Première industrie du Sud-Ouest entraînée par son fer de lance Airbus, l'aéronautique est aussi le premier employeur des régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine. Ce qui, en cas de crise, réelle ou non, n'est pas sans conséquences sur la sous-traitance…
L'« Aerospace Valley », le pôle de compétitivité regroupant tous les grands noms de l'industrie aéronautique et spatiale, au premier rang desquels Airbus, mais encore des centaines de sous-traitants, créé en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie en 2005, va mal. C'est en tout cas le discours que l'on entend depuis que, en mars 2020, la crise du Covid-19 s'est abattue sur le pays. « Il y a effectivement une crise du trafic aérien liée à la baisse d'activités due aux fermetures des frontières depuis le début de la pandémie. Mais c'est un petit peu différent de la construction aéronautique », veut relativiser Patrice Thébault, délégué syndical central Airbus-Avions, à Toulouse (Haute-Garonne). « Il y a encore plus de 7 000 avions dans le carnet de commandes d'Airbus aujourd'hui, ce qui, si on reste sur le rythme de livraison actuel, représente près de dix ans de production. Ça laisse quand même des marges. »
La crise sert d'alibi
Pourquoi alors crier au loup ? « C'est une belle opportunité pour rationaliser la production, augmenter la flexibilité, transformer l'appareil de production et attaquer un certain nombre d'acquis », résume Patrice Thébault. « Crier au loup fait peur et permet de faire rentrer un peu tout le monde dans la résignation. Et on en profite pour figer les horaires, rendre des journées non travaillées « travaillées », annualiser le temps de travail… » Sauf que, dans une région désormais en quasi mono-industrie, quand Airbus « rationalise », c'est tous ses fournisseurs qui sont concernés. « Airbus profite de la crise économique et sanitaire pour réorganiser entièrement sa filière », dénonce Cédric Caubère, secrétaire de l'union départementale (UD) de Haute-Garonne, département où sont installés le siège et la majeure partie de la production en France. Avec les milliers d'emplois qui en découlent chez les sous-traitants au niveau régional.
Pas de visibilité sur les aides publiques
« La sous-traitance est la première affectée. Beaucoup de boîtes ont des licenciements, comme Latécoère [équipementier aéronautique] ou Akka Technologies [groupe d'ingénierie] pour les plus connues. Le paradoxe contre lequel on se bat, c'est que les entreprises prennent toutes les aides possibles et s'en servent pour délocaliser, pour casser de l'emploi et concentrer les richesses entre les mains de quelques-uns, continue le secrétaire de l'UD. Les salariés n'ont aucune visibilité sur les montants distribués aux entreprises ni sur le lien entre aide publique et création d'emploi ou de recherche et développement. »
Même constat à quelque deux cents kilomètres à l'ouest de la capitale aéronautique toulousaine, dans les Pyrénées-Atlantiques (64). Département où « entre grosses boîtes et sous-traitants, le secteur représente à peu près 70 % des emplois du 64 », revendique Frédéric Goeytes-Bedat, du bureau de l'union syndical des travailleurs de la métallurgie (USTM Pyrénées-Atlantiques/Landes). Lequel remarque quant à lui que, « avec les nouvelles commandes de Rafale [par la Grèce, l'Égypte et la Croatie en 2021, ndlr] et du nouveau Falcon de Dassault, on constate un frémissement de redémarrage ». Pas de quoi, donc, justifier selon lui « ces attaques sans précédent de l'UIMM [Union des industries et métiers de la métallurgie, ndlr] dont les salariés paient le prix fort ».
Intérimaires et CDD aux contrats non renouvelés, plans « de sauvegarde » de l'emploi, de départs « volontaires », ruptures conventionnelles collectives, accord de performances collectives… la fédération patronale « profite de la crise ». « On a du mal à comprendre ce que l'on entend dans la presse spécialisée et ce qu'il se passe sur le terrain. D'un côté, on nous dit que les donneurs d'ordre se portent très bien et les effectifs diminuent quand même », confirme Antoine Nevado, délégué syndical à la fonderie du groupe Ventana, laquelle est spécialisée dans la fabrication de pièces en alliage léger, magnésium, aluminium, pour les moteurs d'hélicoptères et d'avions sise à Arudy, à une trentaine de kilomètres au sud de Pau (64).
