Hôpital public : un démantèlement programmé ?
Samedi 14 septembre, à Nantes (Loire-Atlantique), près de 300 personnes se sont mobilisées pour dénoncer « le démantèlement du service public de santé ». Un appel... Lire la suite
Article paru dans la nvo n°3538 du mois d’avril
Annoncé en 2013 dans le cadre d'une stratégie nationale de santé, le « projet de loi de santé » a été déposé à l'Assemblée nationale en octobre dernier. De « concertation avec les professionnels de santé » en « groupes de travail », il a pris du retard et est arrivé dans l'hémicycle en procédure accélérée (une seule lecture par chambre) le 31 mars dernier pour un vote solennel des députés le 14 avril. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, ne souhaitait pas voir le débat parlementaire « s'éterniser ».
Bien que récemment rebaptisé « projet de loi de modernisation de notre système de santé » le texte de la ministre de la Santé semble avoir été élaboré en commençant par faire les fonds de tiroirs du ministère pour se parer des atours d'une loi de santé publique juste : il comprend une multitude de mesures attendues de longue date par les associations qui, à coup sûr, en espèrent le vote. Dans le même temps, l'annonce de la généralisation du tiers payant, bien accueillie par la population, a mis le feu aux poudres chez certains des médecins libéraux. Arc-boutés sur leur statut libéral, ils sont descendus dans la rue et ont appelé à la grève en pleine trêve des confiseurs mettant au passage sur la table de la ministre tout un tas d'autres revendications : difficultés d'installation, défense de la liberté d'exercer, crainte de la bureaucratisation, etc. De leur côté les défenseurs de l'hôpital public et de l'accès aux soins pour tous – au premier rang desquels la CGT, mais aussi des médecins universitaires, représentants de malades, infirmières, etc. – s'alarment de ce projet de loi. Ils estiment qu'il n'est pas à la hauteur des enjeux auxquels doit faire face notre système de santé et fragilise le statut de l'hôpital public. Semblant vouloir couper court à toute discussion, le premier ministre, Manuel Valls, a annoncé la tenue d'une grande conférence santé. Elle aura lieu, soit à l'automne, soit début 2016, afin de discuter de la mise en œuvre de la réforme du système de santé… qu'il entend voir adoptée. Une conférence qui pourrait être mouvementée.
Nombre de mesures hétéroclites sont imbriquées dans le projet de « modernisation de notre système de santé ». Elles concernent la prévention ou instaurent un peu de démocratie sanitaire et auraient pu être prises sans passer par une loi. Ainsi le paquet de cigarette neutre et la mise en place de logos sur les emballages alimentaires « pour orienter le consommateur et prévenir l'obésité » se sont vus salués comme une victoire face aux lobbies du tabac et de l'agroalimentaire. Les grincheux feront remarquer que cela ne fait pas une politique de prévention. L'expérimentation des salles de consommation de drogue à moindres risques (SCMR) ou « salles de shoot » deviendrait enfin possible. Rien n'est cependant dit sur les moyens alloués à ces lieux pour fonctionner. Le projet de loi signe par ailleurs la fin du délai de sept jours de réflexion avant une IVG – demande des associations féministes – et la fin des majorations des tarifs d'assurance pour les personnes guéries d'un cancer. Autant de dispositions qui donnent un côté fourre-tout au projet de loi de santé de Marisol Touraine, au point d'en gêner la vue d'ensemble.
