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AGRICULTURE

Veaux, vaches, cochons… Et les salariés ?

27 février 2015 | Mise à jour le 16 mars 2017
Par | Photo(s) : Alain Julien/AFP
Veaux, vaches, cochons… Et les salariés ?

Jusqu'au 1er mars, l'agriculture tient salon à Paris. Derrière la vitrine agricole qui s'expose dans la capitale, il y a le travail des salariés agricoles, rarement pris en compte. Focus.

«L'agriculture c'est 1,1 million de salariés dont 800 000 précaires», explique Philippe Peuchot secrétaire CGT de la fédération de l'agroalimentaire. Signe de la modification profonde des campagnes, la majorité des agriculteurs sont désormais des salariés agricoles et non plus des exploitants. «Il y a la concentration des exploitations bien sûr mais aussi de plus en plus la transformation juridique des exploitations en Gaec mais aussi en SARL ou en SA».Malgré le développement du travail salarié, le taux de syndicalisation reste assez faible.

Le milieu demeure très conservateur et la politique agricole est largement coproduite par la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et les gouvernements successifs. Le prix à payer est lourd tant pour l'environnement que pour le social, les deux allants bien souvent de pair.

Malgré tout, aux dernières élections à la chambre d'agriculture, en janvier 2013, la CGT est arrivée en tête avec 36,46% des voix. Un vote encourageant pour Philippe Peuchot qui estime que les propositions de la CGT trouvent écho dans le salariat agricole : augmentation de salaires, prévoyance, revalorisation du Smic, santé, pénibilité, etc., sont des problèmes que les salariés agricoles vivent au quotidien.

«Les salariés sont exposés aux intempéries, aux pesticides. Malgré la mécanisation des métiers, les travaux des champs restent marqués par la pénibilité. Passer huit heures sur un tracteur n'est pas une sinécure. C'est pourquoi en plus de la revalorisation des salaires et des contrats, on se bat pour la retraite à 55 ans et pour obtenir un accord national sur la prévoyance santé.»

LES MARCHANDS ET LES QUATRE SAISONS

Depuis une décennie environ, les stratégies patronales du secteur favorisent aussi la dérive contractuelle. L'Insee note que le secteur agricole (exploitations agricoles et entreprises de services associées) mobilise en moyenne 300 000 contrats salariés par jour.

Plus du tiers des contrats sont saisonniers et un contrat non saisonnier sur cinq est un CDD. Le nombre moyen de CDD saisonniers augmente de façon exponentielle. «Au lieu de faire des CDD classiques ce qui suppose une prime de précarité, les exploitants agricoles font tout passer en saisonnier», décrypte Philippe Peuchot.

Le patronat économise ainsi les 10% de prime de précarité. Le salariat est pourtant rarement payé au-dessus du Smic (voir témoignage ci-dessous). Et pour cause: pour bénéficier des exonérations de cotisations sociales sur certains contrats, les salaires ne doivent pas dépasser 1,25 fois le Smic, autant dire une véritable subvention aux bas salaires.

«C'est parce que les cultures sont réduites à une succession de simples «opérations» que le travail en agriculture peut être rendu en partie saisonnier […]», explique dans une remarquable analyse(1) Jocelyne Hacquemand, secrétaire fédérale et vice-présidente de la section de l'agriculture du Conseil économique, social et environnemental (Cese).

Ainsi le discours patronal sur le travail saisonnier apparaît pour ce qu'il est, une opération idéologique faisant appel à un faux bon sens et destinée à masquer le choix délibéré d'une division du travail d'inspiration tayloriste.» Y'a plus de saisons et de moins en moins de droits sur les terres agricoles.

LES REVENDICATIONS SYNDICALES

Face à ce constat, les revendications portées par les syndicats de salariés agricoles, la FNAF, et tous les isolés (qui sont nombreux) concernent :

– la revalorisation d'un salaire de professionnel de base à 1850 euros afin de lutter contre la précarité du secteur et assurer les bases du financement de la Sécurité sociale agricole (MSA);
– la fin de l'emploi massif des contrats en CDD et en contrats saisonniers alors que les salariés travaillent toute l'année ;
– une réelle prise en compte des maladies professionnelles spécifiques à l'agriculture non reconnues aujourd'hui dans les tableaux des maladies professionnelles (liées notamment à l'utilisation des produits phytosanitaires) ;
– la retraite à 55 ans liée à la pénibilité du travail agricole ;
– la fin des exonérations de cotisations sociales pour les patrons ;
– des droits syndicaux dans les entreprises agricoles.

 

(1) «La nature a bon dos», de Jocelyne Hacquemand dans La Tribune des professionnels de l'agriculture moderne. FNAF-CGT, octobre-décembre 2014.


 

TÉMOIGNAGE D’UN ÉLU CGT

Patrick Calvo est salarié dans une exploitation agricole en polycultures qui produit des salades de plein champ, mais aussi des céréales et de la vigne sur quelque 80 hectares dans le Tarn-et-Garonne. Secrétaire administratif et comptable à temps partiel dans cette exploitation, élu CGT, il constate la précarisation croissante du salariat agricole.

«Les métiers de l'agriculture se complexifient, ils requièrent de plus en plus de compétences. Et la compétence, normalement, ça se paie. Pourtant, cette reconnaissance, très peu de salariés agricoles y accède. Dans mon département, 93% des embauches se font en CDD de moins de trois mois, payés au Smic. Années après années, beaucoup de salariés reviennent sur la même exploitation, enchaînent des saisons successives, acquièrent de l'expérience et prennent de plus en plus de responsabilités. Mais ce savoir-faire n'est pas reconnu.

Dans la grille départementale des salaires, le salaire horaire de base est de 9,61 euros, celui de l'échelon immédiatement supérieur plafonne à 9,68 euros. Entre l'échelon de base et l'échelon ouvrier le plus élevé il y a un écart de 1,43 euro de l'heure !

Aux bas salaires s'ajoutent des conditions de travail qui se dégradent. Ce n'est pas parce que l'agriculture s'est mécanisée que les métiers sont moins pénibles. Dans beaucoup de secteur la main d'oeuvre manuelle reste indispensable. Le Tarn-et-Garonne demeure l'un des plus gros producteurs de pommes de France et emploie plus de 15 000 salariés. Un travail de plein air où la température peut atteindre les 40 degrés.

Le ramassage manuel répétitif entraîne des troubles musculo-squelettiques (TMS) et les cadences de travail de plus en plus soutenues, les relations de plus en plus dures favorisent l'apparition de troubles psychosociaux qu'on ne connaissait guère avant. On constate que le nombre de déclaration d'inaptitude au travail augmente fortement, beaucoup de salariés sont cassés physiquement avant l'âge de 50 ans.»