20 juin 2015 | Mise à jour le 7 mars 2017
Avec La nuit de Walenhammes », Alexis Jenni signe – osons le mot – un chef d'œuvre. Sa plume est magnifique, son propos – une ex ville minière rongée par le libéralisme – plus que percutant comme son constat sur notre monde qui part en vrille. A dévorer !
« Le maître dit : il faut arrêter avec le romantisme social. (…) Le petit salaire est un coût qu'il faut réduire. Le gros salaire est une marque de réussite qu'il faut développer. » L'éphéméride de Lârbi, qui s'affiche sur le Web et s’efface sitôt qu'il est lu, vaut son pesant d'or. Rédigé par Monsieur Mektoub (littéralement : « ce qui écrit » ou « le destin »), il vient rythmer les 400 pages du dernier roman d'Alexis Jenni. La nuit de Walenhammes pourrait être un très bon roman sur la mort d’une cité minière. Il va bien plus loin en nous décrivant le nouveau monde, en proie au libéralisme le plus abject. Le trait est à peine forcé. Pour ce faire, l’auteur nous conte le périple de Charles Avril, journaliste, venu enquêter sur les drames qui secouent la ville, notamment une piscine qui a pris feu (si, si). Il parsème son récit d’un zeste de science fiction, où l’on croise des Brabançons aux longs manteaux semant la terreur (comme leurs ancêtres du Moyen Age) ou quelques nains qui s’affairent. Surtout, Alexis Jenni invente des personnages clés qui en disent long sur la débandade générale.
FAIRE TABLE RASE
A commencer donc par Charles, pigiste pour un site Internet dont les articles ne sont payés que s’ils font le buzz. « Je pratique un métier en voie de disparition non pas qu’il n’existe plus mais ceux qui le font n’apparaissent plus, pas plus que les employés du nettoyage qui entretiennent les immeubles de bureaux pendant la nuit (…) ». Il y a encore Lârbi Mektoub, en charge du patrimoine de Walenhammes, des vestiges miniers comme des peintures offertes du temps du jumelage avec une ville de l’Oural. Lui, au mieux, il indiffère le maire, Georges Fenycz, au pire, il le met en rage avec sa culture et sa clairvoyance. Il faut dire qu’elles viennent contredire les projets politiques de l’édile : faire table rase et pas que du passé. Il y a encore la préfète complètement inutile qui arbore de belles tenues, une fillette qui dévore Dostoïevski, une maître-nageuse aimante. Et tant d’autres…
Armé d’une plume géniale, Alexis Jenni nous dit tant de choses – non sans humour – sur notre société en pleine déconfiture : les responsables politiques pleins de vide, les entrepreneurs assoiffés, les chômeurs apeurés à Pôle Emploi, le racisme qui bruisse, l’école qui devient vaine quand le travail est mis à mort… La nuit de Walenhammes est un roman génial. Un constat implacable sur ce qui advient.