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ÉLECTIONS

Mobilisés pour sauver les prud’hommes

9 décembre 2014 | Mise à jour le 6 avril 2017
Par | Photo(s) : Bapoushoo
Mobilisés pour sauver les prud’hommes

Jugées trop confidentielles, trop inefficaces et trop chères par le gouvernement, 
les élections prud'homales ont été supprimées par le projet de loi voté à l'Assemblée nationale, le 20 novembre dernier. Dénonçant un recul de la démocratie sociale, la CGT appelait à un rassemblement de protestation devant le Palais-Bourbon.

Après avoir été voté par le Sénat mi-octobre, le projet de loi prévoyant la suppression des élections des conseillers prud'homaux au suffrage direct, au profit d'une désignation par les organisations syndicales et patronales, était définitivement adopté par un vote de l'Assemblée nationale. Salué par le ministre du Travail, François Rebsamen, comme « la première pierre d'un travail d'ampleur », le texte gouvernemental était méthodiquement décrié par des centaines de salariés, chômeurs, syndicalistes, qui n'avaient de cesse de démonter son argumentaire sur le pavé, sous les yeux de CRS débonnaires.

Le coût prétendument élevé de ces élections, 87 millions d'euros en 2008, est une des raisons principales évoquées par l'État.

EN CAUSE, LA CAPACITÉ 
DES SALARIÉS À DIRE LE DROIT

« C'est un prétexte, réfute d'emblée Richard Delumbée, cuisinier et délégué syndical CGT sur Montreuil. On l'a vu avec les deux tours de la dernière élection présidentielle et le scandale Bygmalion : toutes les élections ont un coût. C'est le cas des cantonales, des régionales, etc. Ce qui est en cause, c'est la capacité des salariés à dire le droit. Les travailleurs sont en capacité de le faire, ça ne doit pas être qu'une question de professionnels. Les salariés et chômeurs savent qu'ils ont intérêt à voir leurs intérêts défendus par des juges plutôt que par certains syndicalistes plus enclins aux compromis… C'est grave, parce que c'est une atteinte à la démocratie. Les juges prud'homaux n'auront plus la même légitimité si cette nouvelle loi est appliquée. »

Le gouvernement justifie également la suppression des élections prud'homales, instituées en 1979, par la chute régulière de la participation des salariés à ce scrutin, 25 % en 2008. Il s'agit, selon lui, de « renforcer la légitimité de l'institution prud'homale tout en préservant sa spécificité » dans le système judiciaire français et européen. Or, « on sait comment sont défendus les salariés dans d'autres pays voisins, remarquait le Bagnoletais Kamel Brahmi, chargé de communication pour l'UD CGT 93. Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage… ça fait trente ans qu'on nous sort les mêmes arguments selon lesquels ça ne fonctionne pas bien. Mais ça fait trente ans qu'on ne met aucun moyen pour que ça marche mieux. Quand on nous dit qu'il y a trop de taux d'appels – alors que ça n'a pas bougé depuis des années –, je remarque qu'il n'y a pas plus de taux d'appel avec un bureau de jugement paritaire, que lorsque c'est un juge départiteur qui tranche. Ce n'est pas la professionnalisation qui va diminuer le taux d'appel puisque c'est inhérent à la matière du jugement. Ce qu'ils veulent, c'est amoindrir l'indépendance des juges ».

CE QU'ILS 
VEULENT, C'EST AMOINDRIR 
L'INDÉPENDANCE DES JUGES

La désignation des conseillers prud'homaux s'appuiera sur les résultats de la mesure d'audience obtenus dans le cadre des réformes de la représentativité syndicale de 2008 et patronale de 2014. La suppression des élections prud'homales permet aussi d'éviter une concurrence entre deux systèmes de mesure du poids des organisations.

La CGT a notamment enregistré un score supérieur aux dernières élections prud'homales (34 %) par rapport à ses résultats d'audience (27 %, en tête), alors que c'est l'inverse pour la CFDT (22 % et 26 % respectivement). La CGT dérangerait-elle ? Poser la question, c'est y répondre. « Ceux qui pensent, comme à la CFDT – qui soutient la réforme –, qu'ils vont gagner des voix, ils se mettent le doigt dans l'œil », entendait-on parmi les manifestants. Passer de 14 500 conseillers à environ 10 000 pour réduire la voilure, c'est bien gentil mais les salariés risquent de ne plus être jugés par leurs pairs.

UNE REMISE EN CAUSE 
DE LA JUSTICE PRUD'HOMALE

« Revenir sur ces élections représente un énorme recul de la démocratie sociale », considérait le député du Nord Marc Dolez (Front de gauche), qui se fait le relais des positions de la CGT, Sud et du Syndicat de la magistrature, notamment. Et de se demander : « Quid de l'indépendance des futurs conseillers, des circonscriptions, de la représentation des chômeurs ou des candidatures non soutenues par un syndicat ? » Des adhérents du Front de gauche craignaient, eux : « une remise en cause de la justice prud'homale, vieille de deux siècles ». Des inquiétudes partagées par les écologistes, qui ont voté en commission contre la suppression de ces élections, et certains socialistes, dont Kheira Bouziane, qui jugeait les arguments du gouvernement « malvenus ». Pour leur part, les députés UMP se sont abstenus au stade de la commission, désapprouvant le recours aux ordonnances et suggérant d'autres pistes comme l'amélioration du scrutin actuel ou une élection indirecte.

***

QUESTIONS À JAMILA MANSOUR,
PRÉSIDENTE DU CONSEIL DES PRUD’HOMMES DE BOBIGNY

« ON VEUT NOUS MUSELER »

nvo : Pourquoi cette suppression des élections prud'homales ?
Jamila Mansour : Emmanuel Macron, le ministre de l'Économie, a expliqué que les conseils des prud'hommes sont une entrave à la création d'entreprises. Son objectif est que la justice sociale ne fonctionne plus en faveur des salariés afin que les patrons aient les mains plus libres. Ils veulent écarter les juges prud'homaux, qui dérangent, ou réduire leurs pouvoirs. Alors que nous sommes des créateurs de droit positif, comme ce fut le cas avec le CNE (Contrat nouvelle embauche) remis en cause. On veut nous museler en développant un arsenal disciplinaire contre nous : nous pourrons être mandatés puis « démandatés » à tout moment par le premier président de la cour d'appel. Nous ne serons plus des juges indépendants. Ils veulent affaiblir et décourager les salariés qui ne se laisseront pas faire par des patrons voyous.

 

Que va-t-il se passer concrètement ?
L'idée c'est de faire tomber le statut du juge qui tenait sa légitimité de l'élection. Des patrons protestent avec nous parce qu'eux aussi, s'ils ne sont pas élus, ils perdent leur légitimité de juge prud'homal. Ce ne sont pas les élections syndicales qui vont désigner les juges – on nous permettra juste de proposer des listes – mais le premier président de la cour d'appel… C'est une chasse aux sorcières : nous n'aurons plus le droit de distribuer un tract devant un conseil de prud'hommes, ni de nous exprimer en tant que syndicat, etc.

Il n'y a plus de marche arrière possible ?
Si. Ce ne sont que des ordonnances et il faut bien mettre quelque chose dedans. Ils sont incapables de dire comment ils vont procéder aux désignations en 2017. Ils n'ont pas les outils pour mesurer la représentativité au niveau national, ni par circonscription et donc conseil par conseil…