Les Goodyear réclament justice
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« Dès qu'il a su que l'usine allait fermer, il n'était plus le même. Et lorsqu'il a reçu sa lettre de licenciement, il a dit à sa femme : “on est foutus” », se souvient Évelyne Becker, élue au CE de Goodyear. L'homme, âgé de 39 ans, s'est donné la mort en mars 2014. Son licenciement était intervenu en février. Il laisse une veuve de 32 ans et une gamine de six ans. C'est, chronologiquement, le premier des douze ex-Goodyear décédés depuis la fermeture de l'usine, dont au moins deux par suicide. Le plan qui devait aboutir à la délocalisation de l'usine n'a cependant pas débuté il y a deux ans, mais bien auparavant, et très insidieusement.
Évelyne Becker
En 2007, l'usine d'Amiens employait encore 2 000 personnes. Goodyear a cessé d'investir dans les équipements tout en maintenant de très fortes exigences de rendement qui étaient relayées par une maîtrise, elle-même sous pression, et soumise à un turn-over intensif. Cela se traduisait par des méthodes brutales. « Il y avait en moyenne un accident par jour », estime Évelyne, qui parle encore avec émotion du cas d'un jeune qui a perdu un œil, ou de cet autre ouvrier qui a eu la main écrasée : « À chaque fois, la direction estimait l'ouvrier responsable. Elle n'exprimait aucune compassion. »
Pascal Semin, 48 ans, ancien ouvrier raconte les conditions de travail exécrables qui régnaient dans l'usine : « En dix ans, j'ai eu 17 accidents du travail chez Goodyear. Je souffre d'une double hernie discale, j'ai le dos très abîmé et je suis en procès pour faire reconnaître mon invalidité. Mais j'ai eu de la chance, car j'ai entrepris des démarches pour le faire, tandis que d'autres n'ont pas osé, car les pressions étaient très fortes pour ne pas déclarer les accidents. »
Le système des tickets permettait en outre aux ouvriers d'avoir leur salaire modulé en fonction de la productivité, ce qui les incitait à forcer sur leurs capacités. Cependant, un vrai paradoxe est intervenu pendant près de deux ans où la production des pneus agraires tournait intensément, tandis que celle des pneus tourisme était arrêtée. « Nous venions à l'usine, et nous ne faisions rien. Nous étions culpabilisés », se rappelle Pascal.
Pascal Semin
À la pénibilité physique succédait une pression psychologique délétère… Aujourd'hui, l'état des lieux du plan de licenciement de Goodyear fait apparaître l'ampleur du désastre social sur le bassin d'emplois. Sur 1 173 licenciés, 140 ont pu faire valoir leurs droits à la retraite, et une centaine ont retrouvé un CDI. Outre les quelques-uns qui sont en intérim ou sont en création d'entreprise. Il reste 800 personnes inscrites à Pôle emploi. « C'est d'autant plus difficile de retrouver du travail que les gens ont été cassés », ajoute Évelyne. Mais peut-être pas suffisamment aux yeux d'une justice de classe.
La seule activité qui demeure à l'usine d'Amiens est son démantèlement. Son parking accueille un ballet de camions, immatriculés en Pologne, qui emportent les énormes machines. Dans le local Algeco du comité d'entreprise, devant l'usine, Renald Jurek, secrétaire du CE, commente la décision de justice qui l'affecte personnellement, ainsi que sept de ses camarades : huit mois de prison ferme, quinze mois avec sursis et cinq ans de mise à l'épreuve : « Ça a été un coup de massue. On se demandait ce qui se passait. C'est tellement honteux… Ma fille s'est effondrée lorsqu'elle l'a appris. Mais tout de suite, on a rebondi, on a rassuré nos proches. Non seulement nous n'avons rien fait, mais nous, les délégués, avons fait tampon pour éviter les débordements des salariés très en colère. »
Renald Jurek
Évelyne Becker revient sur les événements de la journée du 6 janvier 2014. « D'habitude, la direction fait ses annonces aux représentants du personnel mais, ce jour-là, ils sont allés directement devant les salariés pour dire qu'ils fermaient et que le plan tel qu'annoncé ne serait pas négocié. » Chose curieuse, les portes de l'usine avaient été laissées grandes ouvertes pour permettre l'accès les journalistes. Le seul acte de violence recensé est une parole d'un camarade disant : « Vous allez rester dans la salle pour un moment… ».
Comment furent donc choisis les huit condamnés ? « C'est une plainte de la direction qui visait les délégués CGT, particulièrement Mickael Wamen. Une plainte qui a d'ailleurs été retirée. Selon cette logique, j'aurais donc dû être condamnée puisque j'étais dans cette salle. Mais comme je suis une femme et qu'il n'y a eu aucune violence, ils n'ont pas déposé plainte, pour une question de crédibilité », ajoute encore Évelyne. Pour l'heure, la mobilisation, les pétitions et la journée d'action nationale prévue le 4 février apportent du baume au cœur des camarades de Goodyear.
Une nouvelle audience en appel pourrait avoir lieu en novembre. Renald Jurek estime qu'en fixant une date de jugement aussi éloignée, certains escomptent une baisse de la pression : « Nous avons énormément de messages de soutien, mais il va falloir continuer à se mobiliser dans le temps pour garder le cap ! »
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