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« Je suis formel, je n’ai frappé personne »

3 mai 2016 | Mise à jour le 14 février 2017
Par | Photo(s) : Bruno Coutier/Picturetank
« Je suis formel, je n’ai frappé personne »

Sociologue, universitaire à Paris 8, expert pour les CHSCT et militant CGT, Nicolas Jounin a été l’une des victimes de la répression policière lors de la mobilisation contre la loi « travail » du 28 avril. Nous avons recueilli son analyse ainsi que celle du secrétaire général de l’UD CGT de Seine-Saint-Denis, où l'interpellation a eu lieu. Entretiens.
QUE S’EST-IL PASSÉ LE 28 AVRIL ?

Dans le cadre d’une action de blocage à l’initiative de l’assemblée générale de l’interprofessionnelle de Saint-Denis, relayée par l’AG interprofessionnelle de la ville d’Aubervilliers à laquelle je participe, nous avons procédé à un barrage filtrant sur le port de Gennevilliers qui a duré une petite heure. A ce moment-là, tout se passait bien, c’était vraiment pacifique : on faisait le blocage de rond-point par un barrage filtrant, ce qui nous permettait de distribuer des tracts aux conducteurs des véhicules… Là, les CRS aussi étaient pacifiques : faisant en sorte d’organiser la circulation, ils n’ont pas cherché à nous embarquer.

Ensuite, la manifestation s’est dirigée vers Saint-Denis. Arrivée à la sortie du métro Carrefour Pleyel, une ligne de policiers nous bloque. Je ne sais si ces CRS étaient ceux qui étaient à Gennevilliers, mais là, tout était beaucoup plus tendu. Clairement, on était suivis et attendus, l’idée étant d'empêcher le cortège d’environ 200 personnes de passer (130 personnes ont été embarquées). Nous avons fait une ligne de manifestants en nous tenant par les bras. Les deux lignes se sont rencontrées et par derrière, on m’a fait deux croche-pieds dont je ne me suis pas relevé. Je suis tombé parmi les premiers, puis j’ai été transporté au commissariat de Saint-Denis où on m’a notifié ma garde à vue pour « violence sur agent » et seulement plus tard est intervenue la circonstance aggravante de « violence en réunion ».

QUELLE EST VOTRE INTERPRÉTATION ?

J’ai été jeté à terre et j’ai reçu un coup à la tête. Ensuite, j’étais un peu confus… Je me demande si en voyant ce qu’ils avaient fait, les policiers n'auraient pas pris peur et décidé, du coup, de me coller l’accusation de « violence ». Je suis formel, je n’ai frappé personne.

LE COLLÈGUE SYNDICALISTE DE SOLIDAIRES, QUI A ÉGALEMENT ÉTÉ ARRÊTÉ, ÉTAIT-IL AVEC VOUS ?

Non, lui a été arrêté plus tard – avec tous les autres – et m’a rejoint en garde à vue car, lors d’un contrôle d’identité, un Opinel a été trouvé dans son sac. Ce soir-là, nous avons tous deux été déférés au parquet pour être jugés dès le lendemain en comparution immédiate. La procureure générale a demandé le contrôle judiciaire pour le collègue de Sud-Rail et la détention provisoire pour moi, en le justifiant bien davantage par le « contexte actuel », qui serait supposément tendu en raison de violences délibérées de la part de manifestants, que par les actes réellement commis. Même notre avocat était étonné.

QUELLE EST VOTRE ANALYSE ?

Il y a une séquence inquiétante de répression policière de tout un tas de mouvements sociaux. Et elle est encore plus inquiétante du fait que nous sommes sous un gouvernement de gauche. Depuis la mort de Rémi Fraisse, l’état d’urgence, la manifestation au moment de la COP21 (où j’avais fait partie des manifestants qui avaient été « nassés » pendant plus de quatre heures), et puis tout ce qui se passe depuis le début du mouvement, on voit une pression policière et des provocations incessantes.
C’est une stratégie délibérée de tension, de la part des pouvoirs publics, pour dissuader les gens d’aller manifester et, de fait, malheureusement, ça marche. Souvent, en distribuant des tracts les gens nous le disent, ils sont d’accord, mais ils ont peur d’aller manifester en raison de ce qu’ils voient à la télévision.