La ministre de la Santé avait annoncé vouloir « refonder le service public hospitalier » et « rompre » avec la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) de 2009 intégrant notamment la création des agences régionales de santé (ARS) et la mise en place de la tarification à l'activité dans les hôpitaux (T2A), pendant du paiement à l'acte en médecine de ville. Il n'en est rien. Réhabilitant la notion de service public hospitalier (SPH), le projet Touraine le dévoie en permettant à des cliniques privées d'en faire partie alors que leur activité est d'abord motivée par l'intérêt financier (choix d'activités lucratives, de patients solvables, etc.) Or, fondé sur le « juste soin » pour le patient au « juste coût » pour la collectivité, le SPH est incompatible avec la recherche de rentabilité. Dans le même esprit, et pour compléter le schéma territorial qui rend désormais obligatoires les groupements hospitaliers publics (fermetures d'établissements en dessous de 800 lits pour cause de rentabilité, suppressions de postes…), la « communauté professionnelle territoriale de santé » fait son apparition. Elle est présentée comme destinée à organiser le parcours de santé du patient sur un territoire (permanence des soins, soins de proximité, prévention, santé mentale…). En définitive, elle semble avoir comme principal objectif de regrouper des professionnels de santé libéraux, via un contrat d'objectifs passé avec les ARS, pourvues de moyens juridiques et financiers pour les organiser. Le pouvoir des ARS se voit ainsi renforcé (gestion du risque, aménagements régionaux des conventions médicales, etc.) remettant plus que jamais en cause l'organisation de l'assurance-maladie.
Avec son projet de loi, la ministre de la Santé dit vouloir permettre à notre système de santé de faire face aux nouveaux défis, notamment l'explosion des maladies chroniques (diabète, pathologies cardio-vasculaires et respiratoires, tumeurs…) qui représentent plus de 70 % des affections de longue durée (ALD pour lesquelles les soins sont remboursés à 100%). 9,7 millions de personnes étaient concernées en 2013 contre 8,3 millions cinq ans plus tôt indique l'assurance-maladie. En cause, la dégradation récente de nos conditions de vie (alimentation, environnement…) et de travail (intensification, accidents du travail…). L'absence de politique de prévention efficace, notamment sur le lieu de travail, amène ces malades à ne consulter que lorsqu'ils sont gravement atteints, à quoi s'ajoute la prise en charge tardive en ALD. Le constat quant aux effets est partagé : le paiement à l'acte chez le médecin ou à l'hôpital est inflationniste (soins lourds faute de diagnostic précoce, multiplications des consultations…). La proposition d'un système de forfait annuel pour la prise en charge de ces patients existe. La ministre ne l'a pas été retenue.
L'inégalité d'accès aux soins est un autre défi à relever : une enquête montre qu'en 2012 plus d'une personne sur quatre a renoncé à au moins un soin pour raison financière (absence de complémentaire santé, reste à charge trop important, avance des frais problématiques…). La généralisation du tiers payant peut répondre à ce problème. Néanmoins, le désengagement constant de la sécurité sociale des soins courants au profit des complémentaires entraînent celles-ci vers une privatisation. La sécurité sociale se recentrant sur les plus pauvres (CMU, AME…) et les plus malades (ALD), tout comme l'hôpital. Un constat également partagé que la ministre de la Santé évacue.
In fine, comme ses prédécesseurs, Marisol Touraine manifeste l'obsession de faire des économies en réduisant les dépenses de santé (3 milliards d'économies seraient encore demandés à l'hôpital, soit 22 000 suppressions de postes). Et elle fait un pas de plus à la fois vers une privatisation du système de santé et vers son étatisation qui transforme Sécurité sociale et Assurance maladie en simples payeurs.
Des voix s'élèvent contre une telle politique. Elles demandent qu'un débat public s'engage sur l'avenir du système de santé français. C'est le cas d'une « charte pour une santé solidaire » publiée fin mars. Elle est emmenée, entre autres, par le Professeur Grimaldi, l'un des fondateurs du mouvement de défense de l'hôpital public. La CGT entend bien, elle aussi, imposer sa voix. Dans le cadre de la préparation de son 51e congrès, elle travaille à une proposition de loi cadre de santé qui sera mise en débat et sera de ceux qui donneront rendez-vous à Manuel Valls et Marisol Touraine, bien avant leur « grande conférence santé ».
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