2 avril 2015 | Mise à jour le 24 mars 2017
« Le Liseur du 6h27 » de Jean-Paul Didierlaurent a obtenu le 12 mars dernier le Prix du roman de l'entreprise et du travail. Maryse Dumas, membre du Cese pour la CGT a fait partie du jury. Elle explique les raisons de son choix. Témoignage.
«Le Liseur du 6h27» a obtenu le 12 mars dernier le Prix du roman de l'entreprise et du travail. Membre du jury, j'ai voté pour lui. Pourtant, j'avais proposé deux autres titres pour la présélection; mais celui-ci a emporté mon suffrage.
Lisant souvent, dans les transports ou les salles d'attente, par-dessus l'épaule de mes voisins, j'ai été immédiatement attirée par cette histoire de travailleur qui arrache au pilon auquel ils sont destinés quelques pages des livres sacrifiés, et les lit à haute voix aux passagers de son train quotidien. Comme eux on se prend à imaginer ce qui précède ou ce qui suit ces pages, comme eux, on se prend à rêver.
Mais le charme du «Liseur» est loin de s'arrêter là ! Il nous fait pénétrer dans la dure réalité des conditions de travail de l'entreprise qui pilonne les livres dont le marché n'a pas voulu, ou pas voulu assez vite. On y rencontre des travailleurs du bas de l'échelle, les invisibles que certains croient privés d'humanité parce que l'organisation du travail les ravale au rang de machines. Or, le roman montre que l'imaginaire et la poésie résistent en l'homme qu'on robotise: il humanise la machine, lui donne un nom «la Chose», la dote d'intentions et de plans et se confronte à elle, sans gagner toujours loin de là.
C'est aussi en déclamant des poésies que le gardien impose le respect aux cadres de l'entreprise pressés de garer leur voiture au parking pour ne pas perdre une minute de temps de travail au service de l'entreprise. En remontant toute la chaîne du livre, qui est aussi une chaîne de solidarité, le Liseur va aider son collègue à surmonter un accident du travail terrible. Quant à la «Dame pipi» qui écrit, elle saura, elle, utiliser son outil de travail pour obliger un arrogant à en rabattre en le rappelant à la vanité de sa condition humaine.
J'ai aimé ce livre fait d'humanité, de solidarité et de beaucoup de poésie. On sent beaucoup de respect de l'auteur à l'égard de ses personnages, et on se sent entraîné dans cette histoire souvent fantaisiste, sans jamais cesser de sourire. Je vous y invite: Lisez «Le Liseur»!
«Le Liseur du 6h27»
de Jean-Paul Didierlaurent,
éditions Au Diable Vauvert,
217 pages,
16 euros.