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Économie

Relance : le gouvernement parie 100 milliards sur les entreprises

4 septembre 2020 | Mise à jour le 21 septembre 2020
Par | Photo(s) : Ludovic Marin / POOL / AFP
Relance : le gouvernement parie 100 milliards sur les entreprises

Paris, jeudi 3 septembre 2020. Présentation du plan de relance par le Premier ministre, Jean Castex.

L'exécutif aligne 100 milliards d'euros pour financer la relance de l'économie française suite à la crise sanitaire. Il ne mise cependant que sur les entreprises et à l'horizon 2030. Bien loin des préoccupations des Français et de l'urgence de la situation en période de montée de la précarité et du chômage.

« Il faut vivre avec le virus », estime désormais Jean Castex, maintenant que nous sommes équipés de masques. À un peu plus de dix-huit mois de l'élection présidentielle, l'exécutif veut remettre l'économie sur les rails suite à la crise sanitaire et en tirer un avantage politique. C'est tout l'enjeu du plan de relance qui a été présenté le jeudi 3 septembre. « La transformation et la modernisation du pays ne peuvent pas s'arrêter », a déclaré, très pressé, Emmanuel Macron en fin de semaine dernière, indiquant qu'il faut « préparer la France de 2030 ».

Pour l'heure, le chômage et la précarité montent, les licenciements s'enchaînent par vagues mais l'exécutif n'y apporte pas de solution. Et pour cause : d'un montant de 100 milliards d'euros (50 milliards par an pendant deux ans dont 40 issus du plan de relance européen), le plan de relance s'inscrit dans la simple continuité de l'action du chef de l'État depuis 2017 et lance son programme pour un second quinquennat.

« Un plan pour continuer comme avant », estime la CGT dans un communiqué publié jeudi 3 septembre en fin de journée. Baptisé « France Relance », il est adossé au projet de loi de finance 2021 et constitue « une feuille de route » en trois volets et 68 mesures que chaque ministère déclinera dans son périmètre : 30 milliards d'euros pour le volet transition écologique ; 34 milliards d'euros pour la compétitivité des entreprises ; 36 milliards d'euros pour « renforcer la cohésion sociale et territoriale » ; un quart des 100 milliards d'euros étant fléchés vers les très petites et moyennes entreprises (TPE et PME).

Compétitivité : un plan de relance qui parie sur les entreprises et oublie les problèmes sociaux

« France Relance »  doit permettre à la France de renouer avec le niveau de croissance de 2019 et de retrouver, d'ici à 2022, le « niveau d'attractivité qui était [le sien] avant la crise », a souligné le chef du gouvernement. Dans une logique entrepreneuriale, il parie en effet sur « un très rapide retour sur investissement ». Une hypothèse curieusement optimiste : d'une part à cause du contexte, car l'épidémie de Covid-19 va faire bondir la dette publique à près de 121 % du PIB cette année ; d'autre part, lancer des « investissements » dont les résultats sont attendus à l'horizon 2030 surprend quand l'annonce est une « relance », autrement dit une impulsion capable de produire très vite des premiers résultats.

Et cela d'autant plus que, dès la fin de l'année 2020, au moins 800 000 chômeurs supplémentaires sont attendus, de même qu'une multiplication des faillites d'entreprises. À l'inverse, d'autres pays européens dont les plans de relance sont moins copieux, la France se refuse de donner un coup de pouce à la consommation pour amorcer la relance de l' économie.

Elle pourrait par exemple augmenter, ne serait-ce que les revenus des ménages des classes moyennes et populaires, ceux qui ont dû aller travailler pendant le confinement (caissières, routiers, etc.), faire de même avec les minima sociaux ou les étendre (RSA pour les moins de 26 ans…), baisser la TVA comme l'a fait l'Allemagne, etc. Ce qui n'empêche pas le ministre des Finances de lorgner sur les 100 milliards d’euros d'épargne forcée constituée par les ménages pendant le confinement, en espérant qu'ils les dépenseront.

Préparer la France de 2030, ce n'est pas subventionner les secteurs en difficulté. Emmanuel Macron

Fidèle au principe selon lequel c'est « l'offre qui crée la demande », Emmanuel Macron a décidé qu'il fallait tout miser sur les entreprises : 15 milliards d'euros seront consacrés à « l'innovation et aux relocalisations », avec notamment des appels à projets industriels « ambitieux » pour 1 milliard d'euros.

