Simon Delétang, planches de salut
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Stan : « Oui mais tu ne peux pas juste les mettre dehors comme ça, ils sont censés aller où ? »
Laurent : « Là d'où ils sont venus. »
Stan : « Là-bas il y a la guerre, il n'y a rien tout est détruit. »
Le premier dialogue de Je suis Fassbinder nous plonge dans l'actualité la plus brûlante : les réfugiés qui débarquent en masse, les violences du 31 décembre à Cologne, l'extrême droite et ses discours haineux.
Face à Laurent qui plaide pour une intégration à marche forcée de gens supposés moyenâgeux, Stan répond : « Est-ce que le Pape est arrivé au XXIe siècle ? Est-ce que toute cette dynastie Le Pen en France est arrivée au XXIesiècle ? »
Autour d'une table jonchée de bouteilles, Laurent Sauvage et Stanislas Nordey se donnent la réplique, en fumant clope sur clope. Les propos sont graves, ponctués de répliques parfois drôles comme quand Stan reprend Laurent pour qu'il l'appelle Rainer. Comme le réalisateur allemand Rainer Werner Fassbinder…
Dès le départ, on sent la force de la pièce écrite par le jeune dramaturge allemand Falk Richter. Nous sommes au cœur de questions bien actuelles en même temps qu'au milieu de celles que se posait le réalisateur Rainer Werner Fassbinder dans les années 1970, quand l'Allemagne vivait les attaques terroristes de la bande à Baader.
Les questions bouillonnent sur la montée des extrêmes – celle de gauche hier, celles de droite aujourd'hui –, sur la peur du chaos d'une société du fait d'une révolution politique, sexuelle, familiale…
À son amant qui la presse de quitter son mari, Judith répond : « Il ne s'agit pas toujours d'être heureuse, il s'agit du fait que je ne peux pas encore tout casser, je ne peux pas encore terminer une relation, encore repartir avec les enfants, ils deviennent dingues tu comprends (…) ».
La famille, hétéro ou homo, le pays, l'Europe, le monde… Partout, bruisse le chaos imminent, aujourd'hui comme hier. Bientôt, les photos de Fassbinder, de lui comme de ses films, envahissent le plateau. Les temps comme les personnages se confondent. Qui parle ? L'acteur, le personnage de la pièce, Fassbinder lui-même, sa mère ? Et de quoi ? Des attentats de la Fraction armée rouge, de Daesh, de l'état d'urgence qui les accompagne, de la censure, de l'autocensure ?
Le spectateur navigue dans ces eaux troubles sans en perdre une goutte parce que le texte est poétique et solide, alimenté des réflexions de la troupe et de l'actualité la plus proche. Qu'il est porté par Laurent Sauvage, Stanislas Nordey, Judith Henry, Thomas Gonzalez et Éloïse Mignon, des comédiens hors pair et une mise en scène ingénieuse. On ressort du spectacle comme d'un match de boxe, sonné par tant d'audace et de talent.
Je suis Fassbinder, mise en scène de Falk Richter et Stanislas Nordey.
Pièce créée en mars dernier au Théâtre national de Strasboug, jusqu'au 4 juin.
Théâtre de La Colline – 15 rue Malte-Brun – Paris 20e.
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