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ÉGALITÉ

Aux grands hommes...

28 mars 2014 | Mise à jour le 4 mai 2017
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Aux grands hommes...

Alors que le 21 février, François Hollande a annoncé la panthéonisation prochaine de quatre figures de la Résistance, retour sur la difficile mise en place d'un temple républicain à la gloire des « grands hommes ».

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Chronologie

1764 Début de l'édification de l'église Sainte-Geneviève par Soufflot.

 

1791 Panthéonisation de Mirabeau et de Voltaire.

 

1794 Entrées de Marat et de Rousseau et sortie de Mirabeau.

 

1806 Le lieu est en partie rendu au culte catholique.

 

1885 Entrée de Victor Hugo. Le lieu restera un temple laïque.

 

1924 Panthéonisation de Jean Jaurès.

 

1964 Entrée de Jean Moulin.

 

1995 Marie Curie est la première femme à y entrer pour ses mérites.

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Le Panthéon figure en bonne place parmi les symboles fondateurs de la République française

C'est en avril 1791, à la mort de Mirabeau, que l'Assemblée Constituante décide de concrétiser le culte rendu aux grands hommes, imaginé par les écrivains des Lumières trente ans plus tôt, comme l'a étudié l'historien Jean-Claude Bonnet. Elle charge alors l'architecte Quatremer de Quincy de transformer l'église Sainte-Geneviève en un panthéon laïc. Cette dernière fut édifiée à partir de 1764 par le grand architecte Jacques-Germain Soufflot, selon la volonté de Louis XV.

Alors qu'il est gravement malade, ce dernier fait la promesse, en 1744, de vouer un bâtiment à la mémoire de Sainte-Geneviève, patronne des Parisiens, en cas de guérison. La capitale devait alors se doter d'un édifice comparable à Saint-Pierre de Rome, et Soufflot s'y emploie avec faste. Tout un symbole catholique donc qui va être choisi par les révolutionnaires pour incarner leurs idéaux et satisfaire leur besoin de sacralité. Le marquis de Pastoret propose alors la fameuse formule : « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante ». Mais là, rien n'est encore joué. Une longue bataille va suivre durant presque un siècle, avant que le lieu devienne définitivement un temple républicain.

 

Allers-retours

Avec le Panthéon, nous voilà au cœur des soubresauts qui ont jalonné la mise en place de la République. « Aux panthéonisations glorieuses succèdent des “dépanthéonisations” honteuses qui jettent la suspicion sur le temple de la colline Sainte-Geneviève », comme le résume l'historienne Mona Ozouf, qui a consacré un article sur le Panthéon dans Les lieux de mémoire dirigés par Pierre Nora (1).

Ainsi, Mirabeau, premier à entrer au Panthéon, en 1791, en est chassé le jour où Marat y fait son entrée en 1794, avant de connaître le même sort peu de temps après… Dans ce moment d'intense instabilité, les révolutionnaires ont vite fait de perdre leur stature de modèle… « Chaque élection au Panthéon des hommes de la Révolution est assortie d'une exclusion », rappelle l'historienne. Entre-temps, Voltaire est panthéonisé le 11 juillet 1791. Lui y restera malgré les luttes qui suivront, tout comme Rousseau, entré en 1794.

 

La grande fournée des militaires

Par un décret du 20 avril 1806, Napoléon 1er rend le lieu au culte catholique, tout en conservant la crypte pour la panthéonisation de ses dévoués serviteurs. Durant son règne, l'empereur y fera entrer une fournée de sénateurs, généraux et officiers de la Légion d'honneur. Et c'est ainsi qu'une ribambelle d'illustres inconnus – qui se souvient de Jean Marie Pierre Dorsenne, Jean Lannes, Antoine-Jean-Marie Thévenard ou de Frédéric Henri Walther ? – y sont enterrés aux côtés de Voltaire, Zola ou Jaurès.
Sous la Restauration, par un décret de 1821, Louis XVIII rend le lieu exclusivement au culte religieux. Quand certains exigent que la dépouille de l'anticlérical Voltaire en soit chassée, le roi aurait rétorqué que cela ne lui ferait pas de mal d'entendre la messe une fois dans sa vie…
En 1830, le temple laïque renaît, puis disparaît de nouveau après le coup d'État de 1848. Le lieu garde d'ailleurs les traces de ces revirements où les imageries religieuses côtoient les représentations républicaines.

