Le Rassemblement national, un programme xénophobe
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Emilie Frèche n'oublie pas le 16 novembre 2022. Ce jour-là, Les Engagés sort en salles. La réalisatrice est confiante, son film, qui raconte l'histoire d'un homme venant en aide à un jeune exilé poursuivi par la police sur la route de Briançon, a déjà reçu six prix du public dans les festivals qui l'ont sélectionné. Le sujet plaît, les entrées en salles devraient suivre. Mais rapidement, sur la plateforme AlloCiné, des centaines d'utilisateurs font chuter la note spectateurs du film à 1,8. « Il y a eu plus de 250 commentaires en une journée, ce qui était totalement incohérent avec le nombre d'entrées du film, se souvient-elle. Il y avait aussi beaucoup de notes minimales, non accompagnées d'une critique. C'était incompréhensible et en total décalage avec ce que l'on avait vécu en tournée. » Le « raid numérique » dont a été victime Émilie Frèche est en réalité une action coordonnée de groupuscules d'extrême droite. Le film de Lola Quivoron, Rodéo, subit le même sort. À sa sortie, la réalisatrice s'attire les foudres de l'extrême droite après une interview pour le média Konbini dans laquelle elle souligne la responsabilité de la police dans les accidents liés aux rodéos urbains. « Les caractéristiques communes de ces films ne laissent aucun doute sur le fait que ces raids viennent de l'extrême droite », assure la spécialiste en histoire du cinéma Chloé Folens. C'est la raison pour laquelle la Société des réalisatrices et réalisateurs de films (SRF) a publié le 22 novembre 2023 un communiqué dénonçant une « offensive résolue, massive et coordonnée de cette mouvance sur le terrain culturel ».
Quels sont les points communs des œuvres victimes des harceleurs d'extrême droite ? « Les films particulièrement visés sont ceux qui traitent de l'immigration, de la question de l'exil, des violences policières, des minorités de genre ou tout simplement de la représentation à l'écran de personnes noires, arabes ou LGBT », précise Chloé Folens. Leur méthode ? Des raids numériques coordonnés qui naissent au sein de forums où circulent des idées conservatrices. « Les personnes qui mènent ces raids ont intégré un discours qui permet de rendre la critique recevable, ce qui les rend aussi difficiles à neutraliser », explique encore Chloé Folens. Sur la page AlloCiné consacrée aux Engagés, on peut par exemple lire : « mauvaise réalisation », « mal joué », « ennuyeux » ou « nul ». Des commentaires conçus pour échapper à la modération de la plateforme qui sanctionne évidemment les propos haineux, racistes, sexistes et antisémites – rappelons qu'ils constituent des délits punis par la loi.
« Ces campagnes de dénigrement sont également accompagnées de cyberharcèlement sur les réseaux sociaux », poursuit Chloé Folens. Les réalisateurs et réalisatrices, mais aussi les acteurs et actrices de ces films reçoivent des torrents d'insultes racistes, sexistes, lesbophobes, des menaces de viol ou de mort. C'est ce qui est arrivé à la sortie du film traitant des violences policières Avant que les flammes ne s'éteignent, de Mehdi Fikri. L'artiste Camélia Jordana, qui y tient le rôle principal, est régulièrement ciblée par la fachosphère sur les réseaux sociaux depuis ses prises de positions contre le racisme et les violences policières. « Dans une phase montante du vote d'extrême droite, c'est une façon pour ce camp politique de s'adresser à son public et d'essayer de créer à une échelle de masse un environnement culturel d'extrême droite pour stabiliser son idéologie », analyse Philippe Corcuff, professeur des universités en science politique à l'IEP de Lyon et auteur de La Grande Confusion. Comment l'extrême droite gagne la bataille des idées. Mais cette mobilisation de la fachosphère a aussi une fonction « préparatoire » : « Aux États-Unis, la mobilisation de la droite dure a conduit à la suppression de certains départements d'études de genre dans les universités. En France, cette mobilisation sur le terrain culturel a aussi une fonction de laboratoire de ce qui pourrait se faire dans l'Hexagone en cas de victoire électorale », poursuit Philippe Corcuff. Outre le cinéma, les trolls* s'attaquent à toutes les formes d'expression artistique susceptibles de véhiculer la « théorie du genre ». À Rennes, en juin dernier, le spectacle de Marion Rouxin sur l'égalité entre filles et garçons est la cible de tentatives d'intimidation, de tractages et de sabotages de la part de groupes de droite radicale comme Civitas (mouvement catholique intégriste dissous en octobre 2023), Profession-gendarme ou Parents en colère. Quelques mois plus tôt, un collectif de drag-queens invité à la bibliothèque de Lamballe, en Bretagne, pour une lecture destinée aux enfants, suscite l'ire des mouvements conservateurs. Des artistes comme Eddy de Pretto ou Bilal Hassani ont également été la cible de harcèlement homophobe et de menaces de mort pour des performances se déroulant dans l'enceinte d'églises (parfois désacralisées).
Si des groupuscules s'attaquent aux artistes, les partis d'extrême droite font, eux, pression sur les régions. Reconquête!, le parti d'Éric Zemmour, interpelle régulièrement, depuis son compte X (ex-Twitter) et sa page Facebook, les collectivités qui financent « sur les deniers publics » des productions qu'il juge porteuses d'idées « pro-LGBT », « pro-idéologie du genre » ou « pro-migrants ». En octobre 2023, la conseillère régionale Marie-Caroline Le Pen fustigeait ainsi le financement accordé par la région Île-de-France au film Ma France à moi – adaptation de l'histoire vraie d'un immigré afghan hébergé chez une bourgeoise parisienne –, qu'elle qualifiait de « propagande immigrationniste ». Ces discours ont de plus en plus droit de cité dans des médias comme CNews, détenue par Vivendi, le groupe de Vincent Bolloré, régulièrement accusé de connivence avec la droite dure. En début d'année, Le Monde consacre un article à la diffusion des idées d'extrême droite dans les médias et l'opinion. Il relève que Jean-Yves Le Gallou, « intellectuel organique » de la mouvance identitaire, se félicite du soutien de Vincent Bolloré, « chaînon manquant » entre les médias confidentiels radicaux et la presse généraliste. Cette déclaration faisait suite à la diffusion sur CNews de la vidéo du passage à tabac d'une adolescente par deux jeunes filles portant un hijab, d'abord relayée par Fdesouche, gros compte de la fachosphère.
La multiplication des attaques de groupes identitaires qui agitent la guerre culturelle et leur discours de plus en plus décomplexé inquiète Chloé Follens : « On fait remonter nos alertes à l'Observatoire de la création, on rencontre les collectivités et on fait un travail de pédagogie, mais le risque, c'est que cette “petite musique” entrave la liberté de création et refroidisse les producteurs, qui hésiteront à soutenir des films engagés. » Une crainte partagée par Émilie Frèche : « Cela a réellement un effet sur la création et la production, il ne s'agit pas juste de potentiels échecs commerciaux. » De son côté, AlloCiné indique désormais « note inhabituelle » lorsqu'un film semble injustement critiqué. Interrogé par Mediapart, Julien Marcel, directeur général d'Allociné, affirme par ailleurs travailler à « améliorer en permanence l'algorithme, modérer, alerter ». Avant de prévenir : « On ne va pas étudier le profil des gens qui notent, et les classer gauche/droite, ce serait d'ailleurs illégal. » La réalisatrice des Engagés conclut sur une note positive : « C'est au regard de ces attaques que l'on se rend compte qu'on a fait un film politique. »
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