Véronique Cerisier a 55 ans. Aide-soignante depuis l’âge de 19 ans, elle a travaillé au sein de plusieurs structures, dont 16 années en EHPAD, trois ans dans la rééducation fonctionnelle, huit ans en maternité et huit en stérilisation. « Dans ma carrière, j’ai beaucoup porté. Nous ne sommes parfois que deux aide-soignantes pour faire les toilettes de 30 personnes, on répond à la sonnette, on piétine, c’est un métier très pénible. » Sa profession, elle ne se voit pas du tout l’exercer deux années de plus. « Ce n’est pas possible, on en peut plus. Dans mon hôpital, beaucoup d’aide-soignantes en fin de carrière attendent des reclassements vers des métiers plus administratifs, mais c’est compliqué car nous n’avons pas les compétences. Alors il y a beaucoup d’arrêts de travail de longue durée. » Avec le report de l’âge légal de deux ans, elle anticipe de nombreux arrêts de travail parmi les soignants en fin de carrière : « Je ne sais pas si le gouvernement va être gagnant… » En grève aujourd’hui, comme les 19 et 31 janvier, elle se dit prête à revenir dans la rue, jusqu’à la victoire. « Il ne faut rien lâcher. Cette intersyndicale, c’est parfait. Il faut qu’on soit tous ensemble, c’est notre force ! »
Véronique : « Il faut que l’on soit tous ensemble, c’est notre force ! »
Aurélie Pierrard, 38 ans, est monteuse-câbleuse chez Thales, au sein de l’usine de Méru dans l’Oise. Son travail consiste à monter des appareils et des composants électroniques à bord d’avions. Elle a commencé à travailler à l’âge de 20 ans et avec la réforme, elle devra attendre 64 ans pour partir à taux plein. « Je ne me vois pas du tout continuer à câbler des avions jusqu’à 64 ans. Dans mon travail, nous avons la vie de personnes entre les mains, nous n’avons pas le droit à l’erreur. » Elle estime occuper un métier pénible, dans lequel elle porte des charges lourdes, avec des horaires décalées : « C’est très répétitif, cela abîme beaucoup les mains, les bras… De nombreux salariés souffrent de tendinites ou de problèmes de dos. » Elle-même souffre de tendinite au poignet, un « mal très mal reconnu par la société. » C’est sa troisième journée de grève, et elle n’hésitera pas une seconde à revenir dans la rue si le gouvernement s’obstine. « J’espère qu’on sera entendu. »
Aurélie : « Je ne me vois pas du tout continuer mon métier jusqu’à 64 ans »
Avec l’âge, l’écart se creuse avec les élèves
Inès Ferrand-Perez, 30 ans, est enseignante dans une école primaire à Montreuil. Si aujourd’hui, elle n’estime pas occuper un emploi pénible, elle se représente parfaitement en quoi son métier sera compliqué dans 30 ans : « Nous travaillons dans le bruit constamment, et nous sommes debout toute la journée. On ne peut pas se permettre de prendre une minute de pause, le corps est très investi. » L’usure psychologique, elle, est dû au manque de moyens dont souffre l’institution : « Certains des enfants dont nous avons la charge ont des situations sociales très lourdes, on y pense le soir. Et comme il n’y a pas de psychologue scolaire à temps plein, pas d’infirmière scolaire, pas de professeur spécialisé, cela nous retombe dessus et on se retrouve à appeler des psychologues le soir pour les enfants. » Si elle aime son métier, elle ne se voit pas du tout le faire à 64 ans : « Avec l’âge, l’écart se creuse avec les élèves, je ne veux pas perdre ce lien. » Aujourd’hui, comme les 19 et les 31 janvier, elle est en grève pour ses collègues qui ont la cinquantaine et pour sa mère, à la porte de la retraite et qui va devoir travailler une année supplémentaire. « Le gouvernement communique sur la retraite minimum à 1200 euros, mais c’est une arnaque car cela ne va concerner très peu de monde. Et surtout pas les personnes qui ont eu des carrières hachées, c’est-à-dire, les femmes ! »
Inès : « La réforme pénalise les personnes qui ont eu des carrières hachées, c’est-à-dire, les femmes ! »
