Aux funérailles de Madeleine Riffaud, des chants et de l'émotion
Ce mercredi 20 novembre 2024 au cimetière du Montparnasse, se tenaient les funérailles de Madeleine Riffaud, décédée le 6 novembre dernier à l'âge de 100 ans. Dans un... Lire la suite
Romancier, nouvelliste, chroniqueur et poète, Jim Harrison était, sous des dehors bourrus et un air de grizzly de mauvais poil, un homme charmant, courtois, sensible, drôle et d'une lucidité parfois douloureuse qui prenait très au sérieux son métier : « Donner une voix aux gens qui n'en n'ont pas, je crois que c'est ça, la responsabilité de l'écrivain. »
Né au cœur de l'hiver 1937, dans la très froide péninsule du Nord Michigan qui sépare le lac Michigan du lac Huron, Jim Harrison restera très marqué par ce climat rude et les descendants « taiseux » et pauvres des pionniers d'Europe du nord (sa propre mère était d'origine suédoise) qui y avaient émigré. Mais cette région boisée et sauvage marquera aussi le début d'une proximité avec la nature et d'un respect pour les peuples autochtones qui se poursuivront sa vie durant et irrigueront toute sa littérature.
Jim Harrison vivra un peu à Boston et New York, puis, avec sa femme Linda et leurs deux filles, Jamie et Anna, dans le Michigan, le Montana et l'Arizona où il est mort ce 26 mars.
Coureur de bois et de rivières, fin pêcheur à la mouche, grand amateur de chiens, de bons vins et de bonne chère, l'écrivain cultivait aussi le don de l'amitié et entretenait une nombreuse correspondance.
S'il a mis beaucoup de lui-même dans son écriture, ce serait une erreur de croire qu'il a vécu toutes les turpitudes que traversent ses personnages dont certains sont carrément lubriques ou violents (mais toujours avec drôlerie), ce qui lui a parfois valu d'être taxé de machisme, alors qu'autant sa vie que ses livres témoignent de l'inverse.
Ainsi, son plus grand roman, Dalva, suivi dix années plus tard par La route du retour est un fort beau livre féministe dont le personnage central est une femme libre et volontaire dont sa mère dit : « Il n'y a pas une seule prérogative d'ordinaire accordée aux hommes qu'elle ne se soit annexée dès qu'elle en ressentait le désir. »
Il n'est pas aujourd'hui d'auteur américain dit « des grands espaces » qui ne se réclame de l'influence de « Big Jim » qui savait aussi bien sonder les profondeurs de la psyché que décrire avec gourmandise la cuisson d'une truite arc-en-ciel sur un feu de bois ou la relation véritablement amicale et respectueuse entre un homme et un ours, un loup ou un chien…
Et si les lecteurs savent aujourd'hui qu'ils ne pourront plus attendre avec impatience la parution du nouveau livre de Jim Harrison, ils pourrront – un peu – se consoler à la relecture d'une œuvre (notamment sa poésie) dont la beauté n'est pas près de nous quitter.
Profondément critique de la politique américaine – aspect moins connu des lecteurs français –, Jim Harrison savait aussi être cinglant, mais avec humour, comme en témoigne ce texte, écrit lors de la campagne électorale qui amènera Barack Obama à la présidence des États-Unis.
« Aux États-Unis, nous en sommes au point où chaque Américain intelligent a été contraint de devenir le proctologue de l'anus putrescent du capitalisme effréné. C'est assez désagréable, d'autant que notre gouvernement nous a complètement lâchés. Nous avons été violés par la classe de nos dirigeants, et toute la communauté financière a manifesté le même sens moral qu'un cartel de la drogue mexicain.
George Bush, qui n'a jamais rien accompli sinon au service de sa propre classe, a commencé une guerre pour des raisons largement imaginaires, mais aussi en partie pour montrer à son père comment on s'y prend. C'est la crise œdipienne la plus coûteuse de tous les temps. Bush est sincèrement sidéré d'apprendre que les bombes intelligentes se révèlent à l'usage l'être beaucoup moins que les attentats à la voiture piégée. Même après Abou Ghraib, il s'étonne que le monde arabe ne nous aime pas. Bush et les autres escrocs de bas étage de notre gouvernement proposent 750 milliards de dollars pour renflouer la communauté financière, mais rien pour la sécurité sociale des enfants démunis.
Bien sûr, je suis poète et romancier, mais pas économiste ni l'un de nos innombrables nababs des médias qui pensent apparemment que parler, c'est penser. J'ai aussi remarqué que les politiciens n'aiment pas la bonne cuisine, car ils passent un temps fou à chier par la bouche.
Contrairement à la plupart d'entre nous autres, les proctologues amateurs, je ne reproche pas tout aux financiers et au Congrès. Je situe l'origine du désastre actuel dans notre système d'enseignement pourri et paresseux. Alors que je faisais des recherches pour écrire une longue nouvelle, j'ai récemment découvert qu'un pourcentage infime de nos étudiants, 10 % au mieux, a une petite idée de l'endroit où ils se situent historiquement, géographiquement, géologiquement ou du point de vue de la botanique. Les adultes sont seulement des produits à peine améliorés du même système d'enseignement. Les gens âgés en savent davantage, car ils ont eu droit à un meilleur système.
Les crétins étant incapables de reconnaître leurs semblables, ils ont voté deux fois pour George Bush et ses sbires. Les médias, pour la plupart méprisables, n'ont guère été d'une grande aide, car, jugeant la réalité tout à fait insupportable, ils font des pieds et des mains pour s'en tenir aux faits périphériques. Les médias, en général, se sont contentés de lécher les bottes des méprisables nouveaux riches qui, sans vergogne, nous dépouillaient de tout.
Ce matin, dimanche 19 octobre, j'ai entrevu une lueur d'espoir. Colin Powell, un républicain, vient de déclarer son soutien à Obama. Barack Obama a été un étudiant extrêmement brillant à Harvard, notre meilleure université, alors que McCain est sorti parmi les derniers de sa promotion à l'École navale d'Annapolis. Quant à Palin, elle est issue d'un paragraphe répugnant de l'Ancien Testament.
Cette élection me plonge dans un tel désespoir que j'ai pour de bon envisagé de prier, peut-être de m'adresser à mon vénérable Odin, qui a deux de mes corbeaux bien-aimés posés sur les épaules. Nous sommes bien sûr nombreux à nous inquiéter d'une possibilité funeste : qu'Obama se fasse assassiner avant d'être élu.
Vers quelles consolations pourrais-je donc me tourner en ces temps de détresse, sinon vers le côtes-du-rhône, avec un petit verre de vodka en prime, sans oublier un peu d'antique poésie chinoise chaque matin, où nous autres humains sommes toujours présentés comme les victimes de nos dirigeants ? Bizarrement, je ne me suis pas vraiment soucié d'avoir perdu une bonne partie de l'argent mis de côté pour ma retraite. L'insécurité ne me menace pas, car je ne me suis jamais senti en sécurité. Je pourrais toujours prendre ma retraite en allant au crématorium.
Bonne chance à vous, camarades proctologues ! J'avoue avoir dernièrement beaucoup parlé à mes chiens. Les chiens comprennent le monde grâce au langage des odeurs et les miens m'ont déclaré qu'il régnait dans tout le pays une affreuse pestilence qu'il fallait éradiquer. »
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