30 septembre 2016 | Mise à jour le 8 février 2017
Par
Dee Brooks
| Photo(s) : Philippe Matsas/Leemage
Un enfant sans nom, seul au monde, arrive dans un hameau du sud de la France en 1908. « Le garçon », mutique s'est d'instinct rapproché de ce qu'il découvre : l'humanité, dans sa beauté comme dans son horreur.
Est-ce parce que Marcus Malte a étudié le cinéma que son nouveau et ample roman Le garçon évoque, tout au moins au début, L'enfant sauvage de François Truffaut ? On pense aussi à Ishi, le beau livre de Théodora Kreuber, racontant le parcours du dernier indien d'une tribu isolée de Basse Californie. Mais contrairement à Ishi ou à Victor de l'Aveyron, Marcus Malte prend une autre direction, s'éloignant de la veine documentaire et traçant pour « le garçon » (qui n'aura jamais de vraie identité), un destin romanesque à l'image de la condition humaine : « nombre de ravages et quelque ravissements. »
Le lecteur fait la connaissance du garçon en 1908, alors que sa mère, seul être humain avec lequel il ait eu une relative proximité, vient de mourir. On peut supposer que l'enfant est né avec le siècle. Sa mère lui a légué quelques notions simples pour survivre et faire disparaître ses traces. Le garçon les applique à la lettre et va partir vers le reste d'une humanité dont il ne connaît presque rien. Il ne sait pas parler, personne n'ayant pris la peine de lui apprendre, et restera mutique pendant les trois décennies de sa vie.
Les êtres qu'il va rencontrer seront parfois frustes, comme les habitants du premier hameau où il débarque, parfois bienveillants, voire même d'une infinie bonté comme le beau personnage de Brabek, l'ogre des Carpates, hercule de foire qui a vu du pays et lèguera son peu de biens et beaucoup d'humanité à cet énigmatique jeune garçon qu'il a pris sous son aile. Puis viendra Emma, un univers féminin à elle seule, qui se prend d'un amour fou pour celui qu'elle appelle Félix et que son père a adopté. Emma, qui sera le grand ravissement de son existence, avant que ne viennent les grands ravages de la première guerre mondiale…
Le garçon va combattre, mais revenir avec l'âme fracassée par les horreurs qu'il a vues, subies ou infligées. La part d'humanité qu'il avait conquise aurait pu s'éteindre et céder à la sauvagerie dans cette vaste boucherie, mais elle n'a que vacillé, grâce à Emma. Cependant, le bonheur n'aura été qu'une embellie, et le garçon, que ses camarades de combat appelaient Mazeppa, choisira de boucler la boucle d'une destinée singulière, marquée par la solitude.
Sublimé par le souffle d'un style qui cavalcade sur les mots et nous projette dans des listes de faits, de noms, d'œuvres qui bâtissent le contexte des épisodes de la vie du garçon, le superbe roman de Marcus Malte, s'il est d'une toute autre veine que son excellent Fannie et Freddie, est marqué par la même répulsion pour l'injustice, l'inégalité et la morgue des puissants.
Le garçon, de Marcus Malte.
Éditions Zulma. 535 pages, 23,50 euros.