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Cac 40

Oxfam s’en prend aux « profits sans lendemain »

24 juin 2020 | Mise à jour le 25 juin 2020
Par | Photo(s) : Lionel Bonaventure/ AFP
Oxfam s’en prend aux « profits sans lendemain »

Manifestation aux fenêtres en avril 2020 durant le confinement. La sensibilité des citoyens à un autre partage des richesses est aiguisée par la pandémie et la crise du système de santé. (Lionel BONAVENTURE / AFP)

Dans un nouveau rapport consacré aux entreprises du CAC 40, Oxfam France s'attaque à leur logique de profits à court terme. L'ONG montre que celle-ci va d'autant plus « à contre-courant du bon sens économique » que le partage de la richesse et la transition écologique sont des urgences.

L'ONG Oxfam France et le cabinet Le Basic (bureau d'analyse sociétale pour une information citoyenne) poursuivent leur enquête entamée en 2018 sur « le partage de la richesse au sein des entreprises du CAC 40 » – ou plutôt sur son non-partage.

Intitulé CAC 40 : des profits sans lendemain ?, ce second rapport montre, sans surprise, comment, depuis la crise financière de 2009, « la richesse générée par les entreprises du CAC 40 n'a pas été équitablement répartie entre leurs parties prenantes (PDG, salariés, actionnaires, etc.) et n'a pas été suffisamment investie dans la transition écologique ».

Ainsi, entre 2009 et 2018, « les versements aux actionnaires du CAC 40 ont augmenté de 70 %, la rémunération des PDG du CAC 40 de 60 %, alors que le salaire moyen au sein de ces entreprises n'a augmenté que de 20 %, et le Smic de 12 % sur la même période », pointe Oxfam.

Par temps de crise, les actionnaires continuent d'engranger les dividendes…

Il y a deux ans le Medef avait violemment critiqué le travail du Basic et d'Oxfam, l'accusant de biais méthodologiques. Une tentative de jeter le discrédit difficile à réitérer car le Basic met à disposition du public l'intégralité des données et un solide rapport de recherche, mais surtout, le rapport tombe à pic. En effet, la crise économique provoquée par le coronavirus ayant fragilisé les plus précaires et exacerbé les inégalités, elle a pour conséquence de relancer le débat sur le partage des richesses et la solidarité.

Il est donc difficile pour les grandes entreprises de s'y soustraire totalement. Certaines ont bien commencé par faire savoir qu'elles menaient des « actions ponctuelles de solidarité » (dons de gel, de masques ou mise à disposition de locaux), mais Oxfam relativise. L'ONG pointe ainsi le fait que de grandes entreprises ont eu recours aux dispositifs d'aide mis en place par l'État (donc à l'argent public) tout en annonçant des suppressions d'emplois, Renault ou Air France étant les plus emblématiques.

À noter « 21 entreprises du CAC 40 étudiées ont versé des dividendes à leurs actionnaires pendant la crise », relève Oxfam. Les Total, Sanofi, Lafarge, Schneider et autres Vivendi sont même allés jusqu'à les augmenter !

S'il est toutefois satisfaisant d'apprendre que le versement de dividendes devrait être réduit à une fourchette comprise « entre 35 et 41 milliards d'euros » du fait de la pandémie, il ne faut pas pour autant oublier que « 2020 devait être une nouvelle année record » pour les actionnaires (60 milliards d'euros de dividendes et de rachats d'actions au titre de l'exercice 2019).

Et non seulement ce n'est qu'une petite moitié du CAC 40 qui pour cette année a décidé de diminuer ou de reporter le versement de dividendes, mais les Renault ou Engie, qui les ont annulés, l'ont fait sur ordre de l'État actionnaire. Reste que « 21 entreprises du CAC 40 étudiées ont versé des dividendes à leurs actionnaires pendant la crise », relève Oxfam. Les Total, Sanofi, Lafarge, Schneider et autres Vivendi sont même allés jusqu'à les augmenter !

