Barnier à Matignon, le mépris du vote des électeurs
Emmanuel Macron a désigné ce jeudi 5 septembre son nouveau Premier ministre, Michel Barnier, un homme de droite. La gauche est vent debout, tandis que Sophie Binet, secrétaire... Lire la suite
Une France coupée en deux. C'est ainsi que plusieurs médias ont cru pouvoir décrire le pays au lendemain du premier tour de l'élection présidentielle. La société se partagerait, selon eux, entre d'un côté des classes moyennes et des citoyens plutôt diplômés, ouverts sur le monde et attirés par le vote Macron, et de l'autre la France des laissés-pour compte, des précaires, des paupérisés, séduite par le FN de Marine Le Pen. Ne concevoir dans la société que ce clivage, que cette ligne de fracture entre ces deux seuls projets, semble pourtant un peu court. Car l'alternative face aux perspectives économiques et sociales libérales d'Emanuel Macron ne se résume pas au repli raciste et xénophobe de l'extrême droite. C'est du reste ce qu'ont montré les résultats de ce premier tour avec de fait quatre candidats arrivés en tête presque dans un mouchoir de poche ; même si deux seulement, c'est la règle, sont qualifiés pour le second tour, et qu'un seul des deux deviendra ce dimanche soir le nouveau président de la République…
Fausse alternative
Qui plus est, résumer ainsi l'état de la société qui ne se retrouverait que derrière l'un ou l'autre des deux présents au second tour, comme l'ont avancé certains médias et commentateurs, reviendrait aussi à sous-entendre que face au projet libéral d'Emmanuel Macron, celui de Marine Le Pen, certes inapplicable, viserait tout de même à défendre les ouvriers, les chômeurs, les précaires… Alors qu'il n'en est rien. Même si l'héritière du FN a de nouveau cherché à le faire croire, lors du face-à-face télévisé du mercredi 3 au soir, tentant de se présenter comme femme du peuple défendant le peuple en en appelant à la nation.
Au-delà du spectacle
« Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles », annonçait Guy Debord, voici déjà cinquante ans, dans La société du spectacle, parodiant l'analyse de Karl Marx sur l'accumulation de capital. Et il est vrai que le débat du 3 mai n'y a pas échappé : la température de la salle, la couleur des murs, l'autorisation des plans de coupes (sinon la couleur des chaussettes des cameramen) ont fait la Une de nombre d'émissions dites d'information tournant en boucle avant l'heure fatidique.
Au-delà du jeu de rôle auquel se sont livrés les deux candidats, il reste cependant les choses plus sérieuses. En l'occurrence, leurs programmes. L'un libéral, celui d'Emmanuel Macron, et l'autre, lui aussi libéral en dépit des discours, avec en plus son rejet caricatural de l'autre, du travailleur migrant, comme de l'islam, et sa tentative de faire peur.
Emmanuel Macron : plus loin encore que la loi Travail
Le candidat d'En marche n'en fait pas mystère. Il met en avant la nécessité de réduire la dette pour justifier sa volonté de réduire les dépenses publiques, faisant comme s'il n'y avait pas des mauvaises et des bonnes dettes, celles qui permettent d'investir. C'est aussi à ce titre qu'il entend raboter les droits des retraités. Pourtant, il compte poursuivre la baisse des cotisations sociales et fiscales des entreprises, pesant dès lors à la fois sur les recettes publiques, et sur le financement de la sécurité sociale.
Il affiche de même haut et fort sa volonté d'aller plus loin que son prédécesseur dans la remise en cause du droit du travail. Il entend non pas abroger mais étendre la loi El-Khomri, en élargissant le périmètre des négociations d'entreprises au-delà de la question de l'organisation et du temps de travail. Il veut aussi « assouplir » les règles du licenciement économique et plafonner les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse aux prud'hommes.
Et, pour aller vite, il annonce d'ores et déjà envisager de gouverner par ordonnances s'il est élu. A condition que les résultats des élections législatives le lui permettent…
Marine Le Pen : le social en trompe-l'oeil
Mais le programme du FN pour 2017, derrière son vernis populaire et la promesse d'une patrie retrouvant sa prospérité, accumule des propositions tout aussi libérales, au service des intérêts du patronat et des plus riches, laissant les plus pauvres se diviser ou s'opposer entre eux sur des bases xénophobes, d'origine nationale, ou confessionnelles.
En matière de pouvoir d'achat, la candidate du FN avance quelques propositions, comme son refus d'augmenter la TVA qui est effectivement un impôt injuste, la baisse de 10 % de l'impôt sur le revenu sur les trois premières tranches, et le maintien de l'impôt sur la fortune. Mais elle veut aussi permettre « à chaque parent de transmettre sans taxation 100 000 euros tous les cinq ans » (au lieu de quinze actuellement) et augmenter « le plafond des donations sans taxation aux petits-enfants à 50 000 euros, également tous les cinq ans », autant de fiscalité qui fera défaut aux caisses de l'Etat. 100.000 euros par enfant plus 50.000 par petit-enfant tous les cinq ans, c'est sûr, c'est une mesure pour les bas-salaires, les chômeurs et le peuple ; quoi qu'à y regarder de plus près…
En fait, le patrimoine net moyen des 10 % des ménages les plus riches dépasse 530 000 euros, alors qu'il est de tout juste 3 000 euros pour les 10 % les plus pauvres. C'est vrai, on est héritière ou on ne l'est pas.
