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RENCONTRE

Portrait d'un militant.

5 mai 2014 | Mise à jour le 3 mai 2017
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Portrait d'un militant.

Chef d'équipe fonderie et représentant syndical CGT à l'usine d'aluminium Trimet de Saint-Jean-de-Maurienne, Yannick Bacaria, 51 ans, fut un des meneurs de la lutte qui permit à l'usine de trouver un repreneur après le désengagement de Rio Tinto Alcan en 2013. Songeant progressivement à raccrocher, il rempile pour un dernier round.

 

Yannick Bacaria

membre de la CE de la fédération
de la chimie et s'apprête à créer
l'Ugict CGT de l'usine Trimet à
Saint-Jean-de-Maurienne.

 

 

«Lever le pied pour m'occuper de ma pomme. » C'est ce qu'il voulait. Ce ne sera pas pour cette fois. Après la longue bataille syndicale qui a précédé le rachat de l'usine d'aluminium, Rio Tinto Alcan (RTA) de Saint-Jean-de-Maurienne, par l'industriel allemand Trimet, en décembre dernier, et au lendemain du congrès de la fédération nationale des industries chimiques (FNIC) CGT qui avait lieu début avril, à La Rochelle, Yannick Bacaria, 51 ans, chef d'équipe fonderie et RS CGT prétendait commencer à se « retirer et préparer la relève ». Une intention ferme, qui explique sa venue au rassemblement avec deux jeunes opérateurs, fraîchement élus. « J'aime les voir découvrir », lâche-t-il, un brin amusé. Et d'enchaîner, plus sérieux : « On a du mal avec la continuité syndicale. Il faut passer le relais, transmettre les fondamentaux, les valeurs. Pour le reste, ils feront du syndicalisme à leur sauce, avec leur temps. Il leur faudra déjà reconquérir ce qu'on a perdu… »
« Il nous a donné envie de nous investir, réplique Yoan Canzano, 31 ans, suppléant DP CGT, qui le considère comme un sage. On fait encore nos armes, mais on est prêt à reprendre le flambeau. »

 

Charisme et déclassement

En attendant, lui a rempilé pour deux missions CGT. La première, au sein de la confédération, à Montreuil, en tant que membre de la commission exécutive de la FNIC. « On m'a proposé, j'ai accepté ; je suis curieux », concède-t-il, prudent. La deuxième, sur le terrain, parmi les salariés de la maîtrise, en tant que RS chargé de la création prochaine de l'Ugict CGT du site. Seul CGT à s'être présenté aux élections professionnelles pour le collège encadrement, il n'a pas été élu, « mais sans faire campagne, on a remporté 26 % des votes cette année, on est passé deuxième force devant la CGC ! note-t-il, encore épaté. On a senti une demande, on va y répondre. »

Cette tâche lui est naturellement revenue. « C'est un costaud au niveau du boulot et un syndicaliste chevronné, note, confiant, Christian Ergault, secrétaire général CGT de l'usine. C'est l'homme de la situation. Chef de poste dans nos structures de production avec du travail posté, ce n'est pas facile… Savoir gérer son appartenance à la maîtrise et à la CGT est une épreuve et il n'a pas peur d'y aller. »« Il arrive à faire la part des choses entre le syndical et le travail, confirme Dominique Héron, élu CGT au CE en charge de la formation et de l'égalité. Il se retrouve souvent entre le marteau et l'enclume, mais il a le recul et le charisme nécessaires. »

Cette stature syndicale lui a également permis de s'investir dans des enjeux interprofessionnels. En 2003, il devient membre des CE de l'UL de Saint-Jean-de-Maurienne et à l'UD de Savoie – Chambéry. « Les copains m'ont proposé, je venais de divorcer, j'avais du temps… et puis c'était important que notre syndicat, qui avait des moyens importants, rayonne sur le territoire. » Hier encore, il « donnait un coup de main aux ouvrières de l'usine Somfy de Saint-Rémy-de-Maurienne (Savoie) – menacée de fermeture – pour organiser leur mobilisation ».

