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Hommage à Jeannette Vanderschooten

17 janvier 2023 | Mise à jour le 18 janvier 2023
Par | Photo(s) : Bapoushoo
Hommage à Jeannette Vanderschooten

Grande figure de la Résistance et ancienne secrétaire générale de notre journal de 1958 jusqu’au début des années 80, Jeannette Vanderschooten est décédée à l’âge de 104 ans. Elle nous avait accordé une interview il y a quatre ans, à l’occasion de son centième anniversaire. Morceaux choisis.

 

NVO Quels souvenirs as-tu de ton enfance et de tes origines ?

Je viens d'une famille pauvre et je n’ai jamais pas connu mon père. Nous avons vécu dans des taudis sans eau, sans gaz, sans toilettes. J'ai été marquée par certains moments de mon enfance. La mairie d'Issy-les-Moulineaux nous donnait des bons pour des pois cassés. Ma mère n'osait pas s'en servir. C'était une question de dignité. C'est bien de distribuer, mais la dignité des gens… Lorsqu'on arrivait chez la commerçante, maman n'osait pas, moi non plus. Je me mettais dans un coin avec mon bon et la marchande me disait : « alors Nénette, qu'est-ce que tu veux aujourd'hui ? » Alors, je donnais mon bon, et ça, ça m'est resté. C'est bien la solidarité, mais ça fait mal.

NVO Et comment en es-tu venue à t'engager politiquement et syndicalement ?

Avant d'être communiste, j'étais Jociste, parce qu'il y avait tant de misère et la JOC organisait la solidarité. C'est donc de Jociste que je suis devenue communiste. C'était aussi la pratique de la solidarité, mais les communistes faisaient plus. J'adhère aussi à la CGT en 1936. A cette époque,  je travaillais aux pianos Gaveau à Fontenay-sous-Bois. Mais j'ai fait plein de métiers. Je n'ai  pas fait d'études et j'ai commencé à travailler à 14 ans.  Je n'ai que le certificat d'études. Quand je l'ai obtenu, l'institutrice a dit que j'avais les qualités pour être secrétaire. Mes parents m'ont donc mis à l'école Pigier, mais au bout de trois mois, j'ai arrêté car c'était trop cher. J'ai fait toutes sortes de travail, j'ai fabriqué des fermetures éclair, j'ai été coiffeuse, vendeuse, fleuriste – Jeannette rit en évoquant cette liste à la Prévert – Chez Gavaud, je collais des plaques de contre-plaqué pour la fabrication de pianos puis j'ai été au vernissage des postes de TSF. En principe, j'essayais de trouver des choses pour apprendre un métier.

NVO Quelles rencontres t'ont marquée dans ta jeunesse ?

Danielle Casanova a marqué ma vie. Lorsque je l'ai connue, c'était en 1936, elle était pleine de perspectives. Alors, quand est arrivé le Front Populaire, ça a confirmé ce qu'elle disait : on peut changer la vie, on peut changer monde. On chantait « Ma blonde », on chantait « l'Avant-garde », ça y était, notre pays va vers le soleil levant. C'est ce qui a amené les jeunes des matins qui chantent à être Résistants car on y croyait encore. J'ai adhéré au Parti Communiste en 1935. C'est au congrès des jeunesses communistes de 1936 à Marseille que je rencontre Danielle Casanova. Nous, les filles, n'étions pas très nombreuses. Danielle nous a réunies et nous avons décidé de créer l'Union des Jeunes filles de France. Elle était dentiste et les premières réunions avaient lieu dans son cabinet dentaire. Au fur et à mesure, les filles de la région parisienne allaient la voir pour la tenir au courant des cercles qui commençaient à être créés. Au premier mai, j'avais un groupe d'une quinzaine de personnes et on a défilé derrière Danielle en tant que Jeunes Filles de France (JFF). J'étais étonnée qu'une dentiste s'occupe de pauvres filles comme nous, alors qu'elle aurait pu vivre tranquille. Elle s'est totalement dévouée. Il n'y avait pas encore eu le Front Populaire, or Danielle ne doutait pas un seul instant qu'on ne puisse pas être victorieux. Elle avait une confiance dans l'avenir extraordinaire qu'elle savait transmettre.

NVO C'est l'effet de 1936 qui a fait l'engagement dans la Résistance ?

