La réactualisation de l'ouvrage Combats de femmes 1914-1918 qu'elle a dirigé permet à l'historienne Évelyne Morin-Rotureau de souligner l'importance des mouvements féministes et de montrer les mutations de l'entrée des femmes dans le monde du travail.
Chronologie
5 juillet 1914
Première manifestation suffragiste organisée par Séverine.
Août 1914
Marie Curie dirige le service de radiologie de l'armée.
Avril 1915
Congrès international des femmes pour la paix à La Haye.
Avril 1916
Déportation à la campagne de 20 000 travailleuses forcées lilloises.
31 octobre 1917
Lancement de l'hebdomadaire pacifiste La voix des femmes.
Novembre 1917
Procès pour pacifisme d'Hélène Brion (CGT de l'enseignement).
20 mars 1918
Journée des femmes née de l'Internationale socialiste.
1918
Droit de vote pour les Allemandes, les Anglaises, les Autrichiennes…
Si la Première Guerre mondiale a bien été l'occasion d'un début d'émancipation féminine en France en contribuant à augmenter le taux d'activité salariée des femmes, « c'est une légende de dire que la guerre a remis les femmes au travail, indique Évelyne Morin-Rotureau ; ce taux atteignait presque 37 % avant 1914, ce qui est plus qu'entre les deux guerres. Par exemple, dans l'industrie métallurgique, 7 à 10 % de la main-d'œuvre était féminine. Il atteindra 25 % en 1917 et jusqu'à un tiers en région parisienne avec même un taux de 60 % de femmes chez Citroën. »
Plus importante est la mutation des secteurs concernés par le travail des femmes : agriculture, domesticité, couture à domicile, bureaux, le travail féminin a débuté avant guerre, comme en atteste le recensement de 1906. En 1911, 7 millions de femmes (sur 39,6 millions d'habitants) sont sur le marché du travail salarié.
L'appel aux femmes
L'entrée en guerre et la mobilisation causent une désorganisation économique totale, provoquant un grand nombre de fermetures d'usines, d'ateliers, de commerces. Cette impréparation peut sembler étonnante… « On pensait que la guerre serait très courte et que tout serait terminé fin 1915. Lorsqu'on a vu qu'elle allait durer, il a bien fallu réagir et se réorganiser. L'appel à la main-d'œuvre féminine ne sera pas la première option dans une société où les rôles sont très sexués. En effet, il est d'abord fait appel aux hommes non mobilisables (trop jeunes ou trop âgés), puis on fait revenir du front des ouvriers très qualifiés et on puise dans la main-d'œuvre des colonies françaises. Lorsque, dans un deuxième temps, on se rend compte que ça ne suffira pas, on fait appel aux femmes », explique l'historienne.
Des usines aux campagnes
Mais l'univers du travail féminin a été très tôt bouleversé, surtout dans les classes les moins favorisées. Ainsi, les ouvrières du textile au chômage, les mères de famille sans ressources suffisantes, mais aussi les bonnes se tournent vers l'industrie, notamment métallurgique. « Après la guerre, le nombre de bonnes sera ainsi passé de 700 000 à 350 000. Celles qui ont goûté à la relative liberté du travail salarié ne redeviendront pas domestiques. » La paysannerie connaîtra aussi des bouleversements importants, mais les hommes plus âgés restés dans les fermes ne veulent pas brouiller les rôles masculins/féminins et ne voient les femmes que comme des garantes de la continuité des exploitations. Cependant, comme à la mobilisation des hommes s'ajoute la réquisition des animaux de trait, les instruments agraires sont souvent inadaptés à la morphologie féminine. Cela aura pour conséquence de voir apparaître, dans les grosses fermes, les premières machines agricoles.
Il faut aussi souligner l'importance de la correspondance entre les femmes restées dans les fermes et les hommes mobilisés qui continueront autant que possible à donner des conseils techniques à distance, notamment pour les grandes cultures, les paysannes étant jusqu'alors plutôt cantonnées à l'élevage, à la transformation des produits et à la vente sur les marchés. La correspondance entre les hommes au front et les femmes contribuera aussi à l'alphabétisation de ces dernières.
Un idéal bourgeois
« Le syndicalisme de l'époque s'est aussi fait tirer la jambe sur le travail des femmes », précise Évelyne Morin-Rotureau. L'idéal de la classe ouvrière était calqué sur l'idéal bourgeois. Mais pendant le conflit, lorsque des grèves de femmes ont éclaté, dénonçant notamment les profits de guerre, les syndicats sont intervenus en leur faveur.
