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De la victoire à la Scop

16 juin 2014 | Mise à jour le 27 avril 2017
Par | Photo(s) : Robert Terzian
De la victoire à la Scop

Il aura fallu 1 336 jours de lutte aux salariés de Fralib pour faire plier Unilever. Survenant au cœur d'une séquence sociale dure, cette victoire syndicale est d'une ampleur qui va bien au-delà du conflit. Pour les Fralib, l'aventure de la SCOP débute dès à présent. Le défi est de taille, mais les salariés ont eu le temps de s'y préparer.

Le 4 juillet, il y aura une grosse fiesta sur le site de l'usine Fralib à Gémenos (Bouches-du-Rhône). Non pas à l'occasion de la fête nationale américaine, mais pour célébrer la victoire contre le géant Unilever. À l'évocation de cette coïncidence calendaire, au moment du repas à l'usine, on aime à souligner « le pied de nez au capitalisme » que cela représente…

ILS N’ONT JAMAIS CESSÉ D’Y CROIRE

Plus de trois ans et demi après l'annonce de la fermeture du site, ils n'ont jamais cessé d'y croire et de se battre. « La première des choses à mettre en avant pour expliquer cette issue, confirme Olivier Leberquier, délégué syndical CGT, c'est la lutte des salariés. Avoir tenu si longtemps sans renoncer n'est pas anodin face à une multinationale qui s'est même permis d'exercer des pressions directement sur le pouvoir au sommet de l'État. »

En août 2012, le PDG d'Unilever, Paul ­Polman, avait déclaré dans une interview au Figaro que « certaines déclarations peuvent faire peser des incertitudes sur des investissements en France ». Allusion à François Hollande qui, durant la campagne présidentielle, s'était dit favorable à la cession de la marque Éléphant aux salariés en lutte.

Mais à force de persévérance de ces salariés, bien soutenus par la structure syndicale (lire l'entretien avec Gérard Cazorla), de revers judiciaires et, in fine, d'un coup de pouce du pouvoir politique, la pression a fini par se retourner. Et le protocole d'accord signé avec le groupe Unilever lundi 26 mai au lendemain de la décision prise à l'unanimité par les salariés en assemblée générale apparaît bien, ainsi que le souligne la déclaration commune des syndicats (CGT-CGC) le 26 au soir, comme « une victoire syndicale de grande portée ».

UNILEVER OBLIGÉ DE RÉPARER

En l'occurrence, cette victoire se chiffre. Unilever a cédé autour de 20 millions d'euros aux 76 salariés de Fralib : 10 millions d'indemnités légales et supra­légales ; 7 millions correspondant à la valeur comptable de l'outil industriel, dans les mains de la communauté urbaine de Marseille Provence métropole (CUMPM) depuis septembre 2012 mais qui va bientôt revenir dans celles des travailleurs de l'usine ; et 3 millions qui se répartissent en plusieurs postes consacrés à la formation des salariés, aux investissements de remise en route de l'outil, à des études marché, etc. Le choix de la répartition des sommes appartenant aux seuls salariés.

LA MULTI-NATIONALE A FINI PAR RENDRE LES ARMES

Il n'y a guère que sur les volumes de matière première et la cession de la marque Éléphant qu'Unilever n'a pas cédé. Et encore. Pour les volumes, il y a dans l'accord des « compensations financières » significatives. Quant à l'Eléphant, les salariés, qui estiment que le groupe veut en réalité faire disparaître cette marque n'en font plus un enjeu central. Entre-temps, ils ont gagné sur bien d'autres tableaux.

Le jour où l'accord a été signé, le 26 mai, la Dirrecte devait se prononcer sur la validité du quatrième PSE, plus d'un an après l'annulation du troisième par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le 28 février 2013. Ce quatrième PSE, portant sur 14 salariés alors que l'usine en comptait 182 au moment de l'annonce de la fermeture le 28 septembre 2010, n'avait aucune chance de passer. « Juridiquement, on était sûr de notre fait, explique Olivier Leberquier. On avait fait travailler nos experts et avocats et on avait la certitude que ce plan était tout autant illégal que les trois précédents. Mais il fallait bien mesurer ce qu'on avait obtenu par la lutte, ce qui restait à gagner. Est-ce qu'on pouvait continuer ? Comment ? La signature de cet accord n'a pas été une décision facile à prendre. »

D'autant moins qu'elle implique que « l'on renonce à tous les recours administratifs », concernant notamment la validité du PSE.