On est avec les gars
sur le terrain
au quotidien
Mêmes horaires mêmes bruits même chaleur

 

« C'est vraiment ancré chez lui. C'est un militant CGT dans l'âme, honnête, intègre, qui a refusé de grosses offres lors des PSE, confie Laurent Hérédia, coanimateur de la branche industrie électrique et gazière à la FNME CGT avec qui il fut membre de la CE de l'UD de Chambéry de 2008 à 2013. Il a un profil à part : il a gravi les échelons, dirige des dizaines de mecs sans que ça n'entame sa fibre syndicale ou l'empêche de dire ce qu'il pense. Certaines batailles personnelles l'ont aguerri et donné le sens de l'essentiel. »
En 2012, alors que RTA annonce son retrait dès la fin des tarifs d'électricité préférentiels accordés à l'usine de Saint-Jean-de-Maurienne, ils travaillent ensemble au contre-projet Hydr'alu pour le développement des industries énergivores en Savoie. « Construire des propositions avec lui, c'est se poser des questions sur le fond et sur le plan technique qu'il maîtrise parfaitement, explique le syndicaliste. C'est une garantie de crédibilité, de cohérence. »

 

Enfance et détours

« J'ai un peu bourlingué avant d'atterrir là. Électricien, monteur de remontées mécaniques, maçon, charpentier… j'ai fait un peu de tout », résume-t-il. Et de se rappeler cet épisode professionnel incongru lors de son passage dans une usine de fabrication de cristaux à soude pour la lessive Saint-Marc, à côté de Poitiers : « J'avais été embauché à la maintenance d'une machine qui fuyait tout le temps, les salariés avaient pris l'habitude de ramasser les cristaux tombés régulièrement, ça faisait partie de leur boulot. J'ai réparé la machine, je l'ai améliorée et ça a multiplié la production par 20. Résultat : je me suis fait virer. Ils ne voulaient pas se développer. Ils voulaient délocaliser en Pologne. »

Il assume un parcours non linéaire. Et quand on lui fait remarquer le caractère illégal des neuf années passées en tant qu'intérimaire à l'usine de Saint-Jean, il confirme avec un petit sourire fier : « Le chef de service ne m'aimait pas, il m'avait vu passer un pack de bières à des copains grévistes. Photo à l'appui ! » Quant à son évolution de carrière, il n'est ni dupe ni amer, « ils m'ont bloqué OP pendant cinq ans alors que je voulais passer agent de maîtrise, mon étiquette CGT ne devait pas leur plaire. Et puis, un an après mon premier mandat syndical, ils ont fini par le faire. Ils ont dû se dire : on va le faire évoluer pour le faire virer de la CGT ». Raté. Ce qui n'empêchera pas la direction de réessayer régulièrement de l'acheter et de lui compliquer le travail en lui affectant invariablement « les fortes têtes ». « Ils ne m'ont pas fait de cadeaux », conclut-il sans regrets.

Il est communiste depuis qu'il a 16 ans et même si « c'est pas facile d'être coco tous les jours, c'est comme ça ; ça fait partie de mes idées depuis toujours ». Ou plutôt depuis cette lecture qu'il a eue, enfant, quand son grand-père, maire communiste, lui a offert Le fils du peuple, de Maurice Thorez. « Ça m'a marqué ; l'idée de ne pas se laisser faire est restée », conclut-il.

Le syndicalisme plutôt que la politique est une évidence. « Parce qu'on a le contact avec les gars sur le terrain au quotidien. Mêmes horaires, mêmes bruits, même chaleur… c'est quelque chose à part. » Pourtant l'usine a toujours suscité des sentiments contradictoires, « gamin, ma hantise a toujours été d'aller travailler à l'usine, j'avais l'impression qu'on nous enlevait la liberté. J'avais en tête Les Temps Modernes de Charlie Chaplin ».

Il habite Fontcouverte, un petit village de 30 habitants niché à 1 200 mètres en haut de la montagne, qu'on aperçoit au loin depuis le local syndical de l'usine. C'est là le point d'équilibre. D'un côté, la vallée, l'usine, le confinement des ateliers, le bruit de la ferraille, les effluves de chimie, le vacarme des machines, l'urgence des matières incandescentes. De l'autre, les hauteurs, le grand air, les grands espaces, les paysages verdoyants ou enneigés, les tempos des ballades qu'il compose dans son studio, les saveurs du potager qu'il cultive…