Quand les Allemands sont arrivés, on ne s'est pas posé de questions. J'habitais à Montreuil, dans le même immeuble,  il y avait un jeune camarade, Roger Jurquet, âgé de 18 ans qui venait de se marier. Je suis reconnue pour être entrée dans la Résistance d'octobre 1940 à la fin de la guerre. Jean Chaumeil, responsable du secteur, m'a demandé de cacher chez moi la machine à écrire récupérée à la permanence des jeunes. Il y avait aussi une Ronéo, mais qui a été mise ailleurs pour éviter de tout grouper. Soupé,  l'ancien maire communiste de Montreuil avait tourné sa veste et beaucoup de jeunes communistes de Montreuil ont été arrêtés sur dénonciation. La dernière fois que j'ai vu Danielle Casanova, c'était pour une réunion à la bourse du travail de Montreuil avant que les allemands arrivent. Nous étions interdits puisque le PCF était interdit. On a été au parc à côté de la mairie. Elle est montée sur un banc et elle nous a dit : « Nous allons avoir une lourde tâche. Non seulement contre les Allemands, mais contre ceux qui nous ont trahis. » C'est la dernière fois que j'ai vu Danielle.

NVO Et à la Libération, comment ça s'est passé ?

A la Libération, j'étais membre du Comité départemental de Libération de Seine-et-Oise et à la direction de l'UFF, comme responsable des questions sociales.  Ma tâche était de populariser la mise en place de la Sécurité sociale. J'étais en lien avec les services d'Ambroise Croizat et j'ai réalisé une petite brochure pour expliquer la Sécu. On me demandait des choses impossibles, alors que je n'avais que mon certificat d'études. Toutes les semaines, j'allais parler à la télé et à la radio nationale pour expliquer et soutenir la sécurité sociale. Il fallait encore voter sa mise en place. Croizat avait dit, qu'on devait faire les choses en fonction de la situation. Or la situation de la France était dramatique. Cependant, pour lui, la Sécu était la priorité, car il ne fallait pas tromper la Résistance. Par la suite, j'ai créé le mouvement des femmes de cheminots que j'ai présidé, et pour lequel j'éditais un journal, puis j'ai présidé les associations familiales CGT. Je me suis aussi beaucoup engagée pour la paix…

NVO Et comment arrives-tu à la Vie Ouvrière ?

C'est en 1958, que ça se passe, et j'y suis restée jusqu'à ma retraite. Avant cela, j'avais dit à l'UFF que j'avais fait mon temps et j'ai demandé à être dégagée de toutes mes responsabilités. Mais il fallait quand même que je travaille. Je travaillais aux photos et j'ai obtenu ma carte de journaliste. Je pouvais faire beaucoup de choses, mais ce qui m'a toujours posé problème, c'est que je n'avais que mon certificat d'études. Et ça me donnait des complexes. Robert Tellier me disait : mais pourquoi n'as-tu pas continué ? J'étais bonne en rédaction, mais pas en orthographe. Ca m'a gêné vis-à-vis des journalistes dont j'avais la responsabilité, puisque j'étais secrétaire générale de la rédaction. A l'époque, ce n'était pas simple pour une femme. Robert Tellier soutenait l'idée d'un grand journal. Il voulait faire de la VO un magazine et m'a demandé de trouver des photographes. J'ai fait le tour des agences photos et j'ai repéré des photos qui me plaisaient beaucoup ; c'étaient celles de Robert Doisneau. J'ai pris contact avec lui et j'ai fait quelques reportages avec lui. On voulait sortir du train-train avec des photos choc. Dans tout cela, j'étais devenue secrétaire générale de la rédaction. Il fallait toujours qu'on ait des idées. C'est comme ça qu'un matin je suis allé avec Robert à 5h30 à la gare du Nord, où c'était des femmes âgées qui balayaient. J'ai un excellent souvenir de ces balayeuses de la gare du Nord, qui ont été charmantes. Nous étions contents de faire la démonstration que les vieux étaient obligés de travailler. J'adorais la photo, je m'en suis occupée toutes ces années et jusqu'à la fin ; les couvertures, les titres… Mais je ne suis en rien exceptionnelle,  juste comme ces fourmis dont on croit s'être débarrassé à coup d'insecticide en automne et qui reviennent au printemps. Et on est des milliers.