 

Un temple voué aux grands intellectuels

Il faudra attendre les funérailles grandioses de Victor Hugo, en 1885 – quelque deux millions de personnes y assistent – pour que le monument soit définitivement voué à la mémoire des grands hommes et perde sa vocation religieuse. L'inscription « Aux grands hommes… » est remise sur le fronton. Comme le note Mona Ozouf : à la fin du XIXe siècle, « le Panthéon est le lieu d'une Révolution installée, éternisée, triomphante, qui a oublié, ou voulu oublier, son histoire ». Le Panthéon figure en bonne place parmi les symboles fondateurs de la République française. Edgar Quinet écrivit ainsi : la transformation de l'église Sainte-Geneviève en un panthéon visait à réaliser « le beau rêve de la Constituante, [à savoir] l'éducation morale d'un peuple dans la liberté par le souvenir consacré des meilleurs ».

La place des écrivains est grande et pas seulement pour leurs qualités littéraires, mais aussi pour leurs engagements politiques. Ainsi Zola est-il panthéonisé pour son œuvre mais aussi pour son « J'accuse », lors de l'affaire Dreyfus. Comme le note l'historien Patrick Garcia dans un article consacré aux panthéonisations sous la Ve République (2), « Les “grands hommes” sont plutôt marqués à gauche et le Panthéon bien plus ouvert aux intellectuels (hommes de culture et scientifiques) qu'aux dirigeants politiques ». Il rappelle ainsi que René Cassin est panthéonisé en 1987 en tant que père de la Déclaration universelle des droits de l'homme, Jean Monnet, l'année suivante, comme celui de l'idée européenne ; Condorcet, l'ecclésiastique Henri Grégoire et le mathématicien Gaspard Monge sont inhumés lors du bicentenaire de la Révolution française, en 1989, pour avoir été des « intellectuels en révolution ».

 

« Entre ici Jean Moulin »

Il est des panthéonisations conflictuelles comme celle de Jean Jaurès, en 1924, avec trois cortèges distincts : la procession radicale-socialiste officielle, suivie de celle des communistes et puis celle contestatrice de l'Action française. D'autres qui résonnent encore à nos oreilles comme celle de Jean Moulin, en 1964, avec le discours fleuve d'André Malraux. Si durant les années 1970, le lieu est délaissé (aucune panthéonisation n'a lieu entre 1964 et 1987) et le bâtiment, non entretenu, François Mitterrand remet le Panthéon à l'honneur. Onze jours après son arrivée au pouvoir, le président s'y rend pour rendre hommage à Victor Schoelcher, Jean Jaurès et Jean Moulin. Il décidera de 7 panthéonisations durant ses deux mandats, dont celle de Marie Curie, en 1995, première femme à y entrer pour ses mérites (Sophie Berthelot n'y est accueillie, en 1907, qu'en qualité d'épouse du chimiste).

 

Pléthore de candidatures

« Au Panthéon, on ne voit plus, avec le souvenir de la Révolution, que les écrivains et les savants, un musée IIIe République, une docte réunion de prix d'excellence : bref, le voisinage de la rue d'Ulm aidant, ce qu'André Billy appelait drôlement “l'École normale des morts”. » Mona Ozouf soulignait, en 1984, l'échec du Panthéon. Et pourtant, dès l'annonce par François Hollande d'une consultation en vue d'une panthéonisation prochaine, groupes de pression et comités de soutien se sont constitués pour appuyer telle ou telle figure : Denis Diderot, Olympe de Gouges, George Sand, Jules Michelet, Louise Michel, Simone de Beauvoir, Marc Bloch, l'abbé Pierre et tant d'autres. La consultation lancée sur Internet par le Centre des musées nationaux, en septembre 2013, a récolté plus de 30 000 réponses, selon Philippe Bélaval, son directeur, dans un rapport remis au président (3). Preuve que l'entrée au temple républicain reste un acte symbolique fort.

 

(1) Les lieux de mémoire, tome 1, la République, sous la direction de Pierre Nora, éd. Fayard, 1984 et rééd. 1997.
(2) « Les panthéonisations sous la
Ve République » de Patrick Garcia, article publié dans Façonner le passé, Presses universitaires de Provence, 2004.
(3) « Pour faire entrer le peuple au Panthéon « 

 

En savoir +

  • Le Panthéon d'Anne Muratori-Philip, éd. du Patrimoine, 2010
  • Naissance du Panthéon. Essai sur le culte des grands hommes, de Jean-Claude Bonnet, éd. Fayard, 1998.