Cependant, la notion de « à travail égal, salaire égal » restera théorique, car même si les femmes sont bien mieux payées dans la métallurgie que dans le textile, leur salaire demeure 40 % moins élevé que celui des hommes. Les industriels en profiteront également pour accélérer la taylorisation, retenant au passage jusqu'à 17 % du salaire féminin au prétexte de leur nécessaire formation et du coût de l'adaptation des machines aux capacités féminines… À cette époque, le ministre Albert Thomas pose les bases de la négociation tripartite entre État, syndicats et patronat, tout en veillant à aménager les conditions de travail des femmes dans l'industrie.
Plus qu'une révolution pour le travail des femmes, la guerre de 1914-1918 sera un terrain d'expériences qui lèvera un verrou. La découverte de l'autonomie qu'apporte aux femmes le travail salarié sera surtout marquante pour les catégories les plus aisées qui accéderont aux professions libérales, aux métiers du tertiaire, à l'enseignement secondaire, voire supérieur. Dans les postes, les transports, les femmes avaient massivement remplacé les hommes et y avaient montré leur efficacité, mais seulement une partie de ces métiers resteront féminins. Pourtant, après la signature de l'armistice, et contrairement à d'autres pays européens, il faudra attendre presque trois décennies pour que les femmes deviennent des citoyennes à part entière en obtenant le droit de vote.
Conservatisme à la française
Sur le plan politique, la place des femmes est loin de progresser : « Avant la guerre, tout était très favorable au vote des femmes. On définit même la période 1880-1914 comme l'âge d'or du féminisme et de la presse féministe. » En 1914, le président du Conseil, René Viviani, est lui-même fils d'une féministe. Mais l'entrée en guerre contraint les mouvements féministes à rejoindre « l'union sacrée » et seuls s'opposent les plus radicaux, ouvertement pacifistes et souvent issus de milieux plus modestes. Dans la bourgeoisie et l'aristocratie, dans la lignée des « bonnes œuvres », l'effort de guerre est soutenu, notamment par l'engagement auprès de la Croix Rouge de quelque 100 000 jeunes femmes.
Les mouvements féministes pacifistes vont être très largement censurés, notamment pour ce qui concerne leur presse dont la journaliste Séverine dira alors qu'elle ressemble à de la dentelle… Mais elles continueront notamment à batailler avec la plus grande fermeté contre l'embrigadement des enfants, mouvement qui s'amplifiera en 1917 après la boucherie du Chemin des Dames et les premières mutineries. L'idée de la non-revanche et la volonté que le bellicisme ne soit pas transmis aux générations futures ne donneront malheureusement pas le résultat escompté, comme le montrera le second conflit mondial.
L'après-guerre apportera son lot de désillusions à celles qui avaient cru pouvoir continuer leur émancipation. Comme le résume l'historienne Michelle Perrot, « les guerres ne sont jamais un facteur de libération ». Pays très conservateur et catholique, la France voit le Sénat rejeter à trois reprises le vote des femmes que les députés avaient approuvé, alors que les femmes votaient déjà dans les pays européens d'obédience protestante.
La déception des femmes de la bourgeoisie, qui voyaient le droit de vote comme une récompense, se doublera du mécontentement des féministes plus radicales qui l'attendaient comme un droit. Au prétexte de repeupler la France, on renverra la majorité des femmes dans leur foyer en instaurant des mesures visant à favoriser la natalité.
Les origines du 8 mars
La première grande manifestation politique publique de femmes en France depuis la Révolution a lieu à Paris, non pas le 8 mars, mais le… 5 juillet 1914. Regroupées autour de Louise Saumoneau, des socialistes françaises défilent pour le droit de vote des femmes.
Mais l'initiative de la journée annuelle de mobilisation pour les droits des femmes du monde entier revient à Clara Zetkin qui, avec Rosa Luxemburg, avait créé l'Internationale des femmes socialistes en 1907. Le choix du 8 mars a plusieurs origines : le 8 mars 1910 à Copenhague pour servir la propagande en faveur du vote des femmes ; le 8 mars 1921, décrété Journée des femmes par Lénine en commémoration de la manifestation des ouvrières de Saint-Pétersbourg réclamant du pain et l'arrêt de la guerre le 23 février 1917 (8 mars de notre calendrier) ; le 8 mars 1943, manifestation des résistantes italiennes et participation aux grèves qui hâteront la chute de Mussolini.
La fête devient surtout communiste, avec un point d'orgue en France où, en 1948, 100 000 femmes défilent à Paris à l'appel de la CGT et du PC. La légende d'une autre origine est inventée en 1955 : la date du 8 mars commémorerait une grève des ouvrières de New York de 1857. La commémoration ne se limite plus aux États socialistes.
En 1982, ce détournement de l'histoire est établi par deux chercheuses, mais la légende a la vie dure… En 1975, les Nations unies commencent à observer cette journée. En France, le gouvernement officialise la date du 8 mars en 1982. En 1999, il est décidé qu'un comité interministériel chargé des droits des femmes se réunira chaque 8 mars.