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SALAIRE

La juste perception des Français sur le pouvoir d’achat et les salaires

24 décembre 2018 | Mise à jour le 18 décembre 2018
Par | Photo(s) : Bapoushoo
La juste perception des Français sur le pouvoir d’achat et les salaires

Si l'augmentation des taxes sur les carburants
a provoqué la colère des gilets jaunes, la question de fond est celle des revenus. Dans un contexte d'inégalités croissantes et de baisse du pouvoir d'achat, la politique d'Emmanuel Macron ne fait 
plus illusion et attise les revendications salariales.

Voilà des chiffres tombés à pic : fin novembre, en plein mouvement des gilets jaunes, l'Institut national de la statistique (Insee) et l'Organisation internationale du travail (OIT) révèlent tour à tour que les ménages ont perdu en moyenne 440 € de revenu disponible annuel entre 2008 et 2016 et que l'augmentation des salaires n'a jamais été aussi faible depuis dix ans dans tous les pays du monde, France compris. De quoi donner du grain à moudre, peut-être aux gilets jaunes, sûrement aux salariés et à leurs syndicats. Certes, ce sont les taxes sur les carburants qui ont déclenché la colère.

Mais « la question du pouvoir d'achat est bien plus large que celle des taxes, a tenu à expliquer Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, le 16 novembre sur France Inter. Le fond du fond, c'est la question des salaires ». En effet, depuis plusieurs années, les indices Insee ont bon dos. Les salaires stagnent sous prétexte d'une inflation faible, et quand les Français déclarent que leur pouvoir d'achat est en berne, les instituts de sondage interprètent cela comme un « sentiment » ou un « ressenti ».

Le 30 août dernier, France Info a ainsi jugé bon d'épingler la CGT en la personne de Céline Verzeletti, secrétaire confédérale. Trois jours plus tôt, elle avait déclaré sur ces mêmes ondes : « Alors qu'on travaille tout autant, voire plus […] ce qu'on voit c'est bien la baisse du pouvoir d'achat qu'on subit depuis de nombreuses années. » Verdict du chroniqueur chargé de traquer les « fake news » : « C'est faux ! Le pouvoir d'achat des Français n'est pas en baisse depuis plusieurs années. » Un déni de réalité qui pousse à l'exaspération.

L'impact des réformes de Sarkozy et de Hollande

Publiée par l'Insee (France, portrait social – Édition 2018), l'étude de l'Observatoire des conjonctures économiques (OFCE) sur l'évolution du revenu disponible des ménages entre 2008 et 2016 montre que les portefeuilles se sont bel et bien aplatis pendant la période, mais aussi que les inégalités se sont creusées. Principale cause : les réformes fiscales et sociales des quinquennats Sarkozy et Hollande pour redresser les comptes publics suite à la crise de 2008. Si la hausse des prélèvements sur les revenus du capital ou celle des cotisations ont mécaniquement pénalisé les plus riches, ce sont les classes moyennes qui ont été les plus touchées, en nombre et en proportion. Et si les réformes ont atténué les effets de la crise pour les plus pauvres, l'amortisseur social ayant fonctionné, un tiers des ménages les plus modestes ont quand même vu leurs revenus diminuer.

Autres facteurs évoqués par l'OFCE : l'augmentation de la part des personnes seules et des familles monoparentales dans la population – les ménages ont rétréci, leurs revenus aussi – et la hausse du chômage et du temps partiel – plus on est modeste, plus on est exposé au chômage et à la précarité – participent également de la baisse des revenus des ménages. « Les stigmates de la crise semblent encore présents en bas de la distribution, alors que la dynamique des revenus est rétablie dans le haut de la distribution », note l'OFCE.

Les dépenses contraintes pèsent de plus en plus

L'Insee, qui produit des moyennes nationales – c'est son rôle –, ne rend pas compte de la diversité des situations individuelles. Ainsi, quand le ministre de l'Action et des Comptes publics s'enthousiasme fin octobre au sujet de la progression de 1,3 % du pouvoir d'achat sur 2018 – « la preuve que nous tenons nos promesses » –, il fait semblant d'oublier qu'elle est due aux effets de la réforme de l'impôt sur la fortune (ISF).

De leur côté, les ménages plus modestes ont surtout ­ressenti l'effet de l'inflation. Annoncée à 2,2 % sur l'année écoulée (octobre 2017-octobre 2018), elle était loin de refléter la volatilité des prix de l'alimentation et des carburants (légumes frais : + 9 % sur un an ; beurre : + 10,9 % ; fioul domestique : + 30,4 % ; essence : + 14,6 %, etc. Et même les timbres : + 8,6 %). Résultat : les éventuelles augmentations de salaire ont été grignotées.

« Le phénomène ne date pas d'aujourd'hui, relève Boris Plazzi, responsable de la mission salaires à la CGT, cela fait de très nombreuses années qu'il y a un profond décrochage dans le pays entre le niveau d'augmentation des salaires et le niveau d'augmentation des prix, notamment pour les produits de première nécessité. C'est pourquoi il faut impérativement une hausse salariale conséquente. »

De fait, la Direction des études statistiques du ministère de la Santé et de la Solidarité (DRESS – mars 2018) indique que les dépenses contraintes (pré-engagées par contrat : logement, assurances, électricité, cantines, forfaits téléphoniques, remboursement d'emprunt…) absorbent jusqu'à 61 % du budget des plus modestes. Le reste à vivre consacré aux dépenses dites « arbitrales » s'en trouve inévitablement réduit, d'où la catastrophe que peut représenter pour certains foyers l'annonce du renchérissement du carburant.

Exaspération salariale

Candidat à l'élection présidentielle, Emmanuel Macron clamait qu'avec lui « le pouvoir d'achat de tous les travailleurs [allait] augmenter » ! Une affirmation qui lui revient en boomerang. La suppression des cotisations sociales chiffrée au bas de la feuille de paie est non seulement inégalitaire – plus le salaire est élevé, plus le gain est important –, mais elle fragilise aussi le salaire socialisé, et donc la protection sociale solidaire. Baisse de l'impôt sur les sociétés ; milliards du CICE dont on peine à savoir où ils sont passés ; « flat tax » et réforme de l'ISF qui vont faire grimper les ­revenus des 1 % de Français les plus riches tandis que d'autres réformes (APL, taxes sur les carburants, etc.) vont faire baisser ceux des 23 % les plus modestes ; refus de donner un coup de pouce au Smic ; etc. Celui qui en dix‑huit mois est devenu le « président des très riches » ne fait plus illusion et ne suscite que colère.

Mais « le grand absent, depuis le début du mouvement des gilets jaunes, note Boris Plazzi, c'est le Medef ». La balle est dans son camp : les négociations annuelles sont ouvertes et les revendications ­salariales se font pressantes (appel à la grève chez Total et BNP Paribas, chez PSA…). Sur le plan national, la CGT réclame une hausse du Smic à 1 800 euros brut, la reconnaissance des qualifications et une prise en charge des transports par les employeurs. Elle propose également une TVA réduite à 5,5 % pour les produits de première nécessité et une « fiscalité juste, tenant compte des revenus ».

Même l'OIT s'alarme de la faiblesse des salaires dans des pays comme la France. Elle y voit « un obstacle à la croissance et à la hausse du niveau de vie ». En d'autres termes : ce n'est pas parce que la France s'enrichit que tout le monde s'enrichit. Et c'est bien là que le bât blesse.