Lillian, militant de la CGT, tué par un chauffard.
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Jack Ralite est décédé le 12 novembre 2017 à l'âge de 89 ans.
Ministre de la santé de François Mitterrand de 1981 à 1983, délégué à l'emploi de 1983 à 1984, maire d'Aubervilliers de 1984 à 2003, ex-député (1973-1981) et sénateur (1995-2011) de Seine-Saint-Denis, l'homme, communiste, a été, durant cinquante ans, une figure majeure de la vie politique française. Intime des textes, aimant à citer les auteurs, passionné de théâtre et de cinéma, de poésie et de toutes les formes d'arts…
Infatigable spectateur, fidèle aux artistes mais aussi à la banlieue, militant de la décentralisation culturelle et de l'audiovisuel public, il n'aura jamais dérogé à ses convictions. Il a été administrateur dans plusieurs établissements culturels : le Théâtre national de la Colline, le Théâtre du Peuple de Bussang, la Cité de la musique…
Nous le connaissions à plus d'un titre. D'abord, parce que Jack s'est toujours intéressé aux questions de culture et aussi parce qu'il a été un soutien très fort dans les batailles contre les remises en cause du régime d'assurance chômage des artistes et techniciens intermittents du spectacle. Il a toujours été présent à nos côtés sur ces deux terrains, politique — les orientations de notre ministère de tutelle… — et pour la défense des droits sociaux. Si les deux sujets sont liés, il avait, lui aussi, tout à fait compris qu'il ne faut pas les confondre. Le combat politique pour la culture concerne tous les acteurs du secteur, les professionnels (artistes, techniciens, agents du ministère de la culture…) comme le public. Et, le public, c'était son grand souci. Lui-même n'était pas un professionnel de la culture — même s'il a été administrateurs dans plusieurs établissements culturels — mais il était un infatigable spectateur, passionné de spectacle. Il allait quasiment tous les soirs au théâtre ou au concert, on le croisait tous les étés au festival d'Avignon et cela jusqu'en 2016 alors qu'il était déjà très fatigué…
Il avait assisté à des débats, notamment à celui avec Philippe Martinez qui se tenait dans la cour de la maison Jean Vilar sur le thème « Réinventer les relations entre monde du travail et culture ». Féru de cinéma, Jack était aussi un habitué du festival de Cannes. Quant à la défense du régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle, si le sujet peut être considéré comme culturel, c'est surtout une affaire de droits sociaux que certains, comme le Medef, voudraient justement ramener dans le champ des subventions culturelles. La CGT Spectacle, qui défend par ailleurs les musiciens permanents des orchestres, les travailleurs permanents de l'Opéra, de la télévision… a toujours défendu l'idée que pour les salariés qui connaissent une discontinuité de l'emploi (artistes, techniciens… de l'audiovisuel comme du spectacle) il doit y avoir une assurance chômage à hauteur de cette discontinuité.
Dès sa création en 2003 il a fait partie du comité de suivi de la réforme du régime d'indemnisation chômage des intermittents à l'Assemblée nationale — instance de discussion entre parlementaires et organisations qui avaient lutté contre la réforme et la forte réduction des droits qu'elle induisait. Il en était d'ailleurs l'un des piliers avec Etienne Pinte (député UMP) et Noël Mamère (député écologiste). Ensuite, après 2003, il a notamment contribué à renouer le dialogue entre la CGT spectacle et les coordinations d'intermittents et précaires, notamment celle d'Île-de-France (CIP-IDF), avec qui les relations étaient un peu tendues.
Or, le résultat c'est non seulement qu'à la réactivation du comité de suivi en 2014 pour les nouvelles négociations de la convention Unedic, la CGT Spectacle et les Coordinations ont pu travailler ensemble mais, surtout, nous avons pu mener une lutte beaucoup plus unitaire qu'en 2003 ce qui a nous a permis de gagner en 2014-2016. Si la capacité de Jack à faire le lien entre des gens de divers bords et de bonne volonté a été incontestablement utiles, ses interventions et ses écrits ont également été un grand soutien dans la lutte des intermittents. Quand il parlait, tout le monde se taisait pour écouter. En 2014, Jack a participé à plusieurs assemblées générales, il est venu à la Villette, etc. Et le 16 juin, à l'occasion d'une très grosse manifestation — en fait un rassemblement au ministère qui s'est transformé en manifestation vers Matignon — il nous a adressé un texte de soutien parce qu'il ne pouvait pas venir.
