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ARTISTES

Van Gogh/Artaud : une terrible sensibilité

11 avril 2014 | Mise à jour le 3 mai 2017
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Van Gogh/Artaud : une terrible sensibilité

Est-ce parce que toute sa vie fut frappée du sceau de l'intranquillité que Vincent Van Gogh fut un grand peintre dont la modernité et la puissance nous empoignent toujours ? L'exposition du musée d'Orsay nous rappelle qu'Antonin Artaud, autre artiste torturé, avait son idée sur la question.

Dans son introduction à cette exposition exceptionnelle au Musée d'Orsay, Guy Cogeval, Président du musée résume ainsi la réaction d'Antonin Artaud à sa visite de la dernière très grande exposition Van Gogh à Paris, en 1947 : « Van Gogh n'était pas fou (…) c'est la société tout entière qui, par son incompréhension et son rejet, le poussa au désespoir et au suicide. » 

Sollicité à plusieurs reprises pour écrire un texte sur Van Gogh, Antonin Artaud fut d'abord réticent, travaillant alors à la réédition de ses « Œuvres complètes ». Mais un article rapportant les propos du psychiatre François-Joachim Beer dans son ouvrage « Un démon de Van Gogh » indigna tellement l'écrivain qu'il révisa sa position.

En effet, lui-même avait été interné pendant neuf ans et avait eu à subir les traitements radicaux de la psychiatrie d'alors, -cinquante-huit séances d'électrochocs- réalisées à l'époque sans anesthésie, qui lui causèrent même une fracture d'un vertèbre cervicale, des douleurs et des pertes de mémoire importantes…

On comprend que sa haine des psychiatres et des médecins n'en fut que plus tenace, qui le décida à écrire, en deux après-midi un texte percutant : « Van Gogh, le suicidé de la société » après une visite à l'exposition qui l'impressionna très fortement.

Artaud projette bien sûr beaucoup de lui-même dans le destin de Van Gogh. Dans son ouvrage, il rendait notamment responsable du suicide de Van Gogh le Dr Gachet, peintre lui-même, qui aurait inconsciemment jalousé le génie de Vincent avant d'en tirer profit, une thèse qu'Artaud ne fut pas le seul à défendre. Mort «sous la pression du mauvais esprit (« ) du docteur Gachet, improvisé psychiatre», tranchera Antonin Artaud son ouvrage.

 

Aliénation

Van Gogh, comme Artaud –tous deux morts à 37 ans, Artaud d'un cancer, Van Gogh suicidé-, souffraient-ils de troubles psychiatriques ? S'il semble que leurs comportements respectifs montrent des troubles psychotiques –probablement schizophréniques, ceux d'Artaud sont beaucoup plus profonds. Van Gogh, dans sa superbe correspondance, parle à plusieurs reprises de ses souffrances : « Durant bien des jours j'ai été absolument égaré comme à Arles, tout autant sinon pire, et il est à présumer que ces crises reviendront encore dans la suite, c'est abominable. » écrivait-il à son frère Théo alors qu'il séjournait à l'asile de Saint-Rémy de Provence.

Entré dans l'établissement de sa propre volonté, Vincent Van Gogh présentait, selon le rapport médical : « (…) des accès de terreur avec hallucinations visuelles et auditives et a essayé de s'empoisonner avec ses couleurs ou avec l'essence de la lampe à pétrole. » Mais il gardait assez de lucidité pour en parler, écrire « J'aurais peur de perdre la faculté de travailler qui me revient maintenant… Et provisoirement, je désire rester interné, autant pour ma propre tranquillité que pour celle des autres. Je commence à accepter la folie comme une maladie comme une autre et j'accepte la chose comme telle, tandis que dans les crises il me semblait que tout ce qu'imaginais était la réalité. »

 

Lucidité

Mais l'ensemble de sa correspondance atteste aussi que toute sa vie de peintre, Vincent se privera continuellement et sévèrement, de nourriture, de soins, de compagnie, pour pouvoir continuer à travailler en pesant le moins possible sur son frère Théo qui lui fournissait le matériel pour peindre et l'aidera financièrement et moralement toute sa vie.

Ses privations, qui en auraient abattu de moins solides, n'améliorèrent sans doute pas son état …. Sur lequel il était généralement assez lucide : « Tu vois que je me trouve encore de bien méchante humeur, c'est que ça ne va pas. Puis je me trouve imbécile d'aller demander la permission de faire des tableaux à des médecins. Il est d'ailleurs à espérer que tôt ou tard je guérisse jusqu'à un certain point, ce sera parce que je me serai guéri en travaillant, ce qui fortifie la volonté et conséquemment laisse moins de prise à ses faiblesses mentales » écrit Vincent Van Gogh à son frère Théo en août 1889, soit quelque mois avant son suicide à Auvers/Oise.

