14 février 2024 | Mise à jour le 14 février 2024
Samedi 10 février 2024, une mobilisation sociale a touché une dizaine de magasins du hard-discounter Action. Cadences infernales, mépris de leur direction, ultra-polyvalence… Les salariés décrivent un quotidien de travail éreintant, fait d’humiliations et d’intimidations, pour un salaire de misère.
Anthony* travaille comme employé polyvalent dans un magasin Action de la région Grand-Est depuis cinq ans. Payé au SMIC horaire pour un contrat de 30 heures par semaine, il tient la caisse, renseigne les clients, nettoie le magasin, met en rayon. Son travail est chronométré : il dispose, ainsi, d’un laps de temps serré pour vider les chariots et mettre les colis en rayon, avant d’enchaîner vers une autre tâche. Anthony parvient à composer avec la grande polyvalence que requiert son poste. Mais ce à quoi il ne se résout pas, c’est la brutalité avec laquelle les salariés sont traités au quotidien. « Pour n’avoir pas respecté le timing, j’ai vu des collègues se faire hurler dessus jusqu’à en pleurer. » Ces scènes, où un manager « crie ou hurle » sur un salarié, sont, selon lui, des faits récurrents au sein de l’enseigne. Ce qui l’interroge : « Comment se fait-il que des responsables de magasins différents, dans des régions différentes, usent tous de la même méthode au sein d’Action ? »
11,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires
Spécialisé dans la vente à prix cassés d’articles non alimentaires (décoration, nettoyage, soin du corps, articles pour les animaux domestiques…), le hard-discounter néerlandais est l’un des géants du secteur. « Action est le grand succès commercial en Europe. À partir d'un seul petit magasin à Enkhuizen (Pays-Bas), nous nous sommes développés en l'espace de 30 ans en une entreprise de détail internationale possédant plus de 2.250 magasins dans 11 pays et réalisant un chiffre d'affaires annuel de 8,9 milliards d'euros (2022) », détaille ainsi son site internet. Arrivé en France il y a neuf ans, l’enseigne y possède aujourd’hui environ 620 magasins et emploie 14 000 salariés. En cette période inflationniste, le secteur du hard-discount a le vent en poupe et Action attire chaque année un peu plus de clients à la recherche de plaisir à petit prix. Son modèle est simple : tout à l’économie. Ce qui engendre, logiquement, des conditions de travail dégradées.
Bien loin du narratif de la success story vantée par l’enseigne, les salariés d’Action décrivent, en effet, des conditions de travail insupportables, raison principale du mouvement de grève de ce samedi 10 février 2024. Ils réclament entre autres, un environnement de travail sain, le respect de l’intégrité physique et mentale des personnes et une augmentation de salaires de 10%. En effet, alors que l’année 2023 a été exceptionnelle pour le groupe Action, qui a vu son chiffre d’affaires augmenter de 27,8% pour atteindre 11,3 milliards d’euros, en France, l’immense majorité de ses salariés restent payés au SMIC.
Mépris des employés
Autre revendication des grévistes : que la direction s’engage à transmettre dans les temps les documents administratifs, démarche indispensable aux salariés. « La direction prend parfois plusieurs mois pour envoyer les attestations de fin de contrat à Pôle emploi ou les arrêts maladie à la sécurité sociale…, explique Mélanie Basty-Ghuysen, salariée d’Action et élue au CSE sous la bannière CGT. C’est un mépris total des salariés. Certains ont pu se retrouver interdit bancaire ou en expulsion locative à cause de cela. »
Mélanie Basty-Ghuysen a rejoint le magasin Action d’Annonay (07) comme employée polyvalente en 2018, à l’ouverture du site. De l’équipe initiale, il ne reste qu’elle : « Le turn-over est très important chez Action. C’est un travail très fatiguant, on manque d’effectifs et de moyens matériels, c’est usant pour la santé physique et mentale des salariés. » En plus de travailler le week-end et les jours fériés, sur une amplitude horaire allant de 5h à 22h, les employés voient leur planning changer d’horaire au dernier moment, au gré des désidérata de leur direction. « Un salarié a été appelé à 2 heures du matin par sa direction pour prendre son poste à 6 heures », abonde Élodie Ferrier, secrétaire fédérale de la CGT Commerce et Services. Le tout, dans un climat de terreur où les intimidations, les humiliations et les pressions sont érigées en système de management. « Beaucoup de salariés vont au travail la boule au ventre, il est très fréquent que des employés se fassent humilier publiquement lors des briefings ou dans les rayons », affirme Mélanie Basty-Ghuysen.
Une salariée de 58 ans a fait un malaise à la suite d’un entretien préalable à un licenciement. La direction l’a laissée par terre durant trois heures.
Pour discipliner les équipes, le management repose, en effet, sur la menace perpétuelle de sanction. Avertissement, « recueil de faits »… la direction n’hésite pas non plus à brandir la menace de la clause de mutation, intégrée au contrat de travail, qui prévoit que les salariés peuvent se faire muter dans un magasin situé dans un rayon allant jusqu’à 50 kilomètres. En tant qu’élue, Mélanie Basty-Ghuysen a récemment exercé son droit d’alerte : « Dans un magasin de la région Rhône-Alpes, une salariée de 58 ans a fait un malaise à la suite d’un entretien préalable à un licenciement. La direction l’a laissée par terre durant trois heures. »
« Action fait du ciblage dans ses recrutements, en embauchant prioritairement des salariés très jeunes, peu renseignés sur leurs droits, ou encore des femmes seules avec enfant ou des personnes en fin de droits qui n’ont, de fait, pas d’autre choix que d’accepter les conditions de travail », analyse Élodie Ferrier. Pour Anthony, cette situation peut, à terme, conduire à des drames : « Chez Lidl, ce type de management a conduit à des suicides. Faut-il qu’on en arrive là pour que la direction change de méthode ? »
*Le prénom a été changé