8 janvier 2021 | Mise à jour le 8 janvier 2021
Compagnon de route du Che embastillé dans les prisons boliviennes, conseiller du président Mitterrand, écrivain, philosophe et « intellectuel » père de la médiologie, à l'aube de ses 80 ans, Régis Debray nous livre une « vue plongeante sur l'enfilade des hasards qui nous ont fait grandir ».
D'un siècle l'autre, l'ouvrage de Régis Debray sorti en novembre dernier nous offre un peu de recul, d'épaisseur et de perspective sur le moment présent, et au regard des soixante dernières années. L'auteur n'a pas connu que les salons feutrés des conférences auquel son statut de vieux sage philosophe lui permet aujourd'hui d'accéder.
C'est d'ailleurs avec une certaine malice qu'il rappelle qu'en 1971, à son retour d'Amérique du Sud, il raillait déjà les batailles des « intellectuels engagés » français qui « ne blessent que les égos ».
Emprisonné pour avoir combattu aux côtés du Che, le révolutionnaire français raconte l'effet contreproductif de la campagne de pétitions menée en France par des intellectuels illustres, Jean-Paul Sartre, Alain Badiou et d'autres grands compagnons de route de l'époque qui n'auront suscité que des réactions négatives au sein de l'opinion publique locale méfiante à priori de ces lumières étrangères. Et ce n'est qu'à la faveur d'un changement de régime (coup d'État progressiste) qu'in fine, il obtient sa libération.
Du temps et de l'espace
Cette expérience vivante de l'échec de la révolution d'importation réagence son logiciel idéologique : « Gramsci (fondateur du Parti communiste italien) aura sans doute été, pour nous, Européens du Sud, le marxiste de la sortie du marxisme.
C'est en le relisant que j'ai compris qu'il n'y avait pas de honte, pour un révolutionnaire, à parler de nation. » Et d'en conclure que l'histoire, creuset idéologique traditionnel de la gauche et des révolutionnaires, ne saurait se passer de ses dimensions géographiques. Et ce à contrario, de la droite et des conservateurs pour qui l'essence du libéralisme n'est autre que le territoire sans l'histoire.
De l'engagement militant au « tout à l'égo »
Régis Debray, s'est engagé au service d'une cause à la manière d'un soldat qui obéit aux ordres. Le retour dans la France tout juste post soixante-huitarde le sort de ce carcan et lui permet de prendre part au basculement sociétal. L'ancienne culture de guerre s'estompe. La France s'américanise. Le paternalisme cède le pas au féminisme, l'engagement militant et ses valeurs quasi sacrificielles ont quelque chose de désuet au regard de l'individualisme.
Après 1981, il sera appelé auprès de François Mitterrand comme « conseiller à la cour » ironise encore celui qui est désormais un « intellectuel » devenu fréquentable. Viennent ensuite l'effondrement du bloc de l'Est, l'intégration à une Europe de plus en plus dominée par le poids lourd allemand, l'avènement des nouvelles technologies et leurs impacts (positifs et négatifs) que Debray analyse à l'aide de cette nouvelle science qu'il invente : la médiologie.
De la mémoire et du croire
Difficile, en quelques lignes, de résumer les concepts que développe le philosophe. Il vous faudra lire cet essai aux allures de testament, qui tout en constatant qu'on est bel est bien passé d'une époque à une autre ne cultive pas pour autant — ou pas uniquement — la nostalgie. Deux remarques encore avant de conclure. Pour l'auteur, on assiste au passage d'un siècle marqué par une idéologie rouge à celui d'une idéologie verte, et si l'une est inspirée d'un mythe de l'histoire, l'autre l'est de celui de la nature. Pour l'une ou l'autre, il manque donc toujours une dimension.
De même, il identifie la résurgence — négligée au siècle précédent — du religieux ou du croire qui semble fondamental aux yeux du philosophe, quand bien même cela serait par le biais d'une religion laïque tel que le prônait Auguste Comte. Debray, partisan de l'enseignement (laïque) du fait religieux à l'école, ne voit comme ennemi que l'ignorance.
L'ultime avertissement que lance Régis Debray se situe enfin dans la contradiction entre la communication — aujourd'hui dominante — en opposition avec la transmission — aujourd'hui dominée — or c'est bien par sa mémoire, et donc son histoire, que l'humanité transmet son héritage.