 

Privations

Artaud, dès l'enfance, souffrait de violents maux de tête. Enfant d'une union entre cousins germains, il fut souvent supposé qu'Artaud aurait été infecté par une transmission congénitale de syphilis, il présenta tôt des troubles inquiétants.

Mais les méthodes de la psychiatrie, embryonnaire à l'époque de Van Gogh comme à celle d'Artaud (qui naquit six ans après la mort du peintre) étaient souvent très rudes. D'autant qu'Artaud fut interné en pleine Seconde Guerre Mondiale où les privations étaient importantes pour la population en général et les aliénés en particulier.

Nombre de ses tourments passent en effet dans certains de ses dessins torturés, mais non dénués de talent -certains de ses portraits et autoportraits- notamment à l'image de l'âme de celui qui les réalise et précise : « Mes dessins ne sont pas des dessins mais des documents, il faut les regarder et comprendre ce qu'il y a dedans. » affirme-t-il en 1946.

 

 

« Nul n'a jamais écrit, peint, sculpté, modelé, construit, inventé, que pour sortir en fait de l'enfer. » (Antonin Artaud)

 

Artaud ne fut pas, comme Van Gogh, « discipliné » partiellement par un travail qui lui permit de tenir à distance ses démons.

Interné de force, maltraité, dénutri, malade, il souffrit sans doute autant physiquement que psychiquement, sans avoir la constitution solide de Van Gogh qui, jusqu'à la fin puisa des forces dans son œuvre.

 

 

Correspondances

La correspondance de Vincent Van Gogh, abondante, et pas seulement adressée à son frère Theo témoigne, tout au long de la vie du peintre, d'un équilibre relatif et de qualités littéraires et artistiques indéniables ainsi que d'une grande culture et une facilité à apprendre des langues.

Ses commentaires sur l'art, sur la philosophie et la littérature sont finement observés et écrits avec style et vivacité. La correspondance d'Artaud, au contraire, et certains de ses textes « témoignent d'un vécu délirant dramatique » et en 1947, il est « dans un état psychotique impressionnant ». Mais son ouvrage qui titre l'exposition illustre « sa perception fraternelle des toiles de Vincent. »

Indéniablement, les deux artistes étaient fragiles et d'une immense sensibilité. Toute l'interrogation est là : sans cette hypersensibilité d'écorchés vifs, auraient-ils été les créateurs importants et singuliers qu'ils furent l'un et l'autre ? Auraient-ils produits des toiles ou des textes (Van Gogh écrivait admirablement, Artaud dessinait avec fougue) d'une telle puissance ? Quelle est la frontière entre sensibilité exacerbée et folie, entre fragilité et « normalité ». On le comprend aujourd'hui, il est bien sûr impossible, à posteriori, de faire la part de l'un ou de l'autre… Et surtout, est-ce nécessaire ou même utile pour apprécier, admirer, ressentir les œuvres de ces créateurs hors norme ?

La réponse à cette question est peut-être dans cette lettre adressée à son frère Théo que portait sur lui le 29 juillet 1890, jour de sa mort, Vincent Van Gogh : « Eh bien, mon travail à moi, j'y risque ma vie et ma raison y a sombré à moitié » (…)

——–
Van Gogh/Artaud, le suicidé de la société, jusqu'au 6 juillet 2014.

 

Catalogue Musée d'Orsay/Skira. 39 €.
« Van Gogh, le suicidé de la société » Editions Gallimard. Collection l'imaginaire.

 

 

Extraits de « Van Gogh, le suicidé de la société »

« Cardés par le clou de Van Gogh, les paysages montrent leur chair hostile, la hargne de leurs replis éventrés, que l'on ne sait quelle force étrange est, d'autre part, en train de métamorphoser. »
« Un fou, Van Gogh ? Que celui qui a su un jour regarder une face humaine regarde le portrait de Van Gogh par lui-même (…).

Peinte par Van Gogh extra-lucide, cette figure de boucher roux, qui nous inspecte et nous épie, qui nous scrute d'un œil torve aussi. Je ne connais pas un seul psychiatre qui saurait scruter un visage d'homme avec une force aussi écrasante et en disséquer comme au tranchoir l'irréfragable psychologie. »
« En face d'une humanité de singe lâche et de chien mouillé, la peinture de Van Gogh aura été celle d'un temps où il n'y eut pas d'âme, pas d'esprit, pas de conscience, pas de pensée, rien que des éléments premiers tour à tour enchaînés et déchaînés. Paysages de convulsions fortes, de traumatismes forcenés, comme d'un corps que la fièvre travaille pour l'amener à l'exacte santé. (…)

Méfiez-vous des beaux paysages de Van Gogh tourbillonnants et pacifiques, convulsés et pacifiés. C'est la santé entre deux reprises de la fièvre chaude qui va passer. C'est la fièvre entre deux reprises d'une insurrection de bonne santé. Un jour la peinture de Van Gogh armée de fièvre et de bonne santé, reviendra pour jeter en l'air la poussière d'un monde en cage que son cœur ne pouvait plus supporter. »