Simon Delétang, planches de salut
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Ouvrier dans une usine de recyclage à Prague, Hanta pilonne depuis 35 ans des vieux papiers et des œuvres censurées. « Ce genre d'assassinat, ce massacre d'innocents, il faut bien quelqu'un pour le faire », lâche-t-il. Mais voilà qu'à force de presser des montagnes de livres, il prend goût à la littérature et en sauve deux tonnes du pilon qu'il empile au-dessus de son lit. Il dort d'ailleurs sur une chaise de peur que les ouvrages ne tombent sur lui dans la nuit…
Éclairé par une ampoule qui pend, en habits crasseux, chope de bière à la main, Thierry Gibault livre l'incroyable soliloque d'Hanta, écrit par l'écrivain tchèque Bohumil Hrabal (1914-1997), lui-même victime de la censure. Son roman, Une trop bruyante solitude, sera ainsi diffusé sous forme de « samizdat » (publication clandestine), quand Hrabal, comme nombre d'intellectuels tchèques tombés en disgrâce après l'écrasement du Printemps de Prague par les Soviétiques, fait des petits boulots, dont emballeur de vieux papiers…
Ce texte, adapté pour le théâtre par Laurent Fréchuret, est d'une force inouïe tant poétique que politique. Il nous dit la censure, l'absurdité du pilonnage jusque dans sa quête de productivité – Hanta, en voulant sauver des œuvres, fait baisser le rendement –, mais aussi l'amour de l'art et la folie qui gagnent l'ouvrier. Tiraillé entre son boulot aberrant et sa condition misérable, isolé au fond d'une cave, le personnage se réfugie dans ses souvenirs heureux tels ces moments passés avec sa petite Tsigane, avant qu'elle ne soit victime de l'extermination nazie.
Seul bémol à la mise en scène, en tous cas lors des premières représentations : le manque de variations dans le jeu de l'acteur qui adopte un ton monocorde et nous éloigne par moment du texte. Quoi qu'il en soit, il faut aller voir Une trop bruyante solitude, le chef-d'œuvre de Hrabal : c'est un grand moment.
Une trop bruyante solitude, de Bohumil Hrabal, mis en scène par Laurent Fréchuret.
Jusqu'au 29 mars, au Théâtre de Belleville – 94 rue du Faubourg du Temple – Paris 11e.
La pièce sera jouée durant le festival d'Avignon, du 6 au 30 juillet à 16 h 30, au Théâtre des Halles.
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