« Dès que le Covid-19 s'est déclaré l'année dernière, tous ceux qui étaient en CDD ou intérimaires ont été foutus dehors. Et même si, chez nous, il n'y a pas eu de plan social, la direction a décidé de recourir de manière unilatérale au dispositif ARME [Activité réduite pour le maintien en emploi, ndlr] et aujourd'hui, on chôme un ou deux jours par semaine », détaille Antoine Nevado.
Velléités antisyndicales
« On nous annonce une fin d'année et une année 2022 compliquées et lors des NAO [négociations annuelles obligatoires], il nous a également été dit qu'il n'y aurait pas de licenciement au niveau des CDI, mais qu'il était hors de question de remplacer tous les départs ! » De quoi entraîner une certaine « démotivation » des salariés qui, « depuis 2015, ont déjà vu une centaine d'emplois disparaître » sur le site. Mais aussi de quoi faire apparaître « des tensions très fortes entre syndicats et direction », affirme le représentant syndical. « On sent qu'il y a une volonté de se débarrasser des syndicats sur Arudy. Que ce soit la CGT ou les cadres de la CGC. » Objectif d'autant plus facilement réalisable, si l'on peut dire, que, avec les restrictions liées à la situation sanitaire, réunir les salariés en assemblée ou pour des mobilisations reste souvent encore compliqué. « Avec la crise du Covid-19, les gens ne sont pas encore trop motivés mais, à force de se faire taper dessus, je pense que cela va changer », anticipe Frédéric Goeytes-Bedat, de l'USTM Pyrénées-Atlantiques/Landes. « Les salariés voient que certains groupes commencent déjà à reverser des dividendes. Que ce “monde d'après” que l'on voulait meilleur pour tous est pire que celui d'avant. »
Et ce n'est qu'un début, semble-t-il. Car de mauvaises idées, l'UIMM en a manifestement à revendre. Comme celle prônée par Tompasse, une association au sein de laquelle se retrouvent les grands du secteur, Airbus, Thales, ATR… qui, dans un Livre blanc publié en mars dernier, proposait de « mobiliser des collaborateurs concernés par le dispositif d'APLD afin de mener des actions de communication et/ou d'utilité sociale sur le territoire régional ». Ce, sur la base du « volontariat ». « Quand on mobilise les gens, ce n'est pas sur la base du volontariat. Rien que cela, c'est déjà une aberration », ironise Robert Amade, de la coordination aéronautique CGT. « L'idée, c'est encore de culpabiliser les salariés en leur disant : “Puisque vous êtes payés à ne rien faire, autant faire des choses bénévoles ou utiles” pour valoriser la filière etc. Mais ce n'est pas compliqué de valoriser la filière ! Le travail est là. Si les conditions de travail sont bonnes et que le boulot est bien payé, les gens vont venir. »
La riposte s'organise
En attendant, la riposte s'organise pour, dans un premier temps, sauver, protéger les emplois. « Chez Latelec [filiale de Latécoère, ndlr], ils ont essayé de faire un plan social avec 130 suppressions d'emplois et les salariés se sont mobilisés. Le plan a été retiré mais maintenant, la direction revient à la charge avec un accord de performance collective », indique le membre de la coordination CGT. Chez Alten Sud-Ouest, sous-traitant spécialiste de l'ingénierie et de la recherche et développement, c'est devant les prud'hommes que plusieurs dizaines de salariés « licenciés de manière abusive » ont fait valoir leurs droits. Et même chez Airbus, malgré un syndicat maison puissant, « un atelier de peinture s'est mis en grève sur une journée entière. Signe qu'une prise de conscience se fait chez les salariés »… Les exemples sont désormais nombreux et ne cessent de se multiplier. Une mobilisation nécessaire alors que, selon l'Insee, quelque 8 800 salariés, “hors intérim” ont déjà perdu leur emploi dans la filière sur la région en 2020.