9 décembre 2013 | Mise à jour le 10 février 2017
La fédération des activités postales et de télécommunications CGT a réuni à Montreuil les 13 et 14 novembre derniers quelque 250 salariés pour un colloque sur le service public de communication. Un temps de réflexion était consacré à la place du travail et au débat avec trois des auteurs du livre Pour quoi nous travaillons ? Morceaux choisis.
Avec sa vague de suicides, France Télécom figure parmi les entreprises emblématiques de l'émergence brutale du mal-être au travail qui affecte aussi durement les centres d'appels ou La Poste. Yves Bongiorno, Jean-François Naton, Catherine Nédélec, trois des auteurs de Pour quoi nous travaillons ? et leur éditeur, Bernard Stéphan, faisaient donc face à un public attentif pour la présentation de leur ouvrage : « Ce livre découle d'un séminaire de recherche de la CGT qui a été mené depuis quatre ans et auquel tous les auteurs participaient. C'est important que des experts et juristes interviennent sur le travail, mais il faut aussi que des militants syndicaux le fassent », introduit Bernard Stéphan.
Travailler, c'est produire du bien-être, c'est construire une société humanisée dans laquelle on se construit dans et par le travail
Le travail est intelligence
Yves Bongiorno enchaîne alors sur ce qu'est la réalité du travail : « Dans le travail, il y a le lien de subordination, mais le travail n'est pas qu'une exécution machinale d'ordres. Dès qu'il est au travail, le salarié s'aménage des espaces de liberté pour pouvoir réaliser bien son travail. Cela parce qu'il y a une grande différence entre ce qu'on lui demande de faire et la réalité de ce qu'il a à faire. Il y a une différence entre le travail prescrit et le travail réel, et le salarié se faufile dans cet espace-là pour faire du bon travail. La difficulté d'aujourd'hui, c'est qu'il y a des prescriptions qui tombent d'en haut, de la part de gens qui ignorent le travail réel. Et ces prescriptions descendent en cascade, avec des systèmes de vérification pour contrôler que ça descend bien, et des tableaux Excel, mais où tout le monde triche puisque ça ne correspond pas à la réalité. Or, en bas, le salarié est confronté au réel de tous les jours et pour que ça marche, il doit y mettre son intelligence. »
La souffrance des cadres
Dans la salle, Jacques fait écho à cette analyse : « Ce que nous avons connu à France Télécom, c'est la négation de l'intelligence. Cela veut dire que personne n'avait le droit de donner un avis sur ce qui vient d'en haut. Ce qu'on constate, c'est que ceux qui sont les plus concernés par cette négation de l'intelligence de l'homme, chez France Télécom et Orange, ce sont les cadres, surtout ceux en position de management. Ils sont obligés de se taire et d'obéir, et cette souffrance-là, avec la négation de l'intelligence, est un sujet extrêmement important. » Catherine Nédélec le confirme et tente d'ouvrir une perspective : « Les cadres en situation de management sont dans des positions d'injonctions contradictoires entre des politiques managériales imposées par des gens qui ne connaissent plus le travail et les équipes. Contrairement à d'autres salariés qui conservent des capacités collectives, ces salariés sont isolés. C'est là que les syndicalistes doivent pouvoir leur offrir un espace collectif où ils puissent débattre entre populations qui ont les mêmes types de problématiques et établir leurs propres revendications. »
Le salariat est groggy
Mais les managers ne sont pas les seuls à subir l'accroissement des pressions. Jean-Luc témoigne des évolutions du travail à La Poste. Selon lui, l'intensification du travail s'est terriblement accrue ces dernières années : « J'ai interrompu le travail pendant quatre ans comme détaché syndical. À mon retour, j'ai retrouvé un état psychologique incroyable de la part des agents : un manque de capacité total à la résistance, une soumission absolue parce que le rythme des cadences infernales ne permet plus de relever la tête. Les agents sont tellement usés psychologiquement que le cahier revendicatif est très difficile à élaborer en ce moment. »
À la reconquête du temps
Jean-François Naton explique cette revendication a priori peu orthodoxe qu'il avait émise, de regagner le temps de pause autour de la machine à café : « Travailler, c'est produire du bien-être, c'est construire une société humanisée dans laquelle on se construit dans et par le travail. Donc, reprendre la main sur le travail, c'est reprendre aussi la main sur sa santé. Pour cela on met en débat la question du ralenti. Dans les situations de travail, on est dans une accélération du temps. Nous avons cette hypothèse que la lutte des temps s'est installée à la pointe de la lutte de classes. Car, pour parler de lutte de classes, encore faut-il avoir le temps d'en parler. » Peut-être aussi faut-il, à cet égard, prendre le temps de la lecture. Celle de Pour quoi nous travaillons ?, autour d'un café, avec ou sans madeleine, n'est en tout cas en rien du temps perdu.
Pour quoi nous travaillons D'Yves Bongiorno, Jean-Christophe Le Duigou, Nasser Mansouri-Guilani, Jean-François Naton, Catherine Nédélec. Préface de Thierry Lepaon. 2013.Les éditions de l'Atelier, VO éditions, 15 euros, 172 pages. Vendu sur le site Internet de la boutique
NVO. Un blog sur son contenu est aussi ouvert :
pourquoinoustravaillons.com