L'EMPLOI ET L'OUTIL DE PRODUCTION D'ABORD

Mais parallèlement au parcours judiciaire du dossier, des négociations entre les Fralib et la direction du géant, à l'initiative de ce dernier (qui avait imposé la confidentialité avant de la rompre quelques mois plus tard) avaient débuté en novembre dernier. Une séquence durant laquelle la direction a tenté de proposer des sorties individuelles du conflit, fait du chantage à l'abandon des négociations, etc. Pour finalement faire le constat qu'aucune des pistes explorées pour diviser les Fralib et les détourner de leur ligne n'avait fonctionné.

Alors, à l'approche du 26 mai qui marquait à coup sûr la poursuite du conflit et de la lutte pour de longs mois encore, le groupe anglo-néerlandais, n° 2 mondial de la vente de produits de consommation courante, a fini par rendre les armes.

Les Fralib, eux, ont mené la séquence sans coup férir comme en atteste la façon dont ils ont négocié les indemnités supralégales. « Nous n'avons jamais mis ça dans la balance, rappelle Olivier Leberquier. Depuis le début, on s'est battus pour l'emploi et pour la récupération de l'outil industriel, pas pour le fric. Mais Unilever avait engagé des transactions avec des salariés de manière individuelle. »

Une première offre à 60 000 euros, auxquels se sont rajoutés plus tard 30 000 euros supplémentaires, et pour certains encore 10 000 euros de plus. « En janvier dernier, pour essayer d'en finir, ils ont proposé 90 000 euros à chacun des 62 salariés en lutte non concernés par le PSE. Tous ont refusé. Mais, quand on a signé le protocole quatre mois plus tard, on leur a dit qu'il n'était pas question que les salariés qui n'avaient pas transigé n'obtiennent pas la même somme que ceux qui avaient choisi de partir. »

METTRE LA SCOP EN ROUTE

À Gémenos, on savoure bien sûr cette victoire. Mais on est déjà tourné vers l'avenir, et cet avenir c'est la SCOP TI (pour Thés et Infusions). Les statuts ne sont pas déposés mais « on aimerait finaliser le démarrage officiel de la SCOP en fin d'année et aller vers un début de la production au premier trimestre 2015 », confie Olivier Leberquier. D'ici là, beaucoup reste à faire : solder le conflit dans tous ses aspects juridiques et administratifs, remettre à niveau l'équipement, continuer à démarcher des partenaires potentiels en amont (fournisseurs) comme en aval (distribution).

Sur la production, en terme de compétence, de savoir-faire et d'équipement, aucune crainte du côté des Fralib. Ils ont ce qu'il faut. Par contre, c'est sur le volet commercial que l'effort, peut-être via du recrutement et/ou de la formation, va devoir porter.

« BASCULER DU MODE LUTTE À CELUI DE TRAVAIL »

Dans tous les cas, il va falloir très vite « se projeter dans la Scop et basculer du mode “lutte” à celui “travail” : il faut qu'on définisse les horaires, les postes, les tâches à faire, etc. », énumèrent Olivier Leberquier et Gérard Cazorla. Depuis quelques mois, ils se sont posés dans les bureaux qui accueillaient la comptabilité. C'est de là désormais qu'ils envoyaient les mails d'info, les convocations à des conférences de presse, les invitations aux manifs, aux meetings, aux actions pour la lutte.

Comme ils l'ont fait pendant trois ans et demi dans cette usine occupée depuis septembre 2010. La veille de la rencontre, sont arrivés une centaine de kilos de thé vert vietnamien centenaire « de très haute qualité ». Il va bientôt falloir le mettre en sachets. Cette fois, la SCOP TI, c'est vraiment parti.