Le programme d'investissement d'avenir (PIA 4), lancé en décembre 2019, se taille la part du lion (10 milliards) quand les « projets de relocalisation en vue de sécuriser des approvisionnements critiques » (santé, agroalimentaire et intrants industriels tels que métaux et alliages, matières premières industrielles, produits intermédiaires, produits chimiques) se contentent d'un appel à projets pour 600 millions d'euros. Certes, en comptant large avec les 400 millions du dispositif déjà existant des « territoires d'industrie » on monte à 1 petit milliard d'euros pour les relocalisations.

Cependant, en visite dans les ateliers des laboratoires Seqens (principes actifs de médicaments) le 28 août dernier, Emmanuel Macron a prévenu : « Préparer la France de 2030, ce n'est pas subventionner les secteurs en difficulté, c'est investir, c'est construire la France de demain. » Et de rappeler que 460 milliards d'euros de fonds publics ont déjà été injectés dans l'économie française depuis le début de la crise sanitaire. Soutiens à l’investissement dans la transition numérique des entreprises, aides à l’export, simplifications administratives… D'autres mesures complètent ces grandes lignes auxquelles il faut ajouter la dotation exceptionnelle de 2 milliards d’euros annoncée pour la culture au sens large (y compris la presse, par exemple). Quelque 600 millions d’euros ayant d'ores et déjà été débloqués pour ce qu'il est convenu d'appeler les « grands opérateurs » de la culture (Opéra de Paris, Domaine de Versailles, Centre des monuments nationaux…), peut-être y a-t-il matière à rester vigilant pour les petites structures…

Compétitivité : la suppression des impôts de production, une vieille revendication du Medef

Les baisses d'impôts étant sa marque de fabrique, le gouvernement accède à une très vieille revendication du Medef : dans la lignée de la reconduction de la baisse de l'impôt sur les sociétés, les impôts de production baissent à hauteur de 20 milliards d’euros sur deux ans. Ces derniers s'appliquent sur le processus de production (main d'œuvre, bâti, terrains…), quels que soient les résultats de l'année et la taille de l'entreprise.

Si leur suppression partielle est destinée à être pérennisée au motif qu'il faut favoriser les implantations industrielles, rien ne vient cependant compenser ce manque à gagner pour les régions et collectivités locales. En effet, ils représentent une part importante de leurs recettes que Jean Castex a promis d'« intégralement compenser », et donc de financer par… la dette publique.

Compétitivité : annoncée comme une « priorité absolue », l'emploi ne dépendra que du bon vouloir des entreprises

Si, dans son discours de politique générale du 15 juillet, le Premier ministre avait officiellement désigné l'emploi comme la « priorité absolue », à l'arrivée, rien n'est concrètement mis en œuvre en ce sens. Il s'agit surtout de « remplir les bons de commandes » ; « de donner du boulot aux entreprises et donc aux Françaises et aux Français », a expliqué sur RTL Jean Castex, le 3 septembre au matin. C'est ainsi qu'il envisage que « 160 000 emplois seront créés l'année prochaine ».

Mais lesdites entreprises pourraient contrarier ses plans si, à la place, elles décidaient de reconstituer leur trésorerie ou de servir leurs actionnaires. Les « contreparties » aux 35 milliards d'euros dédiés aux entreprises se limitent de toute façon à des engagements environnementaux, de gouvernance (égalité femme-hommes) et de partage de la valeur (via l’intéressement et la participation des salariés) non contraignants : si elles ne jouent pas le jeu, elles ne s'exposent qu'au très anglo-saxon « name and shame » (« nommer et couvrir de honte »), autant dire à rien.

Il en va tout autrement « pour les demandeurs d'emploi au regard des nombreux justificatifs de démarches à présenter pour obtenir ou conserver ses indemnités de chômage », pointe la CGT. Elle rappelle qu'« en outre, à cette enveloppe [de 35 milliards d'euros], il faut ajouter les 40 milliards d'euros de CICE de l'année passée. »

Cohésion sociale et territoriale : « Former plutôt que licencier » et « désenclaver »

Certes, le chef de l'État soutient que ce plan bénéficiera à tous « en luttant contre l’exclusion et la pauvreté ». « Le plan pauvreté, lancé en 2018 par le président de la République, va par exemple être doté de 200 millions d’euros supplémentaires en soutien des associations qui luttent contre l’exclusion », a annoncé Jean Castex.

