
Services publics : sur le terrain, l’indigence des moyens
Inspecteurs du travail, agents des finances publiques, des douanes, de la répression des fraudes ou de la préservation de la biodiversité, tous constatent avec amertume... Lire la suite
Portrait de Jean-Marc Canon, secrétaire général de l'Union fédérale des syndicats de l’État
Jean-Marc Canon : Le texte arrive dans un contexte très hostile, alors que les salaires des fonctionnaires sont gelés jusqu'en 2022, que le gouvernement a rétabli le jour de carence, qu'on nous annonce la suppression de 120 000 emplois supplémentaires et la privatisation de missions de services publics. Cette réforme est une attaque inédite contre les agents et contre le statut de fonctionnaire. Elle constitue un véritable recul de société, ce qui explique que même la CFDT a rejoint l'action du 9 mai. La consultation de dix mois a été une mascarade.
Nous avons fait des contre-propositions par dizaines. Aucune n'a été retenue. Tous les syndicats se sont heurtés au même refus. Il n'y a eu aucun dialogue social, mais un passage en force du gouvernement.
L'exécutif compte accentuer le recours au non-titulariat. La fonction publique est déjà minée par la précarité. Sur 5,2 millions agents, près de 25 % sont des non-titulaires, dont la majorité en CDD de moins d'un an. Dans la territoriale et l'hospitalière, des agents cumulent 50 à 100 contrats de courte durée avant d'être remplacés par de nouveaux précaires.
On ne peut pas vivre dignement sans stabilité sociale. Demain, avec le recrutement de gré à gré, quels seront les garde-fous pour que les maires ne recrutent pas leurs amis, leur famille, plutôt que quelqu'un sur sa compétence ? Qui garantira qu'il n'y aura pas de discriminations ethniques ou religieuses ? La Déclaration des droits de l'homme garantit l'égalité d'accès aux emplois publics. Ce texte est une régression.
Le statut crée des droits et des devoirs. Le fonctionnaire exerce des missions d'intérêt général, en respectant une déontologie. Il doit être neutre et impartial. Le statut d'octobre 1946, voté à l'unanimité, a été l'une des premières mesures prises par le Conseil national de la Résistance. Car, pendant la Seconde Guerre, les fonctionnaires ont dû obéir et se taire, et certains se sont rendus coupables de terribles exactions. De nos jours, le fonctionnaire a le devoir de s'opposer à un ordre illégal, avec la garantie de garder son emploi.
Le non-titulaire, dont la reconduction du contrat dépend de son supérieur, n'aura pas cette possibilité. La CGT n'est pas opposée à la modernisation, il faut s'adapter aux besoins de la société. Mais en quoi créer de la précarité est-ce moderniser ? Ce projet de transformation est un projet de démantèlement. Car, ce que nous promet l'exécutif, c'est de supprimer des missions de service public. Pour ça, il va multiplier les mobilités contraintes en retirant aux représentants des personnels toutes prérogatives.
On introduit les pires recettes managériales venues du privé. On entend désormais des termes comme « fluidité », « souplesse », « manageurs responsables », « rentabilité ». L'objectif est de favoriser les entreprises et la loi du marché, y compris au détriment de la santé des populations. Partout on a réduit à l'os la fonction publique. À la répression des fraudes, il ne reste que 2 800 agents pour contrôler 3 millions d'entreprises et protéger le consommateur.
ans moyens pour effectuer des contrôles préventifs et réguliers dans les entreprises, celles-ci ont tendance à s'exonérer des normes de sécurité obligatoires. C'est comme ça qu'arrivent des catastrophes sanitaires, comme le scandale Lactalis du lait contaminé. Un service public n'a pas à être rentable, il doit remplir des missions d'intérêt général. Ce qu'on doit chercher, c'est la qualité de service rendu. Le gouvernement veut payer les fonctionnaires au mérite. Mais est-ce qu'on va être jugé au sein de l'hôpital public sur le nombre d'actes pratiqués ? Ou dans un commissariat sur le nombre de contraventions émises ? L'intérêt général n'est pas réductible à une politique du chiffre.
En 2017, Édouard Philippe a écrit aux préfets et aux ministres pour leur demander d'identifier les missions de service public qu'il faudrait déléguer au secteur privé, voire abandonner. C'est assumé. On a pourtant pu constater, notamment avec la délégation de la gestion de l'eau, que confier des missions au privé entraîne généralement une dégradation de la qualité et un renchérissement du coût des services pour le contribuable, in fine.
Sacrifier 50 000 postes au sein de l'État et 70 000 dans les collectivités territoriales risque d'avoir des conséquences terribles. Sous Sarkozy, avec la révision générale des politiques publiques, 150 000 emplois ont déjà été supprimés et Hollande ne les a pas rétablis. Ce gouvernement peut-il ignorer que l'hôpital public est dans un état catastrophique, avec des salariés qui travaillent dans des conditions inacceptables, à flux tendu, en accumulant des milliers d'heures supplémentaires jamais payées…
Pour réduire le déficit public, l'exécutif tape sur les dépenses socialement utiles, mais il refuse de toucher aux aides aux entreprises qui coûtent des milliards par an. Le service public – la santé, l'éducation, la culture – n'est pas un coût, c'est un investissement en faveur du progrès social et de la réduction des inégalités. En 2008, après la crise, tout le monde a admis que les services publics avaient servi d'amortisseurs sociaux en France. Nous sommes aussi l'un des pays qui attirent le plus d'entreprises étrangères grâce à la qualité de nos services publics. C'est une chance.
Les neuf syndicats de fonctionnaires appellent le 9 mai à une mobilisation des agents contre le projet de loi de transformation de la fonction publique. Comment expliquer un tel front uni ?
Article paru dans Ensemble ! de mai 2019
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Entretien avec Willy Pelletier, sociologue à l’université de Picardie et co-auteur de l’ouvrage « La Haine des fonctionnaires » Lire la suite