1 février 2016 | Mise à jour le 21 février 2017
Cinq ans après la chute du régime de Ben Ali, les Tunisiens sont parvenus à imposer démocratie et alternance. Le peuple tunisien a réussi, là où la plupart des soulèvements populaires pour les libertés et la justice dans le monde arabe ont été et sont encore écrasés dans le sang. Mais la crise économique et sociale qui mine le pays est encore loin d'être résolue.
Il s'appelait Ridha Yahyaoui. Le 16 janvier, ce jeune Tunisien est mort électrocuté après être monté sur un poteau, à Kasserine ; il entendait dénoncer, avec beaucoup d'autres, non seulement la persistance du chômage de masse dans les régions déshéritées du pays, mais aussi son retrait d'une liste d'embauches dans la fonction publique. Un retrait imputé par la majorité de la population à la pérennité de la corruption.
On se souvient que, fin 2010, c'est aussi la mort d'un jeune, Mohammed Bouazizi, vendeur ambulant qui s'était immolé par le feu à Sidi Bouzid pour protester contre une corruption insupportable, qui avait déclenché le soulèvement, aboutissant en janvier 2011 à la chute du régime prédateur de Zine El Abidine Ben Ali et de sa clique.
DES RÉGIONS ENTIÈRES DÉSHÉRITÉES
Si le premier ministre tunisien Habib Essid peut assurer que « la Tunisie a définitivement rompu avec la tyrannie, sans retour possible », il n'empêche que le pays demeure la proie d'une crise économique gravissime.
En fait, alors que le régime militaire qui a pris le pouvoir en Égypte réprime toute forme d'opposition, que le peuple syrien est victime des bombardements du régime qui ont fait plus de 250 000 morts et des atrocités de Daech, que les peuples yéménite ou palestinien résistent à des répressions sanglantes des régimes ou des forces d'occupation… La Tunisie, elle, est parvenue à organiser des élections libres en 2011 et 2014 et à adopter une nouvelle Constitution.
Mais le chômage en Tunisie atteint plus de 15 % de la population, frappant tout particulièrement les jeunes. Il dépasse les 30 % parmi les diplômés. Les chiffres sont plus catastrophiques encore dans les régions intérieures du pays qui ne bénéficient pas du tourisme de Tunis ou des régions côtières. Qui plus est, le tourisme lui-même souffre des conséquences des attentats terroristes qui ont frappé le pays l'an passé. La croissance devait être inférieure à 1 % l'an passé. Et le pays subit les conséquences de plusieurs décennies de surendettement.
« TRAVAIL, LIBERTÉ, DIGNITÉ NATIONALE »
C'est dans ce contexte que la mort du jeune chômeur de Kasserine (80 000 habitants) a soulevé une vague de protestation sociale, d'abord dans la ville, puis dans tout le pays, durant plusieurs jours. Au-delà de ces mouvements pacifiques et exigeants sur le terrain de l'emploi, de l'investissement et de la fin de la corruption, des petits groupes ont cédé à la colère par des actions plus violentes. Plus de 300 personnes ont été arrêtées pour troubles à l'ordre public ou violation du couvre-feu, instauré depuis les derniers attentats.
À Kasserine, un haut responsable local a été limogé après le décès de Ridha Yahyaoui, et une enquête a été ouverte sur la modification de la liste d'embauches. Les manifestations se sont cependant poursuivies, reprenant l'un des slogans de 2010–2011 : « Travail, liberté, dignité nationale ».
PROMESSES GOUVERNEMENTALES
Vendredi 22 janvier au soir, dans une allocution télévisée, le président Béji Caïd Essebsi a demandé au gouvernement un plan contre le chômage. De son côté, le premier ministre Habib Essid a appelé à la « patience » et à comprendre les difficultés du pays. Il a en revanche instauré un couvre-feu nocturne sur tout le territoire, réduit depuis.
Il a mis en garde contre les « défis sécuritaires » auxquels fait effectivement face la Tunisie. Certains analystes estiment pour leur part que la situation économique, le chômage, la précarité et la corruption de certains dirigeants en place sont par trop « occultés » par la situation sécuritaire… Voire que la misère extrême pousse une partie des jeunes dans les bras des terroristes.
SOUTIEN SYNDICAL AUX REVENDICATIONS
De son côté, l'UGTT a exprimé son soutien aux revendications des manifestants. Elle a aussi félicité les forces de l'ordre pour leur protection de la sécurité, celle des citoyens et celle des institutions. Secrétaire général de l'UGTT, Houcine Abassi a aussi rappelé que l'organisation syndicale tunisienne met en garde « depuis longtemps » sur l'urgence du « dossier du développement et de l'emploi », espérant que les manifestants de Kasserine se seront fait entendre.
Dans le même temps, un mouvement social sur les salaires lui a permis d'arracher un accord au patronat (l'Utica), qui concerne plus d'un million de salariés du privé et prévoit en particulier une augmentation de 6 % du salaire net.
Plusieurs organisations, dont la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH) et Oxfam, ont quant à elles appelé à « l'adoption d'un modèle économique pour la réduction des disparités régionales et des inégalités sociales ».