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mobilisation

Tesla : en Suède, les syndicats ne plient pas

23 janvier 2024 | Mise à jour le 23 janvier 2024
Par | Photo(s) : Juliette Robert
Tesla : en Suède, les syndicats ne plient pas

11/12/2023 - Yakop et Daniel, syndicalistes d'IF Metall retendent la banderole devant l'atelier Tesla, lors de la grève des mécaniciens contre le constructeur automobile. La banderole indique "Nous exigeons une convention collective"

Les températures polaires de l’hiver suédois n’auront pas raison d’eux. Devant l’atelier Tesla de Segeltorp, dans la banlieue de Stockholm, les syndicalistes d’IF Metall tiennent leur piquet de grève placidement, bien que le thermomètre descende à -15°. C’est que leur lutte contre le constructeur automobile est jugée vitale en Suède, en défense de tout un modèle d’organisation du travail dans un pays où 70% des salariés sont syndiqués. Reportage.

Le conflit remonte au mois d’octobre, lorsque la firme texane oppose une fin de non-recevoir définitive au puissant syndicat métallurgique qui demandait l’ouverture de négociations autour d’une convention collective pour les employés. Dans le royaume scandinave, ces conventions renégociées tous les deux à trois ans forment la charpente du droit du travail : elles encadrent salaires, horaires, congés, pensions de retraites…, et couvrent 90% des salariés.En réponse, IF Metall, qui compte 300.000 membres (sur 10 millions d’habitants), a appelé les 130 mécaniciens des ateliers Tesla à la grève. Le nombre réel de grévistes n’est pas communiqué et ils sont absents des piquets devant la dizaine d’ateliers concernés, afin de ne pas les exposer à des représailles. Mais devant la bannière rouge du syndicat où leur revendication s’affiche en grosses lettres blanches « Vi kräver kollktivavtal! » (« nous exigeons une convention collective ! »), les représentants d’IF Metall se relaient, discutant avec les passants et propriétaires de Tesla.

« Sans convention collective, vous êtes à la merci de vos chefs ».

Le constructeur américain, dont le patron Elon Musk n’a jamais caché son opposition farouche à toute forme d’organisation collective, se targue d’offrir de meilleurs salaires et conditions de travail pour justifier son refus de se plier à cet usage. Mais pour les syndicalistes, ce n'est pas le seul problème : « Toutes les entreprises les signent, c’est de la concurrence déloyale de ne pas le faire », explique Yakop, 29 ans, délégué d’IF Metall chez Scania venu soutenir ses collègues. Daniel, 47 ans, salarié du syndicat, renchérit : « la convention collective n'empêche absolument pas d’avoir des bons salaires ou des conditions meilleures que chez les autres, on fixe juste le minimum. J’ai discuté avec dix employés : l’un d’entre eux avait eu une augmentation, un autre n’avait rien eu en 5 ans. Sans convention collective, vous êtes à la merci de vos chefs. »

Cette pratique remonte à 1938 et la signature de l’Accord de Saltsjöbaden, entre représentants syndicaux et patronaux, après des décennies de conflits parfois violents, rythmés par l'alternance de grèves de solidarité et de lock-outs de masse. Il pose les bases de ce qui devient le « modèle suédois », fondé sur la négociation sans intervention politique. « La stabilité qui en découle devient très prisée des employeurs« , explique Pontus Blüme, doctorant en histoire économique à l'Université de Stockholm.

Débrayages en batterie

Pour Anders Kjellberg, professeur de sociologie à l’Université de Lund et spécialiste des syndicats, le conflit pourrait s’éterniser : « Les deux parties en ont fait une question de principe et chacune dispose de moyens colossaux. » IF Metall possède en effet une caisse de grève d’1,5 milliards d’euros, avec laquelle il verse l’intégralité de leur salaire aux grévistes, majoré de 30% pour cotiser à leur retraite. Mais c'est le déclenchement de grèves de solidarité à travers de nombreux secteurs, et dans plusieurs pays nordiques qui pourrait faire pencher la balance. Des dockers aux électriciens, du nettoyage aux ramassage des ordures, une dizaine d’autres syndicats refuse désormais d’avoir affaire avec Tesla, jusqu’à l’entreprise Postnord, qui délivre les plaques d’immatriculation.

« S'il y a un pays où les syndicats peuvent gagner contre Tesla, c'est la Suède ».

La firme américaine redouble de stratégies pour contourner la grève : substitution du transport routier au maritime, changement de sous-traitants, menaces, promesses de promotions… Pour Emma Hansson, présidente d’IF Metall pour la région de Stockholm, « Historiquement, c’est du jamais-vu. » Le syndicat continue par conséquent de discuter avec ses partenaires, en espérant que d’autres secteurs se joignent à eux. Anders Kjellberg analyse : « Tesla ne peut pas gagner sur le long terme, ils vont intensifier leurs grèves de sympathie. » Déjà, en 1995, le fabricant de jouets Toys R Us avait dû plier pour les mêmes raisons. Le sociologue conclut : « S'il y a un pays où les syndicats peuvent gagner contre Tesla, c'est la Suède. »