"La loi Travail, à la poubelle"
Trois tonnes d'ordures ménagères entassées, un feu qui se consume lentement sous une bruine tenace et une banderole accrochée aux grilles d'entrée de l'usine : « 49.3 Hollande, Valls, les vassaux du Médef imposent une dictature. Retrait de la loi Travail. US CGT SPP [services publics parisiens, NDLR] ».
Le 29 mai, à l'aube, une centaine d'éboueurs et d'égoutiers, agents territoriaux de la ville de Paris, et des militants de plusieurs syndicats d'agents territoriaux d'Île-de-France ont entamé le blocage du centre de traitement de déchets d'Île-de-France à Ivry-sur-Seine/Paris 13, (94) pour s'opposer stratégiquement « au jusqu'au-boutisme du gouvernement » dans sa volonté d'imposer le projet de loi Travail.
« Les raffineurs, les dockers… bloquaient déjà, en tant que territoriaux, on voulait suivre, explique Régis Vieceli, de la CGT du nettoiement à Paris. On sait que les camarades ont déjà une dizaine de journées de grève dans les pattes, mais la volonté est là. S'ils ne se considèrent pas d'emblée impactés par la loi El Khomri, ils savent très bien que leur statut est adossé au Code du travail. Dans le même temps, les gouvernements successifs ont d'abord tapé sur les salariés du privé – plus fragiles et moins syndiqués – et ensuite sur les fonctionnaires… Ils ont gardé en tête ce qui s'est passé pour les retraites : en 93, on s'est attaqué au privé ; en 95, aux régimes spéciaux ; en 2003, ça a été les fonctionnaires. »
Le premier centre de traitement de déchets d'Europe traite 700 000 tonnes par an, mais pour l'heure une cheminée est à l'arrêt pour raisons techniques, l'autre laisse échapper un mince filet de vapeur. « Il n'y a plus grand-chose à brûler, mais à l'intérieur, les salariés maintiennent le four allumé un minimum pour maintenir l'outil de travail dans de bonnes conditions, car s'il s'éteint complètement, c'est compliqué de le faire repartir, explique le syndicaliste. On n'est pas des terroristes. On n'attend que ça : le retrait de la loi Travail pour reprendre le travail dès demain. »
À l'intérieur, une quarantaine de salariés sont en charge de l'activité du tri et environ 140 salariés sont chargés de l'incinération pour IP 13, une filiale de Suez Engie. « Ils ont des revendications propres du type emploi/salaire et le maintien des effectifs statutaires que la direction veut diminuer, explique Pascal Bardou, secrétaire de l'UL d'Ivry. Mais, ils sont également nombreux à être solidaires du blocage mené par leurs collègues contre la loi Travail. À l'appel de la Fédération nationale des mines et de l'énergie (FNME CGT), ils sont près de 70 % à faire grève le 2 juin. »
Et de prévenir : « La convergence et l'amplification des luttes seront au cœur des prochaines assemblées générales en fonction de la position du gouvernement. » « Il y a eu plusieurs blocages de déchetteries en France ces derniers jours, pointait Régis Vieceli, le 31 mai. Aujourd'hui, c'était le centre de stockage des déchets de Romainville d'où les militants ont été délogés à grands renforts policiers, mais c'était aussi le cas depuis le 26 mai, à Nantes ; la semaine dernière, c'était Cherbourg ; et là, celui de Saint-Étienne est aussi bloqué… »
Entre temps, le matin du 2 juin, journée d'appel à la mobilisation de la CGT contre la loi « travail », les salariés des usines de traitement de Saint-Ouen (120 salariés et 600 000 tonnes de déchets traités) et d'Issy-les-Moulineaux (environ 60 salariés et 430 000 tonnes de déchets traités) votaient également la grève et le blocage.
Les usines sont à l'arrêt quasi total et devraient rester bloquées encore le 3 juin au moins, selon décision des AG.
« Il y a une grande solidarité entre les collègues du site d'Ivry (IP 13) et des autres sites Tiru (Traitement industriel des résidus urbains, filiale d'EDF), car ils étaient tous exploités par EDF jusqu'en 2011, date à laquelle l'usine d'Ivry est passée direction de Suez Engie, explique Julien Lambert, secrétaire du SPPTE-RP (syndicat du personnel de la production et du transport Energie de la région parisienne). Ils partagent une conscience sociale forte, ils sont mobilisés pour le retrait de ce texte dont ils savent qu'il les impactera bien qu'ils soient, pour l'instant, sous le statut des Industries électriques et gazières (IEG). Au vu de l'actualité des différentes entreprises du secteur et de la santé financière d'EDF, ils savent bien qu'ils pourront être touchés et de façon très concrète et quotidienne sur le temps de travail, l'organisation du travail… ».
Pour l'heure, le Syctom, l'agence métropolitaine des déchets ménagers, a précisé que les camions poubelles étaient déviés vers d'autres centres de stockage ou de traitement afin de continuer à assurer le service public. Jusqu'à quand ? Les syndicalistes, eux, préparent la mobilisation du 14 juin comme « un point d'orgue, pas comme un baroud d'honneur ». Pour « mettre la loi “travail” à la poubelle ».