Les inégalités se creusent, les salariés sont mis à contribution…

Soigner son image étant une priorité, « au moins 21 PDG des entreprises du CAC 40 étudiées ont annoncé une baisse de leur rémunération votée en 2020 ». Elle s'établit en moyenne à 25 % de leur revenu pendant deux mois. Rien que de très symbolique compte tenu de leurs rémunérations vertigineuses. En la matière, Alexandre Bompard, PDG de Carrefour, détient la palme. En 2018, il émargeait à 7,3 millions d'euros annuels.

À l'heure de relancer l'économie, les accords de performance collective qui essaiment à travers le pays conditionnent le maintien de l'emploi à des contraintes de baisse de salaires, d'augmentation du temps de travail ou encore de mobilité.

On relèvera d'abord que c'est 413 fois le salaire moyen pratiqué dans son entreprise qui est championne des écarts en matière salariale. Ensuite, que son sacrifice personnel sur l'autel de la crise représente seulement 0,2 % de ce qu'il gagne. Par contre, à l'heure de relancer l'économie, les mêmes patrons mettent volontiers à contribution les salariés. Les accords de performance collective qui essaiment à travers le pays conditionnent le maintien de l'emploi à des contraintes de baisse de salaires, d'augmentation du temps de travail ou encore de mobilité.

Inutile de préciser que les dirigeants et actionnaires se désolidarisent totalement de l'effort collectif attendu, tout comme de la collectivité qu'est l'entreprise. C'est d'ailleurs la logique des multinationales, ici ou à l'autre bout du monde… mais toujours dans la limite de la loi. Par exemple, aux Philippines, en pleine pandémie, le géant français des centres d'appels, Téléperformance, a obligé des salariés à dormir sur leur lieu de travail dans des conditions sanitaires déplorables s'ils voulaient continuer à toucher leur salaire. Téléperformance vient d'entrer au CAC 40 ce lundi 22 juin.

« Bâtir l'entreprise du monde d'après »

Espérant que la crise sanitaire soit l'occasion de changer de braquet, Oxfam propose des pistes pour que « ces groupes qui créent de la richesse la partagent mieux ». Dividendes records et rentabilité à court terme, écarts de salaires vertigineux… « Le CAC 40 est à contre-courant du bon sens économique qui appelle au contraire à bâtir des modèles économiques plus humains, plus justes et plus résilients pour faire face aux prochaines crises », estime Quentin Parrinello, porte-parole d'Oxfam France et coauteur du rapport.

L'ONG alerte aussi sur la faible représentation des salariés au sein des conseils d'administration français. Elle n'est que de 10 %, « contre 33 % en moyenne en Europe ».

Pour obliger les grandes entreprises à opérer un changement d'orientation, Oxfam propose que la part variable de la rémunération des PDG dépende de « critères non financiers d'intérêt général », plutôt que de performances boursières à court terme. L'ONG alerte aussi sur la faible représentation des salariés au sein des conseils d'administration français. Elle n'est que de 10 %, « contre 33 % en moyenne en Europe ».

Oxfam pointe aussi la sous-représentation des femmes dans les instances dirigeantes du CAC 40 – certaines entreprises comme Bouygues, Vivendi ou Vinci n'en comptant même aucune – et renouvelle sa proposition de fixer un écart de salaire de 1 à 20 entre la rémunération du PDG et le salaire médian, comme c'est par exemple le cas à la MAIF.

Se donner les moyens de financer la transition écologique

Par ailleurs, Oxfam appelle le gouvernement à encadrer les dividendes pour financer la transition écologique. Selon ses calculs, l'ONG estime que « si la part des bénéfices allant aux actionnaires avait été limitée à 30 % », au lieu de 70 % en moyenne au cours de la dernière décennie, « l'argent généré aurait permis de couvrir 98 % des besoins en investissement dans la transition des entreprises ».

Si la part des bénéfices allant aux actionnaires avait été limitée à 30 %, l'argent généré aurait permis de couvrir 98 % des besoins en investissement dans la transition des entreprises. Oxfam France

Pour ce faire, elle propose que l'argent non versé soit « placé dans un fonds de l'entreprise servant à la transition sociale et écologique ». Une proposition qui, actuellement, s'insère parfaitement dans le débat lancé par la Convention citoyenne pour le climat… Comme quoi, ce rapport tombe vraiment à pic !