Avant de partir à Matignon j'ai lu le texte de Jack Ralite au micro. Intitulé « Avec vous fidèlement », il commençait par un petit extrait du poème La Rage de Pasolini : « La classe propriétaire de la richesse/Parvenue à une telle familiarité avec la richesse/Qu'elle confond la nature et la richesse » et il se terminait par « Toujours plus rassemblés entre vous, toujours plus solidaires avec d'autres qui renoncent à renoncer, vous utilisez votre pouvoir d'agir à l'étage voulu, avec vos sensibilités, vos imaginations, vos intelligences, vos disponibilités. Vous êtes souffleurs de conscience et transmettez une compréhension, une énergie, un état d'expansion, un élan. Adressez-vous à ceux qui rient, réfléchissent, pleurent, rêvent à vous voir et vous entendre jouer. Surtout que le fil ne soit pas perdu avec eux. “L'homme est un être à imaginer”, disait Bachelard. A fortiori les artistes et techniciens de l'art que vous êtes. Solidarité, frères et sœurs de combat et d'espérance. Avec vous, comme disent beaucoup de personnages de Molière : “J'enrage”. » Il n'a pas pu venir mais il a envoyé ce texte-là. Parfois il faisait un peu long, mais tout le monde s'en fichait, c'était toujours de beaux textes, d'une grande culture, magnifiquement écrits et qui disaient les choses avec une grande justesse. C'est cela aussi la culture… Les beaux textes.
Il nous a toujours accompagnés dans nos luttes mais il a aussi été moteur sur le plan politique. Pour ce qu'il a conduit d'abord. Il est connu pour les « États généraux de la culture » qu'il a lancé en février 1987 au Théâtre de l'Est Parisien pour réagir à la marchandisation de la culture. À l'époque celle-ci se mettait en branle via l'audiovisuel avec surtout la privatisation de TF1. Il a d'ailleurs toujours été un ardent défenseur de l'audiovisuel public, très présent dans les batailles en faveur de la télévision publique ou du cinéma : pour sauver la Société française de production et les studios des Buttes Chaumont de l'ORTF de même que pour les Studios de Billancourt et il était très lié avec nombre de réalisateurs (Stellio Lorenzi, Marcel Buwal, Marcel Trillat…) Mais, non seulement il réagissait, il voulait aussi proposer autre chose. Or, il a rapidement compris que, dans ce contexte, c'est à une redéfinition de la politique culturelle qu'il fallait travailler. Tous ceux qui, en tant qu'acteurs culturels au sens large (spectateurs, professionnels, directeurs de théâtres, et autres employeurs, gens de droite, de gauche, etc.), étaient intéressés par ce débat ont donc été conviés à participer aux « États Généraux de la culture », « un sursaut éthique contre la marchandisation de la culture et de l'art, et contre l'étatisme. Une force qui veut construire une responsabilité publique sociale, nationale et internationale en matière de culture » écrivait-il.
Rapidement, ils ont essaimé à travers la France, puis l'Europe : en 1989, la Commission Européenne adopte la directive « télévision sans frontière » (60 % d'œuvres européennes et nationales dans les télévisions, si possible) et en décembre 1994, avec l'appui de l'exécutif français, les négociations du GATT (accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), qui remettaient notamment en cause les politiques de soutien au cinéma, aboutissent à la création de « l'exception culturelle ». Mais la contre-offensive ne tarde pas. De renoncements en renoncements — de la substitution à l'Unesco de l'« exception culturelle » par la « diversité culturelle » en 1999 au rapport Levy-Jouyet sur « l'économie de l'immatériel » en 2006 —, selon les propres mots de Jack Ralite, « peu à peu l'esprit des affaires, l'emporte sur les affaires de l'esprit dans la visée des deux grands marchés d'avenir, l'imaginaire et le vivant ». Je dirais que dans le secteur du spectacle, il est cependant resté quelque chose de l'esprit des « États Généraux de la culture » qui avaient déclaré que « quand un peuple abandonne son imaginaire aux grandes affaires, il se condamne à des libertés précaires ». Ils ont eu pour effet que le secteur continue d'entretenir des principes communs et ce, malgré les divergences qu'il peut y avoir dans la profession, notamment avec le patronat. C'est un tout petit secteur mais sur cette base il se défend et fait des propositions. Cela fait partie de l'héritage de Jack, il a grandement aidé à cela.
Oui, en février 2014 Jack Ralite a été la plume de l'appel « la construction culturelle en danger » adressé à François Hollande et signé par des centaines d'artistes de toutes disciplines, mais aussi des chercheurs, des syndicalistes (CGT, CFDT, FSU, UNSA et SUD-Solidaires), etc. Il correspond à la période où nous avons lancé les « marches pour la culture » avec nos syndicats mais aussi avec des employeurs comme le Syndeac. Nous dénoncions la vision déjà comptable du budget du ministère de la culture (en chute de près de 6 % entre 2012 et 2014), les baisses de subventions aux collectivités territoriales, etc.
