Valter Sanches est le secrétaire général d'IndustriAll Global Union depuis 2016. A la veille de son congrès et à quelques semaines de la COP 26, le syndicaliste brésilien revient sur la manière dont le syndicalisme mondial relève en même temps les défis de l'écologie et du social.
En novembre prochain, se tiendra à Glasgow, en Écosse, la COP26. La limitation des gaz à effet de serre impacte l'industrie dans le monde entier. Quelle perception une organisation telle qu'IndustriALL Global Union a-t-elle des enjeux écologiques ?
Nous disons toujours qu'il n'y a pas d'emplois sur une planète morte. Nous vivons tous sur la même planète, et chacun se doit d'apporter sa contribution à la lutte contre le changement climatique. Nous sommes particulièrement concernés, car nous représentons les travailleurs dans les industries des énergies fossiles telles que les mines de charbon, les industries du pétrole et du gaz.
Par conséquent, l'un de nos principaux objectifs est de lutter pour une transition juste dans ces secteurs afin de passer des énergies fossiles aux énergies renouvelables. Les travailleurs peuvent être redirigés vers des industries ayant d'autres sources d'énergie via des politiques publiques et des plans industriels axés sur la transition énergétique. Nous participons à la COP et y avons toujours une délégation de même que la CES [Confédération européenne des syndicats] et plusieurs de ses affiliés majeurs.
Et en particulier, lors de la COP24 de 2018, nous avons approuvé la Déclaration de Silésie. Une déclaration très importante pour une transition juste. À la COP26, nous appellerons les gouvernements à suivre les accords de Paris, car la COP25, en 2019, a relativisé des engagements.
Or, lorsqu'on voit la place que prennent les événements climatiques extrêmes, nous nous devons de prendre des mesures. Dans nos secteurs, nous obtenons certaines avancées par des accords car 60 % des gaz à effet de serre viennent de la production d'énergie. Et, par exemple, un accord est signé chez EDF et une nouvelle convention va l'être chez Engie. Ces accords contiennent des conditions strictes pour une transition juste.
Qu'entendez-vous par une transition juste ?
Une transition juste, c'est offrir la possibilité aux travailleurs des industries émettrices de gaz à effet de serre de bénéficier d'une reconversion dans leur travail au moment où leur industrie disparaît. Pour donner un exemple concret, le groupe Italien Enel [compagnie d'électricité] a annoncé il y a quatre ans de cela qu'il allait « verdir » ses activités en Colombie. Il s'engageait à ne plus utiliser de charbon.
Cette décision a été prise du jour au lendemain sans aucune concertation avec les syndicats, et sans laisser la possibilité aux mineurs de négocier. Il y a donc eu 500 licenciements en raison de cette décision de la compagnie. C'était peut-être une bonne décision, mais elle a ignoré la dimension de l'emploi, des conditions de travail et son impact sur la vie des travailleurs. Ce qu'il fallait, c'est offrir la possibilité de reconvertir et de maintenir l'emploi.
Il est possible, si les gouvernements engagent une politique d'industrie durable, de créer des emplois verts, des emplois industriels durables et ce dans le même temps où nous menons une transition vers les énergies renouvelables. Cela implique des politiques industrielles publiques de la part des gouvernements.
Une transition juste, c'est offrir la possibilité aux travailleurs des industries émettrices de gaz à effet de serre de bénéficier d'une reconversion dans leur travail au moment où leur industrie disparaît.
Ces deux dernières années ont été marquées par la crise du Covid 19. Quelles en ont été les conséquences pour les travailleurs de l'industrie dans le monde ? Quels enseignements en tirez-vous ?
L'impact de la crise sanitaire a été extrêmement fort sur l'emploi dans le monde. L'OIT [Organisation internationale du travail] estime que cela détruit 300 millions d'emplois formels pour la seule année 2020 et presque un milliard d'emplois informels. Cela a eu aussi pour effet d'accélérer certaines tendances qui étaient en cours avant la pandémie, comme l'accroissement des inégalités. On a vu également une montée en puissance du e-commerce et des compagnies digitales dont les propriétaires sont devenus de plus en plus riches.
Pour les travailleurs de l'industrie, dans un premier temps, les conséquences ont été un ralentissement et des fermetures d'activité. Une des industries les plus touchées a été le textile-habillement. Les commandes ont immédiatement chuté, ce qui a généré d'importantes pertes d'emplois. Dans le même temps, dans de nombreux secteurs, dans certaines usines, ça a été l'occasion d'expérimenter des transitions. On a pu négocier la mise en œuvre de compétences alternatives afin de produire des biens utiles pour combattre la pandémie. Je pense aux masques, aux équipements médicaux et de protection, aux vaccins.
