La Redoute en mode précaire
«Il faut qu'on arrête de voir petit. Ce n'est pas parce que l'on est au Smic, qu'on doit accepter d'être traités comme rien par des milliardaires » Renée travaille à La Redoute depuis vingt-sept ans, emballeuse, après avoir fait tous les postes existants au ramassage de colis. 1 100 euros net par mois, dont 60 euros de prime. Comme l'écrasante majorité de ses collègues du site de Wattrelos, elle n'a jamais pu bénéficier d'une formation qualifiante.
Adhérente de la CGT, Renée livre ainsi une conviction qu'elle s'est employée, comme tous les militants du syndicat, à faire partager par les salariés de la Redoute, pendant près d'un an. Minutieusement, dans le cadre d'un travail de proximité qui a permis aux personnels d'être systématiquement au courant de ce qui se tramait contre eux et d'être actrices (70 % de femmes dans l'entreprise) et acteurs du mouvement.
Réaction immédiate
Dès que les élus de toutes les organisations syndicales sont alertés de menaces sur l'emploi, la CGT (premier syndicat sur le site industriel mais peu implantée sur le siège social de Roubaix) décide d'informer les salariés et de faire appel à eux « car l'intervention des seuls délégués ne peut suffire à mettre Pinault en échec », souligne Jean-Christophe Leroy, délégué CGT.
On est en avril 2013. Tandis que d'autres prônent l'attente, le syndicat répertorie, sur le site, 40 temps de pause d'une durée de 10 à 20 minutes. Après discussion collective, les militants partent par deux à la rencontre de groupes de 20, parfois 30 salariés, argumentaire en main.
D'abord abasourdis, les personnels qui ont encore en tête le précédent plan de licenciements de 2008 (672 emplois supprimés), se mettent progressivement en mouvement.
La première assemblée générale se tient le mois suivant, avec 150 participants. Parmi eux, les militants de la CGT mais aussi des adhérents d'autres syndicats, pas encore en action, et des salariés non syndiqués. Même nombre à l'AG du mois suivant, « pas les mêmes ». La CGT refuse tout licenciement. Dans le même temps, elle propose que le groupe Kering, ex-PPR (Pinault-Printemps-Redoute), qui a saigné l'entreprise pour s'offrir de prestigieuses sociétés de luxe, « assure l'avenir des salariés de La Redoute, le plus longtemps possible ». La demande d'un avenir garanti dix ans au moins, pour ceux qui partiront comme pour ceux qui resteront, est soumise aux salariés.
Question de justice, question aussi de meilleure répartition des richesses. Au vu des dividendes versés par le groupe Kering, 100 000 euros par personne (en plus des indemnités légales en cas de départ) reste de « l'ordre du pourboire », souligne Fabrice Peeters, lui aussi délégué CGT. Le réalisme de cette revendication s'impose peu à peu parmi les salariés, qui reprendront dans les manifestations unitaires (dix au total dont une à Lille avec près de mille personnes) le mot d'ordre : « Zéro sur le carreau, dix ans de garantie ! »
Une revendication commune
Les salariés imposent à l'automne l'unité syndicale. À laquelle milite la CGT. Ils affirment aussi une revendication commune. Elle est alors établie à 40 000 euros net pour tout départ volontaire, auxquels s'ajouteraient une indemnité de 1 500 euros par année de présence, un congé reclassement de 36 mois et une retraite à taux plein pour un départ à 55 ans. Bien plus que les maigres prétentions formulées jusque-là par les autres organisations syndicales et, bien sûr, à des lieues de ce que Pinault a prévu.
Recherche de l’unité et de la solidarité
Pour la CGT, l'unité syndicale ne saurait entraîner de pause dans l'activité propre du syndicat. Les initiatives se multiplient : ouverture de permanences le samedi à l'union locale de Roubaix, où viennent régulièrement des collègues de La Redoute, information systématique avec envoi de SMS à plus de 120 salariés, chacun d'entre eux s'en faisant le relais vers son propre réseau. Même si c'était difficile d'entraîner les salariés, « nous nous sommes adressés à la population, nous sommes allés à la porte des autres entreprises », indique Jean-Christophe Leroy.
« Une dynamique s'est mise en marche », souligne David, qui « avec un peu de temps supplémentaire » aurait pu balayer les manœuvres diverses, en premier lieu celles de la direction (division du personnel avec manipulation de cadres et d'employés du siège social, sur fond de chantage à la mise en faillite).
Une dynamique assez forte pour retarder de plusieurs jours l'ultimatum posé par la direction. Pas suffisante pour empêcher la signature, le 24 mars, par la CFDT après la CFE-CGC, d'un accord « vendu » comme le seul moyen de sauver l'entreprise, très loin de la revendication des salariés de Wattrelos.
6 300 emplois en 2000, 1 254 d'ici 2017 !
Contre 20 000 euros brut, un congé de reclassement de 12 à 18 mois et une prime de 750 à 1 200 euros brut selon l'ancienneté, la direction entend supprimer 1 178 emplois dans une entreprise qui n'en compterait plus que 1 254 d'ici 2017 (contre 6 300 en 2000, six ans après son rachat par Pinault en 1994). Mais sans les investissements dont a été privée la Redoute, traitée depuis vingt ans comme une simple tirelire, comment l'entreprise pourrait-elle retrouver la santé ?
« Un accord à la sauvette »
Au lendemain d'un accord « à la sauvette », l'assemblée générale réunit encore quelque 250 salariés. La suspension du mouvement est votée, pour reprendre souffle en vue des combats à venir. « Une signature ne remplace pas la force des salariés », souligne Fabrice Peeters. « On n'est pas abattu, on est fier de ce qu'on a fait avec les salariés, même si l'on a un goût de trop peu », dit David, « un goût d'inachevé », ajoute Gaël. Un peu triste, Naima indique pour sa part que les personnels viennent travailler « avec des pieds de plomb ».
Mais très vite, Naima et les autres militants se mettent à discuter sur « ce qu'on pourrait proposer maintenant ». Les combats ne manqueront pas. Le business plan brandi par les deux repreneurs de la Redoute (deux cadres dirigeants qui ont récupéré l'affaire pour un euro symbolique…) « ne tient pas la route », souligne la militante, arguments à l'appui. Pour relancer l'action, il faut impliquer pleinement les salariés, « savoir s'ils sont prêts et à quoi », rappelle Jean-Christophe Leroy. Une campagne de recrutement a débuté, avec une dizaine de nouveaux syndiqués… pour l'instant.