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CINÉMA

Première année : médecin malgré tout

11 septembre 2018 | Mise à jour le 7 septembre 2018
Par | Photo(s) : Denis Manin / 31 Juin Films
Première année : médecin malgré tout

Alors que le gouvernement annonce la fin du numerus clausus, le cinéaste Thomas Lilti – déjà auteur d'Hippocrate et de Médecin de campagne – ausculte une nouvelle fois cette profession sous tension dans Première année, une fiction intime et documentée centrée sur l’environnement ultra-compétitif des études de médecine où les déterminismes sociaux s’imposent.

Paris, aujourd’hui, à la fac de médecine. Antoine entame sa première année pour la troisième fois. Benjamin, lui, arrive tranquillement du lycée et découvre les difficultés de la tâche. Un environnement ultra-compétitif et violent, des journées de cours intenses, des nuits consacrées à réviser sans cesse… tous deux s'acharnent à ingurgiter des tas de connaissances en un temps record et jusqu’au point de rupture. Jusqu’où aller dans les épreuves du présent pour satisfaire ses rêves d’avenir ?

C’est autour de ce scénario classique du parcours initiatique entamé par un duo de personnages opposés que Thomas Lilti a construit la trame narrative de Première année, son quatrième long-métrage. Déjà remarqué pour ses deux précédentes fictions consacrées à la pratique de la médecine – Hippocrate (2014) et Médecin de campagne (2016) – il revient, ici, avec ce qui pourrait apparaître comme le dernier volet d’une trilogie, comme la dernière (ou première) pièce qui complète un tableau déjà esquissé avec trois hommes, trois visions de la médecine et trois regards sur la société française.

Compétitivité

Avec ses deux têtes d’affiche – Vincent Lacoste (personnage principal d’Hippocrate mais inévitablement relié aux Beaux gosses, 2009) et William Lebghil (connu pour sa participation à Soda, série française) – gentiment attablés, Première année laisse croire à une comédie contemporaine autour d’une amitié entre deux étudiants. C’est le cas. Mais l’autre personnage de premier plan est bien l’omniprésente faculté de médecine qui impose son atmosphère ultra-compétitive. Les lieux – amphis, labos, halls, salles d’examens, bibliothèques – y contribuent en premier lieu mais le sujet est également présent dans tous les dialogues, incarnant le délire d’une course folle qui compte une foule de prétendants et peu d'élus.

En 2017, la première année commune des études de santé (Paces) avait attiré près de 60 000 étudiants, dont 80 % ne poursuivront pas leurs études dans la filière (médecine, pharmacie, odontologie ou maïeutique). Car réussir son année ne suffit pas : c’est le rang de classement aux concours qui permet de décrocher son entrée en deuxième année dont le nombre de places disponibles dans les différentes spécialités est fixé par le fameux « numerus clausus », décision du gouvernement depuis 1971.

Film intime et documentée

Thomas Lilti a fait des études de médecine qui ont marqué son œuvre de cinéaste. Cela explique ses deux précédents films, Hippocrate et Médecin de campagne mais s’avère encore plus prégnant dans Première année, son film le plus intime. « Au départ, il y a mon vécu, explique-t-il. Mais on ne pouvait pas se permettre de raconter cette histoire du haut de mes souvenirs d’il y a plus de vingt ans. Je suis donc retourné sur les bancs de la fac – celle d’ailleurs où j’ai passé le concours. Et je me suis rendu compte à quel point les études de médecine étaient au bord de l’implosion. Je n’avais pas un souvenir vraiment très chouette de cette année que j’avais vécue, mais ce que j’ai découvert était vraiment pire. » Et de poursuivre : « Comme pour beaucoup d’autres filières, en plus de la difficulté du concours et de la pression, les étudiants doivent aujourd’hui se battre pour rentrer dans les amphis. »

Déterminismes sociaux

Dans ce système d’enseignement ultra-compétitif et emblématique de ce que certains universitaires qualifient de « boucherie pédagogique », les parcours individuels sont d’autant plus marqués par les bagages culturels et sociaux de chacun. Le récit montre concrètement les mécanismes à l'œuvre dans le succès et l’échec scolaire. Pierre Bourdieu, sociologue du déterminisme social par excellence, expliquait par exemple, dans La Reproduction, qu’il n'est guère question du mérite et de l'intelligence des écoliers, mais d'un mécanisme systématique et généralisé de reproduction de la structure des inégalités dans le capital culturel. « L'institution scolaire avantage les avantagés et désavantage les désavantagés », écrivait-il dans Les Héritiers. Il va sans dire que les possibilités de changements étaient réduites pour les étudiants. Ce ne sont malheureusement pas les nouveaux dispositifs du type Parcoursup qui pourraient inverser la tendance en cette rentrée 2018.

Numerus apertus

En revanche, pour parer au creusement des déserts médicaux et à l’engorgement chronique des services d’urgence, le gouvernement annonçait le 5 septembre vouloir en finir avec le numerus clausus et le concours en fin de première année d’études de médecine. La fin de la prime au bachotage aurait-elle sonné ? Si l’idée n’est pas d’aller vers une dérégulation du nombre de médecins, le concours disparaîtrait bel et bien au profit de partiels classiques dans chaque université. Ensuite, deux options sur la table : soit le gouvernement ouvre les vannes – le numerus apertus – et alors libre à chaque université de former autant de médecins qu’elle le souhaite, soit il opte pour garder une forme de sélection, à l’issue de la licence, en fin de troisième année, avec, peut-être, un concours. Affaire à suivre…

NVO – La Nouvelle Vie Ouvrière, le magazine des militants de la CGT, actualité sociale et juridiquePremière annéede Thomas Lilti, sortie le 12 septembre, 1 h 32.