marie-Aline Le Clerc, de l’Association environnementale dongeoise des zones à risques et du PPRT (AEDZRP44, membre du collectif). Selon l’association, environ une centaine de millions d’euros auraient dû être déboursée par l’industriel pour réaliser les travaux nécessaires. « L’action et le travail des associations étaient complémentaires à la notre, explique Sébastien Fulgueiri. Cela permettait d’augmenter la pression pour que notre société se mette aux normes. » « Plutôt que de régulariser leur usine, Yara a préféré licencier ses salariés » dénonce Marie-Aline Le Clerc, qui se dit « choquée par cette décision brutale » qui ne répond pas aux inquiétudes du collectif.
Selon l’association, l’industriel a connaissance de ses manquements à la réglementation en matière d’environnement depuis au moins trente ans : « il y a deux coupables dans cette histoire, l’industriel qui a refusé de respecter ses obligations, et l’État qui aurait dû agir depuis des années. Si l’État avait pris ses responsabilités, nous n’en serions pas là aujourd’hui. »
Plus récemment, l’étau s’était resserré sur l’industriel. En 2020, le parquet de Saint-Nazaire a ouvert une information judiciaire visant la multinationale norvégienne pour « exploitation non conforme d'une installation avec atteinte grave à la santé ou à la sécurité des personnes ou dégradation substantielle de la faune, la flore, la qualité de l'air, du sol ou de l'air ». Un plan « vigilance renforcée » a même été imposé par le ministère de l’Écologie à Yara depuis le 1er juillet 2021 « du fait de non-conformités majeures et répétées au code de l'environnement » selon la préfecture de Loire-Atlantique, citée par Le Monde. En décembre 2020, le préfet de Loire-Atlantique avait exigé de l’entreprise qu’elle verse 28 500 € d'astreintes pour « des rejets d'eaux industrielles » dépassant « les valeurs limites » en azote et en phosphore. En février 2022, le site a avait été contraint à nouveau à verser 80 400 € en raisons de rejets atmosphériques en poussière dépassant le seuil autorisé.
Un décès sur le site
Le 24 octobre, un salarié intérimaire âgé de 50 ans est décédé des suites d’un malaise survenu dans l’usine. Une enquête est en cours pour déterminer la cause du décès mais selon la magistrate en charge du dossier, l’autopsie réalisée permet « d’exclure toute cause d’origine traumatique ». Selon Le Figaro, le salarié aurait été pris de vomissements dans la matinée avant d’être retrouvé inanimé par ses collègues en fin de journée.
L’omerta qui a entouré cet événement tragique nourrit toutefois tous les soupçons. « Aucune information n’a fuité à la presse régionale, c’est complètement anormal que cela se passe ainsi » analyse Marie-Aline Le Clerc. En mars 2022, deux salariés de l’usine Yara de Amblès (Gironde) avaient été gravement blessés suite à une fuite d’amomniac. La direction du site a, elle, fait savoir que le décès du salarié n’a aucun rapport avec la présence d’ammoniac sur le site.