Rio Tinto Alcan. Soulagement et vigilance.
La banderole « usine à vendre » a disparu. L'inscription de fortune qui coiffait le symbole « Rio Tinto Alcan » (RTA) est tombée. À l'entrée des grilles, désormais, le soleil mitraille la plaque bleue flambant neuve : « Trimet. Bienvenue à l'usine de Saint-Jean-de-Maurienne ».
Il y a d'abord eu le soulagement. Après plus de quatre ans de lutte syndicale acharnée contre les risques de fermeture due à l'augmentation programmée des tarifs d'électricité, le 16 décembre dernier la nouvelle est devenue officielle : l'industriel allemand Trimet, fabricant d'aluminium qui emploie environ 2 000 salariés, rachetait les usines de Saint-Jean-de-Maurienne et de Castelsarrasin avec ses 450 et 50 salariés respectifs.
Selon l'accord, le groupe familial germanique détient 65 % du capital et EDF 35 %. Cette entrée au capital d'EDF se fait en échange de tarifs d'énergie préférentiels – accordés sur deux fois cinq ans – afin de permettre à l'entreprise de rester concurrentielle.
Une démarche qui a supposé « de nombreux échanges avec les camarades de la fédération CGT mines-énergie qui réclament plutôt le retour à un tarif régulé pour les entreprises que des tarifs spécifiques », note Yannick Bacaria, représentant syndical CGT de l'usine. « Nous réclamions un projet de co-investissement : Trimet investissait dans l'entretien ou la création de nouvelles structures EDF et, en retour, celle-ci lui accordait des tarifs préférentiels, précise Laurent Hérédia, coanimateur de la branche industrie électrique et gazière de la FNME. Le montage financier qui l'a emporté nous interroge quant à son engagement à moyen terme, mais nous nous réjouissons de la pérennité du processus industriel et du maintien de l'emploi. »
Redémarrage industriel
L'usine, qui produit actuellement en moyenne 300 tonnes d'aluminium par jour, est considérée comme le poumon économique de la vallée par la redistribution de richesses qu'elle assure. Après plusieurs années de ralentissement de son activité augurant d'une fermeture – l'activité avait chuté de 30 à 35 % depuis 2010 –, le rachat par une PME du secteur plutôt que par un groupe financier a été bien accueilli. D'autant que le projet annoncé consiste à réinvestir dans l'usine – 45 millions d'euros – et à relancer la production à plein régime sans tarder. Peu ou prou « l'équivalent des propositions que portait la CGT depuis sept ans », se réjouit Christian Ergault, secrétaire général du syndicat de l'usine.
« Être rachetés par un industriel, c'est super. Mais ils sont pressés de relancer la production à fond et on ne peut pas le faire subitement alors qu'on était en sous-investissement depuis plusieurs années, nuance Yoan Canzano, 31 ans, opérateur maintenance et élu suppléant DP CGT. En plus, le PSE opéré par RTA en 2010 a fait partir nombre de compétences techniques, notamment dans le secteur de l'électrolyse… On vient d'embaucher une quarantaine de CDD professionnels, ce qui est très bien pour lisser les congés et former la main-d'œuvre future, mais d'emblée, ce ne sont pas des embauches assez qualifiées pour permettre de relancer dans de bonnes conditions la série de cuves F [60 cuves d'électrolyse] fin mai comme prévu. »
Et de conclure : « D'autre part, l'équipe de direction est restée en place. Ceux qui allaient nous mettre à la porte hier sont les mêmes qui nous pressent désormais pour tout rallumer… Cela ne favorise pas le dialogue. On est content, mais on reste sur nos gardes. » D'autant que Trimet n'est qu'une entreprise familiale, une grosse PME, autant dire un poids plume comparé à l'envergure du groupe mondial Rio Tinto.
Les accords sociaux sur la table
Un argument que la direction ne manque pas d'utiliser à l'heure de gérer la dépense. « Ils jouent sur la corde sensible sur le mode “on n'est plus un grand groupe, on n'est pas riche, il faut faire des économies”, on sent bien que la direction veut faire des gains de productivité, observe Dominique Héron, agent de maintenance et élu au CE en charge de la commission formation et égalité. Or, on sait que le départ de RTA a supposé le legs d'un gros magot pour compenser le sous-investissement auquel nous avions été soumis. On est en phase d'approche, mais on entend bien veiller à ce que les investissements bénéficient à notre usine et batailler pour que les acquis sociaux perdurent ». En effet, suite à la cession de l'usine, la loi prévoit la renégociation de tous les accords collectifs dans un délai de quinze mois.
Concrètement, près de 170 textes régissant de la dotation du CE (cantine, vacances, culture…) en passant par sa participation à la mutuelle et à la prévoyance et allant jusqu'aux congés fin de carrière (CFC) – prévoyant des départs anticipés à 57-58 ans après trente ans de travail posté – sont à renégocier. Soit l'équivalent de 6 millions d'euros par an au regard des minimums fixés par la convention collective de la chimie.
On entend
bien veiller
à ce que les investissements
bénéficient
à notre usine
Dans le contexte actuel, « nous craignons notamment que nos dispositifs de reconnaissance de la pénibilité [qui coûte en moyenne 1,8 milliard d'euros par an, NDLR] et de gestion du temps de travail soient dans la ligne de mire, confie Christian Ergault, secrétaire de la CGT de l'usine. Et de préciser : « Nos repreneurs n'ont pas stipulé d'exigence particulière, mais cette étape imposée est l'occasion de tout remettre sur la table. Les élections professionnelles de février dernier nous ont donné l'avantage [la CGT a recueilli 100 % des votes parmi les opérateurs, NDLR] – au vu de la bataille menée pour la survie de l'usine. Ce n'est pas pour laisser tomber maintenant. Bien au contraire, nous sommes bien décidés à défendre nos acquis ».
Pour l'heure, le dialogue a commencé par la mise en place d'une instance de négociation. Et la désignation de cinq membres du CHSCT. Le 20 mars dernier, lors d'une première réunion de négociation du CE avec Martin Iffert, PDG de Trimet France SAS, plus d'une centaine d'ouvriers de l'usine s'invitaient dans les lieux. « Juste pour dire : on est là, on tient à notre usine et à nos acquis. »