Mais, bien sûr, l'un des combats stratégiques les plus importants pour IndustriALL, c'est la lutte pour le droit à l'accès universel au vaccin. Car 70 % des vaccins dans le monde sont concentrés dans seulement dix pays. En Afrique seuls 3 % de la population sont vaccinés. En Europe, on a une offre de vaccination, mais ce n'est pas le cas partout dans le monde, en particulier en Afrique où il n'y a pas de vaccins disponibles. Cela nous touche, en particulier car nous représentons les travailleurs de l'industrie pharmaceutique dans le monde.
Nous avons aussi engagé des discussions avec l'OMC [Organisation mondiale du commerce] afin de leur faire part de notre disponibilité pour produire plus de vaccins au travers des reconversions, et ce dès l'instant où nous pourrions surmonter l'obstacle des droits de propriété des brevets.
IndustriALL tiendra son 3e congrès les 15 et 16 septembre sous le leitmotiv « Unis pour un futur juste ». Quelles propositions communes peuvent unir les travailleurs des pays européens en voie de désindustrialisation et ceux des pays émergents ?
C'est précisément la raison pour laquelle une organisation comme IndustriALL Global Union existe. Il s'opère une délocalisation industrielle des pays de l'hémisphère Nord vers le Sud globalisé, l'Asie, la Chine et l'Inde principalement, des pays où se trouvent les emplois à bas salaires. C'est là que le rôle d'IndustriALL est important pour contrebalancer. Quand nous défendons les droits des travailleurs, en particulier celui de s'organiser, d'avoir des conventions collectives, nous pouvons améliorer leurs conditions de travail.
Ceci de sorte que les choix d'implantations industrielles ne soient pas conditionnés par le seul critère de la main d'œuvre bon marché, mais par des décisions stratégiques. Plus nous créons des solidarités entre le Nord et le Sud, plus nous créons les conditions d'une stabilité pour les anciens pays industrialisés.
Vous êtes issu du syndicat brésilien CUT et depuis le début de votre mandat vous avez traversé la crise pandémique et l'accession de Jair Bolsonaro dans votre pays. Comment votre organisation a-t-elle pu agir face à ces crises majeures ?
Quand on fait face à un gouvernement fasciste, c'est un vrai défi car leur pratique de la politique diffère de celle des autres gouvernements. Cela s'accompagne d'une politique antisyndicale extrêmement agressive. Ils détruisent les droits syndicaux et ceux des travailleurs en général.
Aujourd'hui au Brésil, ils étendent la pandémie par le déni, et la crise économique ne cesse de s'aggraver. IndustriALL apporte évidemment tout son soutien à ses affilés au Brésil mais, pour l'heure, ils sont sur la défensive. Je suis toutefois certain que des changements vont avoir lieu.
Il y a des manifestations et la vaccination avance. Les gens s'apprêtent à redescendre dans la rue et la cote de confiance du gouvernement est en chute libre. Il n'y a pas de négociations avec ce gouvernement sur l'agenda économique qui détruit les droits des travailleurs. Le combat syndical du moment est donc focalisé sur une procédure d'impeachment [mise en accusation] du gouvernement qui est portée par les parlementaires de gauche. Car avec un tel gouvernement il n'y a pas de futur.
Vous vous ne vous présentez pas pour un nouveau mandat. Le congrès va donc élire un nouveau secrétaire général. Est-ce que cela implique un changement dans les orientations d'Industriall ?
Le congrès va se positionner sur la base des orientations définies dans un plan d'action. Ce plan comporte quatre axes stratégiques ; faire progresser les droits des travailleurs, construire des syndicats plus forts, affronter le capitalisme globalisé et lutter pour des politiques industrielles durables. Bien sûr, dans toute organisation où il y a un changement de direction s'instaure un nouveau style dans la manière de traiter les affaires. Les uns sont meilleurs sur certaines choses, les autres dans d'autres domaines. Mais je ne pense pas qu'il y aura des bouleversements majeurs parce que tout cela s'inscrit dans une continuité. Le congrès est appelé à valider un plan d'action, c'est lui qui est souverain. Ce sera un congrès très représentatif avec 700 délégués, 2100 observateurs qui sont aussi des syndicalistes. Quelque 3000 personnes en tout vont participer à notre congrès et se prononcer . Et je suis confiant sur le fait qu'il y aura une continuité, et ce, de même qu'en ce qui me concerne, je me suis inscrit dans la suite de ceux qui m'ont précédé.