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SNCF

Libéralisation du rail : Histoire d’une gabegie

23 décembre 2025 | Mise à jour le 23 décembre 2025
Par | Photo(s) : Photo by JOEL SAGET / AFP
Libéralisation du rail : Histoire d’une gabegie

Loin d'être une chance, l'ouverture à la concurrence menace la pérennité du réseau ferroviaire français, selon le rapport d'expertise du cainet 3E.

Le rapport d'expertise réalisé par le cabinet 3E pour le compte du comité d'entreprise de la SNCF est formel : l'ouverture à la concurrence des transports ferroviaires va atomiser l'offre de transports et entraîner une augmentation significative des coûts et des tarifs.

Les syndicats de la SNCF voulaient avoir une vision claire des conséquences directes et indirectes de l'ouverture à la concurrence des transports ferroviaires de voyageurs. A cette fin, une expertise analytique et projective a été commanditée par le CCGPF – le comité d'entreprise de la SNCF – et confiée au cabinet d'expertise 3E Consultants.

Les conclusions de ce rapport, un document de 300 pages illustrées de savants graphiques et de cartographies très détaillées, se résument en ces termes : « Loin d'être une chance, l'ouverture à la concurrence menace la pérennité du réseau ferroviaire français ». Derrière ce verdict, l'identification très étayée des nombreux risques inhérents à la libéralisation du système ferroviaire et, surtout, aux conditions de sa mise en œuvre, qui laissent songeur.

Des moyens financiers extravagants

Une simple illustration avec l'ouverture à la concurrence des lignes régionales, les TER. D'ici 2034, toutes ces lignes devront être privatisées sous la forme de  filiales de droit privé qui gèreront les trains régionaux. Ces filiales – au nombre de 36, à terme, doivent acquérir du matériel roulant et se doter de nouveaux centres de maintenance dont le financement de la construction, estimé à au moins 700 millions d'euros par l'expertise, est à la charge des régions. «Dans un contexte de finances régionales pressurisées, ces moyens qui vont peser sur les usagers, les contribuables et les cheminots, sont extravagants et interrogent », souligne Antonin Mazel, chargé de mission du cabinet 3E

Autre « extravagance » pointée par le rapport d'expertise diffusé le 27 novembre 2025, celle des conditions d'attribution des lignes aux compétiteurs de la SNCF. L'acquisition de lots (une ou plusieurs lignes) passe par le lancement d'appels d'offre et jusqu'ici, rien d'anormal. Sauf que, voilà : dans un contexte de mise en concurrence d'acteurs privés, les compétiteurs de la Sncf ont logiquement tendance à préempter les seules lignes profitables ce qui, au passage, soulève la question du sort de nombreuses liaisons ferroviaires non-profitables dont, cela va de soi, aucun acteur privé ne voudra s'embarrasser. 178 fermetures ou réductions d’horaires sont à déplorer pour les seules régions  Hauts-de-France, Grand-Est, Paca, Nouvelle-Aquitaine.

La prime aux perdants : jusqu'à un million d'euros par candidat

Alors, afin d'appâter un maximum de candidats à l'acquisition de lots, les régions offrent des indemnités conséquentes aux éconduits des appels d'offres. « Appelées pudiquement « coûts d'interface » par les Régions, ces indemnités constituent des sorties d'argent public « pour rien », dans une période où ces montants auraient pu financer un développement de l'offre ferroviaire », souligne le rapport d'expertise. Il faut voir les montants de ces « jetons de sortie », qui donnent le tournis : de 500 000 à 1 million d'euros par candidat non-retenu, peut-on lire dans le rapport. Soit un montant global estimé à 7,2 millions d’euros, selon le rapport. Une gabegie financière qui ne manquera pas de se répercuter sur les tarifs à la charge de l'usager, sur la qualité du service des transports et fatalement, sur les conditions de travail des cheminots.

Un moratoire pour une mise en pause

D'où cette première revendication portée par la CGT Cheminots : un moratoire, « Cette expertise confirme que tout va coûter plus cher à tout le monde avec pour contrepartie une dégradation de l'offre des transports ferroviaires. Avant que tout ne soit détruit, nous disons stop à la poursuite de l'ouverture à la concurrence et exigeons une mise en pause de l'ensemble des appels d'offres en cours, le temps d'examiner la pertinence de cette libéralisation », plaide Alexandre Boyer, membre de direction CGT-Cheminots-Sncf.

A l'appui de cette expertise qui révèle l'absurdité chaotique du processus de privatisation du transport ferroviaire, la CGT et les syndicats majoritaires de la Sncf préparent une campagne d'information-sensibilisation à déployer dès 2026. Les usagers seront informés. Les élus locaux et régionaux, interpellés et incités à inscrire dans le débat public toutes les questions, d'intérêt général, soulevées par ce rapport très étayé. Notamment celle de la fin du système de péréquation  jusqu'ici assuré par la Sncf (où les lignes bénéficiaires financent les lignes déficitaires) que cette libéralisation du rail implique, intrinsèquement.

Gageons qu'à l'approche des élections municipales de mars 2026, la question de la privatisation du transport ferroviaire et surtout, celle de ses conséquences sur le quotidien des Français, risque de marquer les esprits.