C’EST UNE TENDANCE À LA CRIMINALISATION DE L’ACTION CITOYENNE ET SYNDICALE ?

Effectivement, car il y a aussi eu les épisodes Air France, Goodyear… C'est en effet une tendance à la criminalisation – quand, comme nous, on finit au tribunal –, mais aussi à la répression policière. Il y a plein de gens qui ont pris des coups, des gaz et qui, du coup, ne viennent plus manifester.

IREZ-VOUS MANIFESTER LE 3 MAI ?

Oui, j’y serai.

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TROIS QUESTIONS À

 

Hervé Ossant,
secrétaire général de l’UD CGT de Seine-Saint-Denis
où l'interpellation du sociologue Nicolas Jounin a eu lieu.

 

 

 

 

 

« LE GOUVERNEMENT JOUE LA CARTE DU POURRISSEMENT »
LES ARRESTATIONS DU 28 AVRIL SONT-ELLES RÉVÉLATRICES DU CONTEXTE SOCIAL EN SEINE-SAINT-DENIS ?

Je ne pense pas que ce soit particulier à la Seine-Saint-Denis. Par contre, elles sont révélatrices du climat extrêmement tendu à cause de la loi El Khomri, mais aussi à la suite de toutes les contre-réformes mise en œuvre depuis trois ans ; l’Ani de 2013, la loi Macron, la loi Rebsamen qui, avec les décrets qui sortent, vont considérablement affaiblir les militants dans les entreprises. Vient maintenant s'ajouter cette loi « travail » qui va réduire fortement le pouvoir d’intervention des salariés et déboucher sur une justice à plusieurs vitesses : des codes du travail différents selon les entreprises, des accords pouvant s’imposer au détriment de la loi, toutes choses à la fois nocives et inefficaces sur le plan économique.

DANS LE 93, LES MOBILISATIONS SYNDICALES ET CITOYENNES CONTRE LA LOI « TRAVAIL » SONT-ELLES PLUS NOMBREUSES OU PLUS VIOLENTES QU’AILLEURS ?

Il y a beaucoup d’initiatives qui convergent : des meetings, des journées d’études sur la loi, des intersyndicales qui se créent, des manifestations qui s’organisent – comme celle de Saint Denis –, des Nuits debout dans 5 ou 6 villes, bien sûr… Tout cela est pacifique, mais il y a un vrai besoin de pouvoir s’exprimer. Lundi 2 mai, vers 19h30, nous avons prévu de façon unitaire (CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL) d’aller nous poster devant les permanences parlementaires pour y effectuer des concerts de casseroles, en clin d’oeil aux débats des Nuits debout. Il s'agit de mettre la pression sur les parlementaires, puisqu'il semblerait que le gouvernement soit en train de compter les voix pour faire voter sa loi et qu'une quarantaine de députés refuseraient de la voter… C’est véritablement le moment d’avoir plusieurs fers au feu entre des mobilisations type manifestations, grèves en entreprise, etc. et aussi tout ce qu'on peut faire avec les gens dans les lieux publics, notamment vis-à-vis des députés qui seront comptables de leurs votes devant les citoyens de leur circonscription.

QUELLE EST VOTRE ANALYSE DE CE QU’IL S’EST PASSÉ LE 28 AVRIL ?

Avec toutes ces mobilisations contre les différentes réformes déjà évoquées, y compris celle, un peu oubliée, contre la déchéance de nationalité et l’état d’urgence, le gouvernement se retrouve aux abois et joue la carte du pourrissement et de la criminalisation du mouvement syndical. Les dernières déclarations de Bernard Cazeneuve le montrent, enjoignant les organisateurs des manifestations de faire le service d’ordre en dehors des manifestations… On peut légitimement s’interroger sur les ordres donnés aux forces publiques pour encadrer les cortèges alors qu’elles ne parviennent pas à maîtriser 200 ou 300 casseurs. Je précise qu’un autre syndicaliste CGT Ratp a été arrêté le 28 avril en fin de manifestation alors que la place de la Nation était devenue une véritable souricière.