L’intersyndicale, une nécessité
Brahim Ait Athmane, 53 ans, travaille à Stellantis sur le site industriel de Poissy. D’abord ouvrier, retoucheur, puis responsable d’unité, il est aujourd’hui conseiller en prévention. Si son actuel poste n’est pas particulièrement pénible, il se rappelle des conditions dans lesquelles il travaillait sur la chaîne de montage : « Pour mes collègues de Poissy qui travaillent sur la chaîne, avec des horaires atypiques, c’est impossible de travailler jusqu’à 64 ans. » C’est pour eux qu’il est en grève aujourd’hui, tout comme il l’était les 19 et 31 janvier, et pour « tous ceux qui ne peuvent pas sortir pour exprimer leur colère et leur désarroi. » Il reviendra « autant de fois qu’il le faudra». Pour lui, l’intersyndicale est une nécessité : « Macron ne nous laisse pas le choix. Il se targue d’être démocrate, mais imposer cette réforme alors que tous les français y sont opposés, c’est du déni de démocratie. » Pour lui, cette réforme n’est pas nécessaire, et n’a qu’un seul but : « introduire la retraite par capitalisation. »
Brahim : « C’est un vrai déni de démocratie ! »
Troisième jour de grève
Mourad Cheblal, 50 ans, est salarié du groupe Aéroport de Paris. Agent d’exploitation, il veille au bon état et à la sécurité des exploitations depuis 25 ans. Il considère que son métier est pénible du fait de l’amplitude horaire et de la charge de travail : « Nous travaillons en service continu, c’est-à-dire que nous sommes amenés à travailler la nuit, en extérieur, nous sommes confrontés au port de charges. Ce n’est pas l’usine, mais avec l’augmentation du trafic aérien, on gère de plus en plus de passagers, de véhicules et d’infrastructures. » Né en 1972, il fait partie de cette génération qui se prend la réforme de plein fouet : « Je pensais partir à 62,5 ans, et avec la réforme je vais devoir partir à 64,5 ans. J’aime mon travail car j’aime le terrain, mais pour que je puisse encore le faire dans quinze ans, il faut que le corps suive. » C’est son troisième jour de grève aujourd’hui, et se dit prêt à le refaire, « sans hésiter» : « Nous ne sommes qu’au début du mouvement. Je ne me rappelle pas d’une telle mobilisation, et cela fait quinze ans que je n’avais pas vu une intersyndicale aussi large. Cette marée humaine, ça fait chaud au cœur, et c’est rassurant. On a du mal à justifier cette réforme. Dire qu’il faut le faire pour faire comme nos voisins, ce n’est pas un argument. »
Mourad : « Nous ne sommes qu’au début du mouvement »
Pénibilité très forte
Quentin Marrot, 28 ans, travaille en tant que responsable de salle dans un restaurant gastronomique parisien. Cela fait dix ans qu’il travaille dans le secteur de l’hôtellerie-restauration, auquel il est très attaché. Mais il ne se voit pas du tout effectuer ce métier jusqu’à 64 ans : « La charge et les conditions de travail ne sont pas tenables dans la durée, malgré la passion. Il y a une pénibilité très forte dans notre travail. Il est commun de terminer à 2h du matin, de soulever des sacs de pommes de terre de 10 ou 20 kilos ou des casseroles en fonte. En cuisine, on est exposé à des températures extrêmes : dans une cuisine mal aérée, cela peut aller jusqu’à 50 degrés. Les collègues que j’ai eu qui avait plus de 60 ans étaient éreintés. » Non syndiqué, il participe aujourd’hui à sa première manifestation depuis le début du mouvement. « Je suis là pour tous les collègues qui n’ont pas pu venir. En plus, dans notre secteur, on est très exposé aux carrières hachées, en raison de la précarité de l'emploi. Beaucoup de collègues ont des carrières incomplètes et doivent continuer de travailler après l’âge légal. » Il se dit « bien sûr » prêt à revenir en manifestation, si la mobilisation devait durer : « Ce n’est que par une mobilisation de plus en plus forte que l’on pourra faire bouger le gouvernement. »