« La politique culturelle ne peut marcher à la dérive des vents budgétaires comme la politique sociale d'ailleurs avec qui elle est en très fin circonvoisinage. “L'inaccompli bourdonne d'essentiel” disait René Char. » C'est ainsi que ce terminait l'appel en question. En 1965, la Ville d'Aubervilliers a inauguré son théâtre, dans la continuité du Festival qu'avait imaginé dans la ville le metteur en scène, Gabriel Garran, et Jack Ralite. Pour eux, tout comme Firmin Gémier, Jean Vilar, Roger Planchon ou Antoine Vitez, l'accès à la culture et à la création artistique, aussi nécessaires que l'éducation ou la santé, devaient être démocratisés et être mis en œuvre sur tout le territoire. C'était tout l'esprit de la décentralisation que viennent mettre en péril les politiques actuelles de restriction budgétaire et de désengagement de l'État. Le théâtre d'Aubervilliers est devenu le premier Centre dramatique national de Banlieue en 1971 or, dans la décentralisation théâtrale on parle beaucoup d'Avignon et d'autres grandes expériences. Mais montrer qu'il se passait des choses de l'autre côté du périphérique actuel était, et demeure, tout aussi important.
Tout s'inscrit dans le plan d'action CAP 2022 décrit dans une étude Ernst&Young/Institut de l'Entreprise de la campagne d'Emmanuel Macron. Tout a été décidé entre Bercy et l'Elysée et est porté par la ministre Nyssen. Dans la méthode, c'est une première. Ses prédécesseures tentaient au moins de faire rectifier les arbitrages à Bercy. Concernant la culture, le document annonce tout simplement la destruction du ministère dans son essence, son découpage par appartement… De plus, tout ce qui a fait la décentralisation culturelle est nié : non seulement des compétences sont soit disant redonnées aux régions qui en réalité voient leurs budgets se réduire, mais la pluralité des modes de financements qui permettait la diversité de spectacles serait empêchée par le guichet unique des subventions…
En 2014, nous écrivions (avec Jack Ralite) « Beaucoup de ce qui avait été construit patiemment se fissure, voire se casse et risque même de disparaître. Le patrimoine dans sa diversité, le spectacle vivant dans son pluralisme, l'écriture, les arts plastiques, les arts de l'image et l'action culturelle sont en danger. Faute de crédits suffisants, de personnels, de négociations, de considération et de reconnaissance du travail humain, du respect des métiers, se répandent des malaises, des souffrances, des colères. Le ministère de la culture risque de n'être plus le grand intercesseur entre les artistes et les citoyens. Il perd son pouvoir d'éclairer, d'illuminer. Les collectivités territoriales dont le rôle est devenu immense en culture et en art voient leurs finances brutalisées et réduites par Bercy. » Aujourd'hui, nous pourrions écrire exactement la même chose sauf que là, ce qui nous attend est pire qu'en 2014 : la destruction du tissu culturel est programmée mais sans autres raisons qu'idéologiques car, in fine, les économies à faire au ministère de la culture seront minimes. Nous avons écrit à la ministre qui doit s'expliquer et un premier communiqué a été fait dès la sortie des informations dans Le Monde et L'Humanité.
Avant l'été, la commission exécutive confédérale a consacré une demi-journée de débat à la thématique « culture et monde du travail » – Comment la culture entre dans les entreprises, dans le monde du travail et quels outils on peut mettre en œuvre pour y parvenir ? Un autre débat, porté par le collectif pour les activités sportives et culturelles, a abordé le lien avec les entreprises, notamment via les comités d'entreprise. C'est donc une question qui intéresse la direction confédérale et qui intéresse à nouveau beaucoup de monde dans la CGT, certainement moins que dans une période passée mais au moins cela suscite à nouveau un intérêt. C'est ce qui a amené à proposer le stage « l'école du spectateur » à Avignon l'été dernier, initiative qui a été particulièrement bien perçue par ceux qui y ont participé. Il y a aussi des évènements culturels dans lesquels les Unions locales sont très investies et qui gagneraient à être valorisées dans les organisations de la CGT. C'est le cas, par exemple de Charleville-Mézière et du Festival mondial de la marionnette. Effectivement, la CGT est aussi soucieuse de dire que la culture ce n'est pas réservée à une élite ou, comme Jean Vilar, qu'« il faut faire du théâtre élitiste pour tous ».
Cela veut dire proposer des spectacles exigeants mais qui soient financièrement accessibles et auxquels chacun se sente autorisé à assister. C'est important que nous, confédération syndicale, nous affirmions que la culture n'est pas une affaire de spécialistes ou d'intellectuels mais qu'elle est, pour tous, le moyen de réfléchir, d'échanger, de mettre en mouvement nos intelligences, nos sensibilités, de s'approprier ce que nous voulons faire de nos vies… La culture devrait être un investissement politique dans tous les sens du terme : investie par tout le monde, notamment les collectivités, comme l'expression de ce qui fait société.
Jack Ralite était de ces personnes qui emportent le respect parce qu'avec humilité elles disent ce que nous pensons, mieux que nous ne saurions le faire. Non seulement, lire son texte le 16 juin 2014 a été très émouvant mais il garde en plus toute son actualité. Je pense que je le ressortirai dans une AG. Juste pour rappeler les fondamentaux.
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