Le « plan jeunes » (6,7 milliards d'euros) comprend une aide à l'embauche des moins de 26 ans pouvant aller jusqu'à 4 000 euros (1 000 euros par trimestre pendant un an) pour un contrat d'au moins trois mois et un salaire jusqu'à deux Smic. Un dispositif que Le Journal des Entreprises voit déjà d'un bon œil pour la « baisse du coût du travail » qu'il représente. Dans les mêmes conditions, mais sans limite d'âge, 100 millions d'euros sont également débloqués pour l'embauche de chômeurs en situation de handicap.

L'idée étant de « former plutôt que de licencier », selon les explications du premier ministre sur RTL, 7,6 milliards d’euros sont dédiés à la création d’un « bouclier antichômage » combinant soutien à l’activité partielle de longue durée et formation. L' objectif est d'accompagner les reconversions et de permettre aux salariés de monter en compétence. Un dispositif qui entre en résonance avec la volonté de désenclaver les territoires et de moderniser les infrastructures via des investissements massifs.

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Cohésion sociale et territoriale : le déploiement du plan de relance sera suivi à l'échelon régional

Outre les six milliards d'euros débloqués pour l'hôpital dans le cadre du Ségur de la santé, des « investissements massifs » sont chiffrés, tels que « l’accélération du déploiement de la fibre ou la construction de logements », a précisé Élisabeth Borne, ministre du Travail.

La région étant l'échelon auquel le gouvernement envisage de suivre le déploiement du plan de relance, il a décidé d'installer des « sous-préfets à la transformation et la relance » dans chacune d'entre elles dès le début de l'année 2021.

Transition écologique : le gouvernement fait un petit pas en direction du respect des accords de Paris sur le climat

Rénovation énergétique des bâtiments, qu'ils soient publics (mairies, écoles, Ehpad…), de logements privés ou HLM, voire de TPE et de PME… Le sujet, qui fait un peu figure d'arlésienne et ne décolle pas, devrait se voir octroyer 7 milliards d'euros. En effet, alors qu'elle est attribuée pour le moment sous conditions de ressources, la prime pour la rénovation énergétique va être ouverte beaucoup plus largement, y compris aux personnes les plus aisées. Outre le gaspillage occasionné pour les usagers, les « passoires thermiques » représenteraient 15 % de l'effet de serre, assure Jean Castex.

Côté transports, de la remise à l'ordre du jour du fret ferroviaire aux transports doux tels que le vélo, en passant par l'achat de véhicules moins émetteurs de CO2, le gouvernement s'oriente vers un soutien massif au secteur de 11 milliards d'euros.

Dans le domaine de la recherche, il se lance, à l'instar de l'Allemagne, dans le soutien à l'hydrogène, un gaz « propre », pour 2 milliards d'euros entre 2021 et 2022.

Agroenvironnement, agriculture biologique ou encore l'agroécologie sont bien évidemment concernés, le ministre de l'Agriculture annonçant qu'il entend soutenir les circuits courts, les producteurs bio et la modernisation des abattoirs, tout en accélérant le renouvellement des équipements agricoles et en protégeant les forêts. À travers l'agroalimentaire, le secteur fait en effet partie des secteurs où il serait question de regagner une sorte d'indépendance.

In fine, selon Jean Castex, l'intégralité du programme revient à « doubler les investissements que l'État consacre habituellement à l’écologie ».

Les milliards du plan de relance ne donnent pas confiance

Le gouvernement a beau déverser des milliards sur la table, il devrait se méfier. Comme tout pari, celui qu'il a fait sur les entreprises est dans la période d'autant plus hasardeux qu'il ne semble pas prendre en considération le mécontentement social. Dépourvu de coup de pouce à la consommation et de toute mesure à effet un tant soit peu immédiat, son plan de relance n'est pas de nature à redonner confiance aux Français.

Aux inquiétudes bien concrètes en matière d'emploi et de pouvoir d'achat pour certains, de précarité et de difficulté à satisfaire des besoins vitaux pour d'autres, le gouvernement n'a aucune réponse à apporter à leurs difficultés sociales. Pire ! Il leur demande d'attendre 2030, au cas où, d'ici là, les richesses des entreprises et des actionnaires finiraient par ruisseler sur eux.

Le 17 septembre prochain, la CGT appelle d'ores et déjà à une journée nationale d'action interprofessionnelle, en faveur d’un projet porteur d'avenir, de progrès social, économique et environnemental, pour l'ensemble des Français.