Toujours en termes de fiscalité, le FN promet d'intensifier les baisses d'impôt sur les sociétés et les exonérations de cotisations. Notamment pour réduire les « charges sociales (sic) des TPE-PME de façon lisible et significative ». Mais il ne revendique aucune contrepartie en termes de création d'emplois.
Quant aux salariés, ce serait « travaillez plus si vous voulez gagner plus » : si le programme de Marine Le Pen évoque le maintien de la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures ainsi que l'abrogation de la loi Travail, il précise qu'il s'agit cependant de permettre aux branches professionnelles de négocier l'allongement du temps de travail, avec une défiscalisation des heures supplémentaires.
Attaques contre les droits des salariés
La candidate du parti d'extrême droite remet aussi en cause les droits des salariés. Elle souhaite par exemple balayer le compte pénibilité, lui préférant une « évaluation personnalisée » du médecin du travail. Exit la prévention. Au nom de la « simplification administrative » chère au grand patronat, elle compte restreindre les institutions représentatives du personnel : dans les entreprises de 50 à 300 salariés, elles seraient fusionnées. Et le FN, méconnaissant les lois actuelles, veut même supprimer le « monopole de représentativité » des syndicats, lequel n'existe pas puisque ce sont les résultats des élections professionnelles qui permettent de mesurer leur représentativité. Mais il s'agit surtout pour le parti d'extrême droite de promouvoir ses syndicats maisons, fondés sur la « préférence nationale » aux antipodes de la solidarité entre travailleurs. Il veut aussi mettre en place « un contrôle public du financement des syndicats » qui a toujours servi de prétexte à des mesures liberticides par les régimes autoritaires.
Répression : la délinquance financière attendra
Le parti de Marine Le Pen avance certaines mesures au goût anti-libéral. Comme « priver d'accès aux marchés publics les multinationales qui pratiquent l'évitement fiscal ». Canada Dry : en fait, son programme ne prévoit pas de mesure de lutte contre la délinquance financière. La petite délinquance, en revanche, est explicitement ciblée. Ou plutôt, celle des plus pauvres : la proposition 18 envisage « la suppression du versement des aides sociales aux parents de mineurs récidivistes en cas de carence éducative manifeste », sans que rien ne soit prévu concernant les mineurs récidivistes des familles plus aisées ne touchant pas d'aide sociale… Les banlieues, elles, sont nommément citées, qu'il faudrait « désarmer », et conformément aux thèses de l'extrême droite canal historique, l'immigration est assimilée à l'insécurité et au terrorisme.
Les migrants sont du reste des boucs émissaires faciles pour masquer les politiques patronales. Leur simple présence ferait pression sur l'emploi, ce que démentent tous les chiffres, .et ils seraient en quête de prestations aussi généreuses qu'indues. En réalité pourtant, les immigrés sont contributeurs nets aux comptes de la protection sociale. Mais peu importe. Il suffit de les désigner comme concurrents économiques et sociaux, et comme menaces sur une identité nationale réinventée, pour envisager d'institutionnaliser les discriminations. Quitte à empêcher aussi le droit d'asile lui-même.
Dans la même logique de repli, la candidate FN plaide la « souveraineté nationale » et le « patriotisme économique », en appelant à une sortie de l'UE loin d'une révision des traités permettant de nouvelles coopérations et solidarités entre les peuples. Or la France exporte 30% de son PIB. On imagine les conséquences dramatiques d'un tel choix.
Et ainsi tout au long de ses 144 propositions.
Débat et imposture
Plus qu'à un débat, c'est donc à la fois à un (mauvais) spectacle et à de l'imposture qu'ont assisté mercredi plus de 16 millions et demi de téléspectateurs. D'un côté, plus encore de libéralisme sous couvert d'ouverture. De l'autre, sous couvert de protection des plus faibles, le même libéralisme qui les brise, s'avançant il est vrai plus masqué, en maniant la peur de l'autre, la xénophobie, la division parmi les travailleurs sur des bases nationales et confessionnelles.
A l'issue des manifestations du Premier mai, la confédération de Montreuil le répétait dans son communiqué : « La CGT, dans une volonté d'unité syndicale, confirme son combat contre l'extrême droite et la nécessité de lui faire barrage en toutes circonstances ».
Et de souligner d'ores et déjà sa détermination : « Il n'y aura aucune trêve sociale pour le futur Président de la République. En finir avec les divisions, la haine, l'exclusion, le racisme, la xénophobie et le sexisme, implique des politiques qui portent l'intérêt commun et non les seuls intérêts du capital et du monde de la finance. La CGT est déterminée à incarner ce syndicalisme combatif, responsable et force de propositions, ce syndicalisme de rassemblement des travailleurs, à leurs côtés dans leurs luttes et leur aspiration à une société plus juste dans un monde de paix ».
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